Tel est le canevas de la pièce « A la santé des traîtres » qui sera joué à Paris, au théâtre Manufacture des Abbesses du 3 décembre au 5 février. L’auteur de la pièce Macha Orlova nous a déjà expliqué la dernière fois qu’à l’origine il y a l’histoire de sa famille. En effet, née en Italie de parents émigrés d’URSS, Macha a fait un travail de mémoire, remplie d’émotions vraies : espoir, désespoir, joie, amertume… Après une série de projets d’écritures déjà réalisés, « A la santé des traîtres » n’est pas sa première pièce mais certainement celle qui lui a demandé un investissement personnel particulier et un important travail de recherche. Lequel ? Nous vous proposons la suite de notre entretien téléphonique avec Macha Orlova qui présente son projet. D’ailleurs, quelle est l’histoire racontée dans la pièce ? En quoi consiste son intrigue ?
Macha Orlova. L’histoire se passe en Russie dans les années 70, début des années 70. Léna qui est une jeune femme russe, enceinte, vient de se marier avec Youri, un homme d’une quarantaine d’années, juif. Et tous les deux viennent de recevoir la permission tant espérée de quitter l’URSS après deux ans de combats et d’attentes. Et ils ont une semaine, quelques jours, pour partir. Ils doivent réunir pas mal d’argent pour payer les visas, les dessous de table. Il faut dire aussi adieu à sa famille, à leurs amis qu’on ne reverra jamais. Entre la peur d’être arrêté, le communisme, les insultes des uns et des autres. L’intrigue… est-ce qu’ils vont pouvoir partir ? Est-ce qu’ils vont enfin pouvoir être libres ? On parle de leur mariage sans amour mais qui les lie d’un destin commun. Le désir de partir… Voilà leur désir commun de partir et toutes les péripéties. Je ne vais pas vous raconter toute l’histoire parce qu’il faut venir la voir. Mais les péripéties de cette famille et le courage, et aussi l’espoir, le désespoir de se battre tout le temps pour pouvoir réussir à partir, et s’ils vont réussir. Voilà l’intrigue de l’histoire, en gros. Et puis les ingrédients dramatiques forts comme le rêve d’Amérique, l’arrachage, évidemment, à son propre pays, à sa propre histoire, la peur de la dénonciation, voilà … quitter sa famille, ses amis. On ne sait pas si un jour on va les revoir. Je pense aussi que c’est une histoire qui parle de l’exil de beaucoup de personnes, pas seulement du peuple russe ...
LVdlR. Macha, vous êtes née à Rome et avez grandi à Bruxelles. Vous n’avez pas votre propre expérience de vie en URSS. Comment avez-vous fait pour rendre le texte de votre pièce « authentique » et recréer l’ambiance ?
M. O. En fait, j’ai vu pas mal de films, j’ai vu beaucoup de choses là-dessus. J’ai beaucoup parlé avec mes parents, même des plus petits détails. Déjà je baignais là-dedans depuis que je suis petite. En fait, cela a vraiment relancé la discussion avec eux. On se téléphonait tous les jours pour des millions de questions. J’ai vraiment écrit ce texte avec eux. Ils étaient tout le temps présents parce que cela a tout le temps été un échange quotidien. Même dix fois par jour je leur téléphonais pour qu’ils me racontent les moindres détails, parce que j’avais envie de savoir et que ça enrichissait évidemment mes personnages, la situation. Voila j’ai vu des films de cette époque. Et j’ai aussi beaucoup parlé avec mon frère qui s’occupe d’une communauté orthodoxe de personnes russes exilées, justement, en Belgique. Donc, beaucoup d’échanges avec ces personnes-là. Mon frère est spécialiste de la Russie et de cette époque. J’ai beaucoup parlé aussi avec lui.
LVdlR. Et visuellement, et aussi musicalement, parce qu’il y a aussi de la musique dans le spectacle, quelles sont vos références?
M. O. J’ai voulu mettre aussi un peu de musique, un peu folklorique. Quand j’étais petite, mes parents avaient beaucoup d’amis qui venaient à la maison, qui jouaient de la guitare, qui chantaient des chansons, Otchi tchernye, Les yeux noirs… Voilà ce genre de chansons, des musiques un peu russes, juives. J’ai essayé de chercher par là. Et visuellement, j’ai regardé des films comme Est-Ouest ou Le Concert. Vraiment, ça a été des échanges, je voulais que ça date de cette époque-là, que ce soit les tenues vestimentaires, les meubles, enfin, que ce soit le plus réaliste possible. En tous cas, comment je pouvais, moi, me l’imaginer d’après ce que mes parents m’ont raconté. J’ai regardé beaucoup d’images aussi sur internet. Maintenant on peut voir des photos de personnes de cette époque-là, d’intérieurs d’appartements, la façon de s’habiller, les chaussures, les coiffures…
LVdlR. Vous entendez Macha Orlova. Comédienne, formée à Bruxelles et à Paris, elle a joué dans plus d’une trentaine de pièces passant du classique – Le Malade imaginaire, Le Misanthrope – à du contemporain. Comme auteure dramatique Macha commence à écrire d’abord des spectacles destinés au jeune public, des pièces qui ont été joués à Paris et en tournée pendant plusieurs années. A la santé des traîtres n’est donc pas son premier projet d’écriture. Mais c’est cette pièce qui lui a apporté le prix du concours d’écriture contemporaine 2013. Un spectacle d’après cette pièce vient d’être réalisé par Laure Trégouët.
Macha, ce n’est pas vous qui avez signé la mise en scène. Pourtant vous avez dû y participer. De quelle façon ? Comment le travail s’est-il déroulé ? Etait-il difficile d’obtenir que les acteurs s’intègrent dans la réalité qui n’est pas la leur ?
M. O. D’abord, évidemment j’ai pensé que – je fais aussi de la mise en scène – j’ai pensé à la mise en scène quand j’ai écris ce texte. J’ai écrit en même temps la mise en scène. C’était aussi faciliter la lecture du texte en tant que livre puisqu’il est édité. J’avais envie que les gens s’imaginent en même temps les déplacements, ce qui s’y passe vraiment dans cet appartement, ce huis clos. Mais après, je me suis dit que c’était difficile d’avoir quand même toutes les casquettes dans le même projet. En général, quand j’écris, je ne fais pas forcément la mise en scène ou ne joue pas dedans. Là, c’est très important pour moi de jouer le rôle de ma mère dans la pièce. J’avais vraiment envie de jouer ce personnage-là. Je me suis dit : j’écris et je joue dedans. Je vais laisser faire la mise en scène par quelqu’un d’autre. Donc j’ai cherché autour de moi les metteurs en scène que je connais et j’ai proposé le texte à Laure Trégouët qui a vraiment beaucoup adhéré à ce projet-là et qui a voulu faire la mise en scène. Donc, on a bien sûr beaucoup parlé des personnages. On s’est vu beaucoup de fois. On a échangé ce qui permettait pour moi-aussi de retéléphoner à mes parents pour qu’ils me racontent encore d’autres choses. J’ai conseillé aussi de voir des films sur l’époque. Bien sûr, j’ai participé à chaque répétition. On parle beaucoup, on continue, là encore, à travailler sur le spectacle. Et chaque répétition commence par des discussions sur les rapports entre le gens, sur la peur de la vie à l’époque, sur plein de choses. Voilà, c’est beaucoup de discussions. Mais vous savez, les acteurs s’intègrent souvent dans une réalité qui n’est pas la leur. Moi j’ai joué des tragédies, par exemple, mon père s’était fait assassiner et je le vengeais, etc. Et bien sûr que j’ai jamais vécu ce genre de choses. C’est ça le travail de comédien, c’est un travail d’imagination, de création. C’est un travail d’artiste. Et je pense qu’on a vraiment surtout essayé de recréer une atmosphère à partir de mon texte.
LVdlR. Est-ce que vous pensez continuer l’écriture?
M. O. Oui, moi, j’adore ça. Ce n’est pas ma première pièce que j’ai écrite. Oui, vraiment. C’est pour moi aussi passionnant, peut être maintenant même plus passionnant que de jouer. Je trouve que les trois – jouer, mettre en scène, écrire – c’est vraiment trois choses qui m’enrichissent artistiquement.
LVdlR. Merci beaucoup, Macha. Pleine réussite à tous vos projets et un très bel avenir à votre pièce et à votre spectacle, qui sera joué, rappelons-le, du 3 décembre au 5 février au théâtre parisien La Manufacture des Abbesses.