Selon le quotidien francophone libanais L’Orient-Le-Jour, le nombre de chrétiens syriens (10 % de la population syrienne) réfugiés au Liban, en Jordanie ainsi qu’en Turquie friserait les 500.000. Un chiffre considérable et une réalité à deux tranchants si l’on tient compte de la position relativement loyaliste et donc ambiguë de ces trois pays – notamment des deux derniers – vis-à-vis du fondamentalisme islamique. Pour se faire une idée plus éloquente du méga-danger encouru par les Syriens de confession chrétienne, il suffit de rappeler que l’Irak a perdu près de 70 % de sa population chrétienne depuis l’ingérence militaire soi-disant démocratique des USA en 2003. Pour qui l’ignore, les Eglises des deux principaux groupes chrétiens historiquement présents en Irak, les Assyriens et les Chaldéens, remontent aux années 33-34 ap. J-C. De quoi rester songeur. Au-delà de cet ancrage historique, il ne faut pas oublier que le christianisme moyen-oriental a toujours été un pont entre deux dimensions civilisationnelles complémentaires, une sorte de trait d’union d’entente entre une multitude de communautés dont les relations se détériorent à un rythme infernal. La césure qui est en train de se produire et qui, force est de le constater, découle des interventions opportunistes otaniennes à travers l’Afrique et le Moyen-Orient, risque à la longue de heurter l’Occident sachant que l’expansionnisme islamiste déborde déjà sensiblement des zones conflictuelles où il agit en acteur instrumentalisé.
Cette esquisse faite, je vous invite à découvrir un témoignage de Mme Roueida Khoury, membre très active de l’Association des Chrétiens de Syrie que nous avons eu le plaisir d’accueillir à La Voix de la Russie.
La Voix de la Russie. « Bonjour Madame ! Pourriez-vous SVP vous présenter?
Roueida Khoury. « Je suis franco-syrienne, présidente de l’association « Les Chrétiens de Syrie », née des événements tragiques que vit la Syrie.»
LVdlR. Il ne reste plus que 28 chrétiens à Homs alors donc qu’ils étaient environ 60.000 avant le début de la crise. Monseigneur Antoine Audo, évêque d’Alep, a fait état, en mars 2013, d’un exode d’environ 30.000 chrétiens autochtones. La situation des chrétiens semble non moins désastreuse ailleurs, en Libye par exemple, où sept jeunes travailleurs égyptiens coptes ont été assassinés la semaine dernière par les milices salafistes qui font désormais la loi dans le pays. Pour ce qui est de l’Irak, on se souvient de l’attaque sanglante perpétrée contre la cathédrale syriaque catholique de Karrada en octobre 2010. Très franchement, est-ce que vous pensez que les chrétiens de Syrie et plus largement d’Orient ont un avenir ?
Roueida Khoury. « Oui, ils ont un avenir parce que les Syriens chrétiens sont avant tout citoyens de leurs pays avant d’être chrétiens. Ils sont nés dans cette région-là. Leurs ancêtres y ont toujours été depuis l’émergence du christianisme. Je ne vois donc pas pourquoi ils n’auraient pas d’avenir malgré tout ce qu’ils sont en train d’endurer depuis trois ans.
Malgré des persécutions constantes, les chrétiens de la région ont su rester au bercail, ils ont su cohabiter avec les autres religions et vivre en paix avec celles-ci. Je pense par conséquent que les Syriens chrétiens ont encore un avenir dans leur pays où est leur place, pas ailleurs, je pense même qu’ils devraient rester dans leur pays pour la simple et bonne raison qu’il s’agit de leur terre d’origine. Maintenant, je me permets de faire un petit rappel des évènements qui se déroulent actuellement en Syrie. En fait, dès le début de cette catastrophe – car ce n’est pas une crise mais une guerre internationale concentrée sur le territoire syrien – les slogans que scandaient les manifestants en sortant de la mosquée étaient parfaitement hostiles : « Les chrétiens à Beyrouth, les alaouites au cimetière ». Ce slogan visait à intimider les minorités d’une façon générale, chrétiens et alaouites tous confondus.
Les Syriens de toutes confessions vivaient en harmonie dans un pays qui leur garantissait une paix civile, religieuse et un équilibre social. D’ailleurs, dans cette terrible épreuve les exemples de solidarité entre chrétiens et musulmans se sont multipliés sur tout le territoire. Ceci dit, les chrétiens ont souffert dès le début, que ce soit à Homs, que ce soit à Alep, que ce soit dans le sud de la Syrie, dans les petits villages où il y a encore des chrétiens, que ce soit à Rakka : à Yabroud où ils payent un impôt de 800 mille LS tous les 15 jours depuis voilà deux ans et demi pour continuer à vivre leur foi. Aujourd’hui, à Rakka, non seulement on a détruit des églises, enlevé les croix et hissé les bannières du djihad, notamment sur les églises arméniennes, interdit aux chrétiens de pratiquer de manière visible, mais en plus on les force à payer un impôt (en or 17G par foyer) (statut de dhimmi, NDLR) pour qu’une certaine paix leur soit garantie. A Alep, c’est l’enfer depuis près de deux ans vu la mainmise persistante des djihadistes sur cette ville. Il y a quelques mois, on a entendu parler des horreurs perpétrées à Sadad où un grand nombre de chrétiens ont été massacrés simplement parce qu’ils étaient chrétiens. Je pense également à Maaloula où des chrétiens ont été décapités, là encore, sur le simple fait qu’ils étaient chrétiens. Il y a eu une récidive le mois dernier, ou ils ont on brûlé les églises et couvents et cassé les croix, arraché les icônes. Ils ont essayé de faire tomber Saydnaia, ce qui pour nous est inadmissible dans la mesure où il s’agit d’un haut-lieu du christianisme moyen-oriental. Les sites que je vous ai cités sont tous des sites historiques où le christianisme a fait ses premiers pas avant de s’étendre à l’échelle du monde. Il s’agit donc de symboles cruciaux nous ramenant à la réalité de notre identité, au sens de notre existence. »
LVdlR. J’ai souvent l’impression que la tragédie généralisée des chrétiens du Moyen-Orient et d’Afrique n’est que très passablement traitée par les médias occidentaux et, entre autres, par le Vatican dont la réaction me semble très insuffisante. Partagez-vous cette impression ?
Roueida Khoury. « Je partage complètement votre point de vue. L’Occident s’est engagé dans une guerre contre ce qu’il appelle un
« régime » sans vraiment mesurer les conséquences qui pourraient intervenir. Je présume que les Occidentaux s’attendaient à un effet domino qui aurait fait tomber les régimes indésirables les uns après les autres par l’intermédiaire de ce qu’ils ont désigné par l’expression
« printemps arabes ». Or, ce ne sont pas des révolutions printanières si on voit ce qui se passe par exemple en Libye où les islamistes ont pris le pouvoir. Idem en Egypte où Morsi a voulu garder le pouvoir et où on a vu la situation des Chrétiens se dégrader aussitôt. D’ailleurs, pas que des chrétiens ! D’une manière générale, ces mesures ont touché l’ensemble des opposants au système, que ce soit des sunnites, des chiites ou des chrétiens. Ceci dit, les chrétiens ont souffert avant tout en tant que tels, parce qu’ils ne renonçaient pas au Christ. Pour ce qui est de la Syrie, la situation est particulièrement compliquée dans la mesure où 83 nationalités au total y combattent. Les Occidentaux, y-ont-ils pensé ? Je ne sais pas. Je vous donne juste un exemple : en France, Mohamed Merah, un jeune islamiste, a semé la terreur pendant deux semaines, ce qui a mobilisé un nombre très important de policiers. Comme ces derniers n’ont pas réussi à le déloger de son abri, ils l’ont tué. Pourtant, il n’était question que d’un seul islamiste ! Imaginez en Syrie des centaines de milliers de Mohamed Merah.
Pour ce qui est des politiques occidentaux, ils savent ce qu’ils font. Ils savent aussi ce qui se passe en Syrie. On ne leur apprend strictement rien. Ceux qui sont dans l’ignorance, ce sont les citoyens. On les
trompe ! Hélas, les hauts-fonctionnaires occidentaux ont très longtemps passé sous silence le calvaire des chrétiens en Syrie. Il a fallu qu’il y ait une résolution soit prise en Europe sur Maaloula pour faire agir superficiellement les politiques. La France est quant à elle restée quasi-silencieuse. Elle en a parlé très approximativement, du bout des lèvres. Le message qui passe est toujours plus que timide. Mais revenons au Vatican : le Pape a demandé le 7 septembre de faire une prière internationale pour la paix en Syrie. Son appel a été entendu, si bien que certaines personnes croient que la Syrie n’a pas été bombardée suite à l’implication liturgique du Pape. Je veux bien y croire.
Ceci étant, la réaction des Eglises françaises est très timide quant à ce qui se produit au Moyen-Orient. J’attends un sursaut qui ne vient toujours pas. En tout cas, humainement, je ne le vois pas. Pas seulement envers les chrétiens. Normalement, les Eglises sont porteuses d’un message de paix. Or, en pratique, je ne vois pas ce message se propager. Ni en France, ni à l’échelle européenne, ni au Vatican même. Nulle part, ce qui me révolte. Ces coupeurs de tête dont on parle si peu reviendront en France et dans d’autres pays de l’UE. Sans vouloir faire peur aux gens, je ne comprends pas comment est-ce qu’on peut ignorer avec tant de ténacité une éventualité si cuisante. Qu’attend-on alors ? L’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie envoient constamment des djihadistes en Syrie dont on sait qu’ils sont systématiquement sponsorisés. On organise de fausses conférences à Genève qui n’ont pas vocation à aboutir. Ce n’est pas en envoyant des mercenaires saoudiens, afghans, tchétchènes ou tunisiens qu’on amènera la démocratie en Syrie. Si les Saoudiens se posent en grands démocrates, qu’ils commencent par eux-mêmes en réformant, pour ne citer qu’un exemple, le statut des femmes. On verra après s’ils peuvent donner des leçons de démocratie et de liberté aux autres pays voisins, et notamment aux autres pays arabes ». T