Certains lecteurs m’ont hélas mal comprise. Quand je dis de l’inconscient enflammé, j’entends par là que la succulente métaphore de la banane et les allusions darwiniennes qui l’ont accompagnée relèvent du même dérapage irréfléchi d’un « espèce de mongol, va te faire voir » ne renvoyant que très indirectement, pour ne pas dire que nominalement au cas du malheureux trisomique que nous avons tous en pitié. Un mongol, c’est un « con » dans l’esprit collectif. De la même façon, le fait d’associer un ministre à un singe non point pour la couleur de sa peau (ça fait des décennies que la couleur des gens n’impressionne plus personne) mais pour ses singeries, c’est-à-dire son inadmissible aventurisme par rapport à des questions cruciales, ne trahit rien d’autre qu’une vigoureuse condamnation des Français de la politique profondément incohérente qui est menée depuis des lustres et dont la personne de Mme Taubira semble être l’accomplissement suprême. Cessons donc de secouer les spectres de ce racisme désuet qui non content d’être diabolisé « se bananise » ! Ou alors, interdisons d’urgence les Charlie Hebdo dont les caricatures sentent bien plus le soufre que la bonne banane du goûter dont François Morel a sans le vouloir si bien fait la publicité. Enfin, si ces deux solutions ne conviennent pas, faisons comme René Magritte, relativisons. Lui qui a su dessiner une pipe on ne peut plus réaliste en écrivant dessous que ce n’était pas une pipe, ô que non, il nous aurait bien refait le coup quatre-vingt ans plus tard en disant de la fameuse banane angevine : « Ceci n’est pas une
banane » !
Et il aurait raison. Ceci, loin d’être ce fruit riche en magnésium qui contribue à la croissance des marmots – n’est-ce pas M. Morel ! – est l’expression absurdiste du rejet. Rejet d’une politique sociale et juridique néfaste à la France, rejet de toute une liste de mesures mal vues par le peuple et néanmoins votées, rejet de cette arrogance antidémocratique inspirée des Lumières mais oublieuse du fait que ces mêmes Lumières ont préparé le couperet de la Révolution. La trahison des images, conceptualisée au crépuscule des Années folles, est plus banale, enfin, banane que celle de la France. Voici pour la forme. Et pour le fond ?
J’ai demandé à Maître Trémolet de Villers, avocat au Barreau de Paris, auteur, entre autres, des Chroniques d’un procès en idéologie et des Fleurs d’Ulysse, de nous exposer sa vision des réformes pénitentiaires de la garde des Sceaux.
La Voix de la Russie. Comment expliqueriez-vous la brusque et radicale réforme pénale de Mme Taubira, réforme qui laisse transparaître une espèce de philosophie générale laxiste et déconnectée des réalités sociales, notamment dans ce qu’on appelle les zones de non-droit. Est-ce que la garde des Sceaux a vraiment l’intention de rééduquer des gens que l’on ne s’imagine que très difficilement éducables ? Qu’en pensez-vous ?
Maître Trémolet de Villers. « Il y a deux explications pour moi qui d’ailleurs ne sont pas exclusives l’une de l’autre. C’est un courant dont il faut dire que Taubira n’est pas uniquement responsable parce qu’il est très ancien. Dans notre réflexion judiciaire, c’est la fameuse lutte entre la prévention, les actes probatoires et la répression, la détention. Voici pour un premier point. La ministre est de ce camp qui dit qu’il faut prévoir, accompagner, éduquer. Plus on ouvre d’écoles, plus on ferme de prisons. C’est un vieux thème qui nous vient du XIX siècle et qui est une utopie dans la mesure où ce principe n’a jamais marché. Il n’empêche qu’il revient régulièrement. D’un autre côté, il y a une situation qui est exacte et sur laquelle personne ne peut faire l’impasse : le système pénitentiaire français, le système de détention est un système qui est arrivé à l’extrême bord de ses limites et les a complètement dépassées. Ainsi, depuis un certain nombre d’années, des esprits de tout bord s’interrogent en disant qu’il faut quand même trouver autre chose. On ne peut pas continuer avec le tout-prison tel qu’on le rêvait depuis le XVIII siècle. En ce moment, nous vivons encore dans une utopie engendrée par l’ère des Lumières, lorsqu’on disait que la prison est la solution à toutes les questions et c’est par la prison qu’on peut à la fois punir et rééduquer. Voilà encore une utopie sur laquelle nous butons, si bien qu’en France nous en sommes actuellement au niveau de saturation et d’explosion. Il y a en fait un faux réel dans l’idée de ne plus faire de tout-prison mais on ne pouvait pas le traiter plus mal que Taubira ne l’a fait».
LVdlR. Mais alors comment lutter contre la surpopulation carcérale ? Il doit bien y avoir une solution ?
Maître Trémolet de Villers. « Ce problème dépasse à mon avis Mme Taubira dans la mesure où il est politique. J’entends un problème très grave du fait que la justice n’a jamais été considérée comme étant ce qu’elle devrait être, c’est-à-dire la première fonction de l’Etat. Regardez le nombre de gardes des Sceaux qui se sont succédé, que ce soit sous les régimes socialistes ou les régimes dits de droite. Leur succession prouve le profond désintérêt de la classe politique pour cette question. En France, nous avons un phénomène très grave qui est le suivant : les fonctions régaliennes de l’Etat, c’est-à-dire la justice et l’armée, sont des fonctions méprisées, méprisées budgétairement et méprisées mêmes dans les hommes. De temps en temps, l’armée en a besoin, alors on la remet en valeur. Mais en même temps, on lui coupe ensuite les fonds et on ne lui permet pas d’être ce quelle devrait être. De même en va-t-il pour la justice qui est en état de réduction permanente de ses effectifs, de ses moyens, et surtout dans un état de mépris de la part de l’autorité politique qui fait qu’elle est complètement livrée à elle-même et qu’elle n’a aucun plan sérieux de réflexion sur cette question centrale de l’univers moderne et particulièrement chez nous qui est : comment fait-on avec ce qu’on a laissé entrer de population déracinée dont on ne s’est pas occupés et qui malheureusement devient une population pénale ? Or, les populations pénales sont sensibles aux gestes et aux symboles. Le geste et le symbole de Mme Taubira sont marqués du plus grand laxisme. Ca se traduit dans les prisons et pour tous ceux qui hélas sont voués à la prison par un sentiment très simple et très brutal : on ne risque plus rien. »
LVdlR. C’est donc tout le système pénal qui est en échec …
Maître Trémolet de Villers. « Oui, bien sûr, il l’est. Je ne suis pas du tout à défendre Mme Taubira, mais je dois constater qu’elle se trouve à l’extrême-bout d’une dérive pénale qu’elle a gravement accentuée mais qu’elle n’a pas créée. Elle a contre elle – et elle l’aura de plus en plus – le juge de base, celui qui est confronté dans les audiences correctionnelles, dans les audiences pénales, dans les cabinets d’instruction, à la présentation des délinquants, à la réalité du terrain ». T