L’OTAN, héritière de l’URSS en Afghanistan

L’OTAN, héritière de l’URSS en Afghanistan
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Les troupes françaises et américaines s’enlisent de plus en plus en Afghanistan. Ce qui perd les militaires c’est le manque de concret. Quand on a sacrifié sa vie à une carrière militaire, on veut au moins savoir pour qui on combat et si c’est au moins pour une bonne cause ou non ? En Afghanistan, la réponse est moins qu’évidente et l’obsession de la défaite hante le camp des alliés qui décidément ont du mal à saisir l’attitude des guerriers afghans qui leur sourient tout en leur tirant dessus.

Cependant la réponse est fort simple, et les Russes l’ont appris à leurs dépens, il y a plus de 25 ans de cela. Depuis la nuit des temps, les autochtones ont tellement l’habitude des hommes en armes qui essaient de les envahir qu’ils n’y font même plus attention. Il n’y a aucune honte à prendre le bonbon ou le sandwich donné par un soldat français et puis de lui tirer dessus. Un envahisseur reste toujours un envahisseur ! Sans que je plonge dans le dédale des méandres de la paperasserie sans fin sur les tenants et les aboutissants de l’engagement français selon la diplomatie tricolore, je n’ai qu’une chose à livrer : il existe un moyen de terrasser ces sacrés Afghans, mais il ne plaira guère à l’Etat-Major de l’OTAN.

Les Russes pratiquent cette formule dans le Caucase. Il s’agit de s’implanter, prendre racine, épouser la psychologie locale, se métisser avec la population, apprendre leur façon d’agir et de penser, intégrer l’islam dans sa propre culture nationale tout en l’endiguant avec un christianisme agressif de la trempe des croisés. Là la construction peut tenir le coup !

En plus les Afghans pourraient devenir un scion enté sur la civilisation occidentale en renforçant cette souche de base. C’est bien ce que les Russes font avec les peuples qu’ils englobent. Mais les Français sauraient-ils le faire et qui plus est, le veulent-ils pour de bon ? Toute autre tactique sera perçue par la population locale comme une preuve de faiblesse. Et il ne faut pas tirer sur les civils, ce que les Américains, selon WikiLeaks, se seraient amusés à faire : là la haine sera farouche et durera jusqu’à la mort de l’agresseur.

Les troupes occidentales se retirent parce que la note s’avère salée et que les militaires voient leur solde retardée pendant de très longs mois tandis que leurs familles ont du mal à joindre les deux bouts. Nous avons demandé à un écrivain de renommée, un spécialiste de la problématique orientale, l’ancien patron de la DGSE Alain Chouet, de nous raconter sa vision de ce retrait qui serait bientôt amorcé et de le comparer au retrait soviétique.

La Voix de la Russie. Hamid Karzaï se débat comme un beau diable pour obtenir le Traité sur la Sécurité avec les Américains… Y voyez-vous un parallélisme avec l’armée soviétique qui s’embourba jusqu’aux yeux sur le sol douteux d’Afghanistan ?

Alain Chouet. « L’Afghanistan est un terrain difficile pour tout le monde : même les Russes et les Anglais avaient abandonné l’idée d’occuper l’Afghanistan à la fin du dix-neuvième siècle en se disant que le jeu n’en valait pas la chandelle et que cela faisait un bon Etat-tampon entre l’impérialisme britannique et l’empire russe de l’époque qui s’étendait de plus en plus vers le sud. Et là on a appris très durement, aussi bien les Soviétiques que les Occidentaux, on a appris de façon très difficile que l’Afghanistan est un terrain d’opération très difficile et sur lequel il vaut mieux éviter d’avoir à s’engager quelles que soient les raisons politiques. »

LVdlR. Quid du retrait en gestation ? Une fois les troupes otaniennes parties, qu’est-ce que ça va donner sur le terrain ?

Alain Chouet. « L’Afghanistan n’a pas un système politique comparable au nôtre que ce soit celui de la Russie ou celui des Etats-Unis ou celui de la France ! Il s’agit plutôt d’un Congrès des chefs mafieux plus que d’un Congrès politique. Dans cet organisme les parrains de la mafia vont désigner parmi eux le plus faible, je crois ! – Hamid Karzaï de façon qu’il n’occupe pas beaucoup de terrain politique. Ce candidat ne tient que parce que l’édifice est soutenu de l’extérieur par les Occidentaux et je ne pense pas qu’il tienne très longtemps par la suite lorsque le pays tout entier sera livré aux chefs mafieux ».

LVdlR. La dernière question portera sur la France : quels sont les intérêts français là-dedans ? Va-t-elle maintenir son dispositif ?

Alain Chouet. « Cette question-là il faut la poser à Monsieur Hollande ou à son ministre de la Défense. Je salue l’effort fourni par les soldats français en Afghanistan au nom de la lutte contre le terrorisme. Le problème est qu’une fois passée la lutte contre le terrorisme, il aurait fallu se fixer des buts de guerre et savoir ce qu’on voulait faire en Afghanistan. C’est le piège dans lequel sont d’ailleurs aussi bien tombés les Russes que les Américains sans parler de nous ces dernières années. »

C’était Alain Chouet, chef du service de renseignement de sécurité (SRS) de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en 2000-2002.

Un autre expert a ajouté son obole dans notre tirelire. Le général Pinard Legry est connu pour être le président de l’Association de soutien à l’armée française (ASAF). Lui aussi, il a son optique militaire pour jauger le dossier afghan.

LVdlR. Il y a 25 ans, les troupes soviétiques se retiraient de l’Afghanistan. Plus de 50 mille soldats partis en 1988 en direction de l’URSS… Il y a tout de même un parallélisme qui s’impose par rapport à la situation d’aujourd’hui lorsque l’on voit le gouvernement de Karzaï négocier le retrait des troupes occidentales. D’après vous, quel serait le bilan de cette présence occidentale ? Est-il comparable au bilan laissé par les Soviétiques ?

Général Pinard Legry. « Je ne sais pas quel est le bilan que la Russie a tiré de sa présence et de son engagement opérationnel en Afghanistan qui lui a coûté très cher d’ailleurs en vies humaines pour les Russes ! Je dirais que le bilan de l’intervention en Afghanistan pour les troupes de l’OTAN et pour la France se mesurera dans les mois et les années à venir, à savoir si l’effort consenti a apporté quelque chose de mieux ou au contraire on est retourné à la situation antérieure. Ce que l’on sait c’est qu’au moins, dans un premier temps, ce qui était considéré comme les bases des terroristes a été neutralisé. Elles pourraient être reconstruites selon l’évolution ou pas ! Ceci dit, cela ne règle pas pour autant le problème des zones tribales entre l’Afghanistan et le Pakistan. Et puis c’est le problème régional au Sud de l’Asie Centrale ou plus exactement entre l’Asie Centrale et l’Océan Indien.

Là-dedans les acteurs sont multiples à l’échelle régionale. Mais de toute façon on ne transformera pas la volonté des Afghans ou leur situation telle qu’elle est ! On peut apporter des éléments qui leur permettent d’avancer dans la direction qu’ils choisiront, mais on ne peut pas se substituer au peuple. Selon l’expression de de Gaulle, le peuple russe l’a bien démontré, en « buvant » le communisme et puis après c’est le peuple russe qui est ressorti en 1990. »

Commentaire de l’Auteur. Les tombes des soldats soviétiques que les troupes ont laissées en se retirant d’Afghanistan sont régulièrement fleuries par la population locale. « C’était des braves ! » disent des vieux afghans. « On les respecte ! Mais les nôtres ont été meilleurs : ils leur ont couru sus et les ont boutés dehors ! Et maintenant on s’occupe des cimetières de nos ennemis ! » Puisse les Afghans dire de même de ces tombes que les troupes otaniennes laisseront fatalement derrière elles ! Sic transit gloria mundi. T

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