Jean-Yves Rochex professeur à l’Université Paris 8 et spécialiste de la question de l’inégalité scolaire nous a expliqué pourquoi on observe un tel phénomène :
La Voix de la Russie : Est-ce que l’éducation nationale française est réellement en déclin ?
Jean-Yves Rochex : La France est effectivement le pays où le poids des inégalités sociales sur les inégalités scolaires est le plus grand parmi les pays de l’OCDE. Cet accroissement des inégalités scolaires depuis les années 2000 est du à la dégradation des performances des élèves les moins performants et les plus défavorisés, qui sont souvent des élèves de milieu populaire et plus souvent des garçons que des filles. C’est sans doute d’une part parce que la situation socio-économique de ces populations et en particulier des quartiers urbains les plus populaires et les établissements qui y sont installés se sont dégradés. La dégradation de la situation économique, la précarisation de la population, le chômage c’est une première chose. La deuxième chose c’est que la concentration de ces populations dans certains quartiers dégrade les conditions d’enseignement et d’apprentissage dans ces établissements là et que les politiques de ces dernières décennies n’ont pas réussi de s’attaquer de manière forte à cette question de ségrégation et de l’accroissement des inégalités.
LVdlR : Il y a des sondages qui montrent que les enfants de familles immigrées réussissent moins bien à l’école est ce que c’est vraiment le cas ?
Jean-Yves Rochex : C’est plus compliqué que ça, d’une manière générale la plupart des études en France montre que si l’on compare à situation sociale équivalente. Parce qu’il faut tenir compte que la plupart des enfants dits « issus de l’immigration » sont des enfants de milieu populaire, donc si l’on compare à situation sociale équivalente ces enfants ne sont pas en situation scolaire plus difficile ou beaucoup plus difficile que les enfants qui ne sont pas issus de l’immigration. La récente enquête Pisa semble montrer qu’il y a un petit changement de ce point de vue là, mais ça ne veut pas dire, que ce changement qui montrerait que les enfants qui ne sont pas de langue française maternelle seraient en plus grande difficulté que les autres, est du au fait qu’ils sont d’origine immigrée. C’est sans doute parce que cette catégorie de population est plus soumise à la ségrégation, la précarisation et que ces statistiques ne sont pas prises par les enquêtes Pisa. Derrière la catégorie des enfants qui n’ont pas la langue maternelle française, il y a d’autres catégories cachées, qu’il faut aller voir avant d’attribuer la difficulté scolaire élevée à l’origine immigrée.
LVdlR : On a l’impression que le système Français ne favorise pas les bons élèves, on a plus l’impression que les bons élèves essayent de se fondre dans la masse plutôt que les moins bons essayent de rattraper l’élite ?
Jean-Yves Rochex : Non c’est doublement faux. C’est faux parce que le système Français pratique beaucoup le redoublement qui donc fragmente la classe d’âge entre les bons et les moins bons élèves. En plus le redoublement n’est pas efficace. C’est une première chose. Dans un deuxième temps, ce qui compte c’est de ne pas avoir des leaders et des élèves qui ne le sont pas, mais d’avoir des dynamiques de travail collectif et avoir plus de solidarité dans le travail et les apprentissages, plutôt que de donner le moyen aux uns de dominer les autres. Et ça les statistiques de Pisa le montrent bien, par exemple il n’y a pas d’opposition entre un niveau de performance élevé et de moindre performance. Les systèmes éducatifs les plus performants sont également les moins inégalitaires. C’est la promotion de l’ensemble des élèves qui garantit le plus d’efficacité du système éducatif.
LVdlR : Est-ce qu’il faut privilégier l’école privée en France pour être sûr de l’éducation de son enfant ?
Jean-Yves Rochex : C’est compliqué de comparer parce que les populations qui choisissent et qui peuvent mettre les moyens pour inscrire leurs enfants dans une école privée ne sont pas sociologiquement comparables aux populations qui mettent leurs enfants dans les écoles publiques. Et les quelques recherches qui essayent de voir si il y a un avantage à situation sociale comparable à avoir des parcours dans le privé ou le publique ne sont pas très concluantes. Les unes montrant qu’il y aurait un petit avantage à faire sa scolarité dans le privé alors que d’autres travaux montrent l’inverse.