« Qu’on laisse les Syriens résoudre leurs problèmes ! » (Anas Alexis Chebib)

« Qu’on laisse les Syriens résoudre leurs problèmes ! » (Anas Alexis Chebib)
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Touchant aujourd’hui à sa fin, Genève 2 a déçu plus d’un. En tout cas, la délégation de Damas a eu raison de relever le caractère fort spécifique de l’opposition présente celle-ci ne représentant ni l’opposition dite patriotique intérieure, ni la Syrie de manière plus générale.

On pouvait s’y attendre dans la mesure où cette conférence n’est qu’un spectacle passablement bien joué visant à séduire l’Arabie Saoudite, premier sponsor d’un conflit artificiel de A à Z.

Ceci dit, il y a néanmoins matière à réflexion, peut-être même une touche d’espoir à en juger par la conduite assez ambigüe du secrétaire d’Etat des USA, John Kerry. S’adressant à ce qui reste de la Coalition nationale, il a affirmé qu’un gouvernent transitoire présidé par Bachar el-Assad était inconcevable. Répondant aux questions des journalistes couvrant la conférence, les membres du cabinet de Kerry ont souligné qu’une Syrie privée d’Assad courait droit à la catastrophe. Cette contradiction est en réalité significative puisqu’elle met en lumière le double jeu de Washington qui, d’un côté, préfère éviter une confrontation directe avec Ryad, de l’autre, se montre plutôt réticent à gratifier Israël d’un voisinage qui, vu la composante des soi-disant «groupes rebelles », n’aurait rien à envier à celui des moudjahidin afghans concentrés dans les années 80 le long des frontières de l’ex-URSS. Seule la France semble s’obstiner tenant aveuglément à sa coopération avec les pétromonarchies, prête même, s’il le faut, à leur vendre son âme. Mais la France de Hollande, peut-elle grand-chose sans s’assurer du soutien total des élites anglo-américaines ?

Voici, sèchement parlant, une esquisse des dernières tendances syriennes de la semaine. Lorsqu’on parle d’une guerre, notamment d’un conflit aussi sanguinaire qu’est le conflit syrien, on s’aperçoit qu’il y a toujours pour le moins deux façons de l’évoquer. L’une, purement géopolitique, fait appel à une analyse froide et impartiale. L’autre, plus subjective et pourtant non moins – pour ne pas dire plus – importante engage ceux pour qui ce conflit représente une réalité consubstantielle à leur existence et non un fait dont ils pourraient faire abstraction. Ils le vivent comme une maladie, à la fois en tant que médecin et en tant que patient. Cette dernière image n’a presque rien de métaphorique si l’on sait que M. Anas Alexis Chebib que j’ai eu le plaisir de questionner aujourd’hui est médecin. Syrien de souche vivant en France depuis près de 25 ans, créateur d’un rassemblement connu sous le nom de « Collectif pour la Syrie » qui a son propre site et une page facebook consacrée, il m’a fait part de sa vision quant à ce qui se passait dans son pays natal. Voici la quintessence de son analyse :

LVdlR. Vous avez crée un rassemblement qui s’appelle « Collectif pour la Syrie ». Sur la première page du site qui lui est consacré on peut voir cette réflexion d’Isaac Asimov : « La violence est le dernier retranchement de l’incompétence ». Pourquoi appliquez-vous ce constat à ce qui se passe actuellement en Syrie ? De quel type d’incompétence voulez-vous parler ?

A.A. Chebib : Ce sujet est, comme disait le Général de Gaulle, un vaste débat. Il faut savoir prendre un peu de distance, essayer de comprendre les choses en aval. Deux aspects sont à noter. Je pense, premièrement, que nous sommes en train de vivre un moment historique. Un nouveau monde est en train de naître sous nos yeux. Il est multipolaire qui devrait succéder à des années d’hégémonie d’un monde déséquilibré. Ce dernier est en train d’agoniser. Il a perdu son âme, il utilise les armes, la répression, le mensonge. Mais voilà qu’il s’est trahi, s’est vendu, s’est sali au nom des pétrodollars. Concernant le deuxième aspect, il faut prendre encore plus de hauteur pour cerner ce qui se passe en Syrie. Il s’agit de quelque chose qui dépasse de très loin les Syriens. Comprenant cela dès le début, nous avons crée notre « Collectif pour la Syrie ». Je sais de quoi je parle parce que je me rendais en Syrie tous les trois mois en ma qualité de médecin (nous avions des accords dans le cadre de la francophonie) et j’ai remarqué qu’un véritable mouvement tectonique à la base social se préparait. Or, à un moment donné, il devint clair que ces revendications – pour certaines justes et légitimes – étaient immédiatement récupérées et instrumentalisées contre la Syrie. Une fracture s’est par la suite opérée entre les Syriens eux-mêmes. On s’est alors dit que rien ne pouvait se faire sans la réconciliation interne de la nation. Nous avons rédigé la Déclaration de Paris sortie il y a deux ans, au mois de septembre, avec notre texte fondateur. Elle a été signée par 3500 personnes : des Français, des Franco-Syriens, des Arabes, des Russes, bref, des Européens de partout. On a clairement indiqué qu’il fallait sauvegarder l’intégrité de l’Etat syrien en mettant en accord le gouvernement, l’armée et la police, que l’on était contre toute ingérence dans les affaires syriennes, la Syrie étant un pays souverain, laïc et tolérant dans le sens du savoir-vivre ensemble (…). Ce que nous voyons à l’heure actuelle n’est pas une guerre pour la Syrie mais une guerre qui lui est fatale, surtout que ce ne sont pas les Syriens qui se battent entre eux, ce n’est aucunement une guerre civile ! (…). Si ce n’est pas le cas, pourquoi ne pas avoir consulté les Syriens pour savoir ce qu’ils veulent vraiment ? (…).

150.000 morts en Syrie, ça ne vous rappelle pas les deux millions de morts en Irak ? Et les centaines de milliers de morts en Lybie ? Au Soudan ? En Somalie ? Au Yémen ? Et ce qui se passe en Egypte mais d’une manière plus rampante ? C’est toujours, à des variantes près, le même scénario. On utilise des fois des islamistes, des fois des mercenaires, des fois des illuminés pour déstabiliser le pays, bref, tout ce qui tombe à pic.

LVdlR. Il est de toute façon bien connu que les islamistes sont les plus précieux supplétifs de l’OTAN …

A.A. Chebib. Ne personnalisons pas, raisonnons de manière plus générale. Rappelez-vous, à ce titre, ce qu’avait dit Condoleeza Rice en 2006 lors du conflit israélo-libanais : il y aura un nouveau Proche-Orient. Pour ce faire, il faudra recourir au chaos creator, une immense marmite où toutes les causes seront confondues. C’est ainsi que le chaos syrien n’a rien à voir avec la confrontation chiites-sunnites-chrétiens etc. C’est un désordre généralisé sur lequel se cristallise, en sa qualité d’instrument, l’extrémisme islamiste. La région s’enfonce donc dans un marais tel qu’il ne sera asséché que bien des siècles plus tard et, entre temps, on l’exploite à sa guise.

Ceci étant, je persiste à croire qu’un nouveau monde transparait à travers ce chaos ténébreux. La Méditerranée en est le pivot et l’axe d’échange Nord-Sud passera par la Syrie. Pour conclure, je pense que Genève-2 ne marchera pas comme on l’entend. Pour moi, c’est un peu comme le Traité de Versailles (…), c’est-à-dire un partage des zones d’influence qui prendra un sacré laps de temps (…).

Commentaire de l’auteur. C’est une période d’incertitude, une période, par extension de sens, de latence qui s’installe avec ce Genève-2 qui vient de prendre fin. En attendant que Walid Mouallem, chef de la diplomatie syrienne, se rende mardi 4 février à Moscou, il est à souhaiter que des voix telles que celles de M. Chebib, patriote syrien, se fassent entendre.

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