L'Allemagne et la France – deux pays d'Europe où la prostitution est tolérée – voudraient limiter l'ampleur de l'industrie du sexe, écrit lundi le quotidien Nezavissimaïa gazeta.
Les deux principales forces politiques d'Allemagne — le bloc conservateur CDU/CSU et le parti social-démocrate (SPD) — sont prêtes à revoir la législation afin de protéger les femmes, dont beaucoup viennent de l'étranger, de la prostitution forcée.
La France va encore plus loin: le parlement pourrait approuver cette semaine un projet de loi imposant des amendes conséquentes pour les clients.
En Allemagne la coalition rouge-vert avait décriminalisé la prostitution en 2002. A l'époque l'amélioration de la situation des péripatéticiennes avait fait dire aux hommes politiques allemands qu’elles devaient devenir plus indépendantes et renforcer leurs positions légales en accédant à la sécurité sociale, la retraite et le chômage.
Mais les opposants à la légalisation de la prostitution se font de plus en plus entendre.
Alice Schwarzer, l'une des leaders du mouvement féministe allemand, a publié en novembre son livre Prostitution, un scandale allemand. Dans son magazine Emma, Schwarzer a poursuivi sa campagne pour l'interdiction de l'industrie du sexe – qu’elle considère comme de l'esclavage moderne — en publiant une pétition. Elle a été signée en ligne par 5 500 personnes en trois semaines, dont 90 célébrités, scientifiques et intellectuels de divers courants politiques.
En 2012 l'Allemagne comptait 200 000 prostituées (une hausse de 33% en 10 ans), dont seulement 45 000 Allemandes. Les autres venaient principalement d'Europe de l'Est – la Roumanie la Bulgarie ou encore la Hongrie.
La même année selon Bild, 99,6 millions de services sexuels ont été vendus pour 5,58 milliards d'euros. Le coût moyen de ces services s'élève donc à 56 euros et la clientèle journalière des maisons closes allemandes atteint 273 000 personnes.
Selon certaines informations, chaque jour en Allemagne 400 000 prostituées vendent leurs services à 1 million de clients. Ces chiffres incroyables montrent que les maisons closes évoluent très rapidement et la presse s'interroge de plus en plus sur les liens entre le trafic d’êtres humains et le boum de l'industrie du sexe.
Les spécialistes s’opposent à cette vision en notant qu'en dix ans (entre 2001 et 2011) l'exploitation sexuelle en Allemagne s'est réduite d'un tiers et que les esclaves sont également envoyés dans d'autres secteurs comme l'agriculture.
Schwarzer voudrait engager l'Allemagne sur le chemin de la Suède, où l'expérience de libéralisation de la prostitution a pris une autre tournure: en 1999 elle est devenue un délit pénal. La Suède, plus précisément, s'en est prise aux clients qui risquent aujourd’hui jusqu'à 6 mois de prison. La Norvège a suivi l'exemple de la Suède en 2009.
La France suit leurs traces, alors même que la loi française est déjà plus stricte qu'en Allemagne. Samedi matin l'Assemblée nationale a partiellement soutenu le projet de loi proposant de sanctionner les consommateurs de services sexuels par une amende de 1 500 euros. Une amende majorée de 3 750 euros serait appliquée en cas de récidive.
Le texte intégral du projet de loi — 20 articles — sera soumis au débat le 4 décembre. Selon plusieurs estimations, il concernerait entre 18 000 et 40 000 prostituées françaises, dont 80 à 90% viennent de Bulgarie, de Roumanie, du Nigéria, du Cameroun, de Chine et d'Afrique du Sud.
Plusieurs articles du texte visent à protéger les prostituées de la violence, à détruire les réseaux proxénètes et à aider les prostituées qui souhaitent commencer une nouvelle vie. Ainsi, les étrangères pourront bénéficier d'un permis de séjour de 6 mois renouvelable. L'annulation des poursuites pour racolage devraient également contribuer à la libération des prostituées. Les opposants à la loi considèrent que cela ne fera que compliquer la vie des prostituées qui se casseront la tête pour savoir comment protéger leur portefeuille de clients.
De toute évidence, les débats sur cette loi pourraient diviser la société française davantage que la légalisation du mariage pour tous. Selon les sondages, deux tiers des Français s'opposent à la traque des clients des prostituées.
La comédienne Catherine Deneuve notamment, qui en 1967 avait joué dans Belle de jour le rôle de Séverine Serizy, travailleuse dans une maison close, s'est prononcée contre cette loi. Avec Charles Aznavour elle a signé une pétition de protestation. Même les politiciens sont divisés – ni le PS ni les verts ni l'UMP ne sont prêts à voter à l'unanimité. Malgré tout, cette loi sera très probablement adoptée car les auteurs ont supprimé l'article portant sur l'emprisonnement des contrevenants.