Greenpeace et prisonniers politiques. Quelques faits contre l'hystérie

Greenpeace et prisonniers politiques. Quelques faits contre l'hystérie
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Dans un de ses récents articles, Marie Jégo, correspondante du journal Le Monde à Moscou, évoque le mauvais accueil qui a été fait à Alexandre Bastrykine, numéro un du comité d'enquête de Russie depuis 2007, lors d'une conférence organisée à Paris1 Panthéon-Sorbonne. Censé parler de la « propension de la justice russe à se réformer », Bastrykine est parti sur de longues divagations idiotes (il faut le reconnaitre) mêlant anecdotes sur Staline, éloges des belles dames et du bon vin français, ne manquant pas de signaler au passage les origines aristocratiques de sa famille.

Or, ce n'est pas ça qu'attendaient de lui les rares étudiants réunis salle Turgot pour entendre enfin ce qu'ils voulaient entendre sur Greenpeace, les détenus politiques et les tortures pratiquées dans les milieux carcéraux. Monsieur Bastrykine, visiblement mal préparé à ce genre d'interrogatoire, se montra évasif, puis, selon certains témoins de l'incident, un brin agressif. Qui ne le serait pas, après tout, lorsqu'on qualifie votre thèse de plagia ? Le ton monta, un ou deux militants pour la bonne cause (en tout cas ceux qui apparaissent sur la vidéo) traitèrent l'invité du sénateur Patrice Gélard de criminel, l'un d’eux fit même l'effort d'exprimer cette précieuse pensée en russe, ponctuant sa phrase d'une menace grammaticalement mal formulée mais dont le sens ne fut en rien altéré : « Criminel, un jour viendra où .... ». Voici pour les prémices de l'histoire qui est surtout intéressante en vertu de sa portée sensationnelle plus qu'en vertu de son contenu chaotique.

En revanche, ce que l'on pourrait retenir de l'article de Mme Jégo ainsi que de l'hystérie sélective de certains promoteurs de la démocratie en Russie, c'est le leitmotiv lancinant intitulé Greenpeace et des représailles politiques gangrénant le pays. On retrouve toujours dans le même panier la problématique des tortures et de l'incarcération injuste de deux Pussy Riot dont la dissidence est aussi avérée que les origines extraterrestres de Poutine. De deux choses l’une, dit-on. Ayons donc une approche catégorielle des griefs prononcés.

Il y a Greenpeace et Greenpeace. Nous aimons tous les vrais « Verts » quand ils mènent un juste combat au nom d’une écologie de plus en plus maltraitée. A ses débuts, c’est-à-dire dans les années 70-80 (fondation officielle à Vancouver en 1971), cette ONG était tout ce qu’il y a de plus innocent, militant à des fins apolitiques essentiellement consacrées au bien-être de l’environnement, initiative hautement louable. Or, il y quelques années, cette ONG a endossé le destin d’un grand nombre de ses semblables, masquant les véritables combats du bloc atlantiste. La sempiternelle problématique de la prolifération nucléaire en fait notamment partie . Ladite évolution, contre-productive, voire pernicieuse, a été vivement dénoncée par Fabrice Nicolino et Luc Michel, ce dernier ayant été longtemps proche des milieux dits « verts » et connaissant de l’intérieur les tenants et aboutissants de ces métamorphoses dignes d’Ovide. Nicolino mentionne quant à lui le statut réel des « recruteurs d’adhérents » qui, loin d’être des bénévoles altruistes, ont droit à une rémunération des plus conséquentes. Tel est le cas, dit-il, de l’ancien directeur de Greenpeace France, M. Pascal Husting, une personne qui a derrière lui un long passé dans le monde de la finance. Le sociologue Roberto Michels parle lui aussi des tendances « oligarchiques » des ONG dont Greenpeace est tristement représentatif.

Posons-nous maintenant une autre question, partant du fait que la théorie du hasard n’a aucune réalité quand il est question d’intérêts politiques : comment se fait-il que Greenpeace se soit manifesté en Arctique au moment même où les tensions entre la Russie et le bloc occidental sont à leur apogée pour la simple et bonne raison que la Russie n’entend pas céder une zone géostratégique de première importance à un bloc usurpateur hostile à l’idée de souveraineté quand il ne s’agit pas de la leur ? Il fallait une provocation, des provocateurs qui oseraient enfreindre le droit international. Chose commanditée, chose faite. J’aurais bien aimé voir Greenpeace prendre d’assaut une plateforme pétrolière israélienne ou étasunienne, pourquoi pas française même si c’est moins horrible à imaginer. J’aurais bien aimé savoir ce que diraient certains étudiants de la Sorbonne si on leur narrait l’histoire du Rainbow Warrior, navire amiral de Greenpeace qui fut coulé le 10 juillet 1985 par les services secrets français conformément à la volonté de François Mitterrand qui avait trouvé inadmissible qu’une ONG puisse protester contre les essais nucléaires effectués au large de la Nouvelle-Zélande. Un photographe de 35 ans y avait alors trouvé la mort. Je présume qu’aucun des deux fauteurs de trouble de la salle Turgot n’était encore né et c’est presque dommage. Ils auraient sans doute d’autres points de repères que leur haine irrationnelle des Etats non-alignés.

Pour ce qui est des prisonniers politiques, je pense qu’il faudrait mettre une bonne fois pour toutes les points sur les i. Imaginons que je vole une grosse somme d’argent et qu’au moment de mon arrestation je prétende détester le régime le trouvant totalitaire. Devrait-on dire de moi que je suis une opposante au régime et que l’accusation n’est qu’un coup monté, un audacieux prétexte pour m’évincer, moi qui suis la voix de la liberté ? Voici pourtant, exposé sous sa forme la plus simple, le raisonnement des médias occidentaux. Une fois promu au rang de conseiller du gouverneur de Kirov, Navalny s’empresse de privatiser le groupe étatique placé sous sa direction. Mais bon, après tout, n’était-ce donc pas son droit de privatiser ce qui ne lui appartenait pas ? Autre victime du grand méchant maître du Kremlin : M. Khodorkovsky. En effet, Cahuzac (pour ne citer qu’un humble exemple) aurait bien envié ses appétits et son savoir-faire favorisé par le surréalisme débridé des années 90. Coupable d’escroquerie, de fraude fiscale, de vol de pétrole et de blanchiment, l’ancien PDG de Ioukos est bien sûr un dissident d’envergure qu’il convient de décorer… de la Légion d’honneur. Voici le noble profil de ces prisonniers politiques qui auraient sans doute dû suivre l’exemple du jeune Nicolas Bernard-Busse, c’est-à-dire se prononcer contre le mariage homo, pour justifier immédiatement leur mise en détention.

En dernier point, nul n’est à l’abri du sadisme de certains monstres qui prennent plaisir à se défouler de leurs complexes sur les gens qui sont à leur merci. C’est notamment vrai pour les prisons. Ceci étant dit, cette pratique relève de la déviation et non de la règle, contrairement à ce qui se fait à Guantanamo ou, plus généralement, dans bien des prisons américaines. Pourquoi l’ACAT (Action Chrétienn pour l’abolition de la torture) n’y mène pas l’enquête ? C’est il y a à peine une semaine, le 16 novembre 2013, que le New York Times a publié un article intitulé « Condamnés à la mort lente ». Des milliers de prisonniers ont été condamnés à la perpétuité pour par exemple « avoir partagé un peu de LSD à un concert des Greatful Deal ou siphonné l’essence d’un camion ».

Cela, Le Monde préférera le passer sous silence, car ses maîtres sont intouchables. Oui, Bastrykine n’a pas été à la hauteur. Il a même été ridicule. Mais la question n’est pas là. Elle est ailleurs, dans l’incapacité du bloc étasunien à déstabiliser une Russie souveraine.

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