A Gaza, les tensions persistent. Le Fatah, c’est-à-dire le mouvement nationaliste présidé par Mahmoud Abbas est en pleine confrontation avec le Hamas islamiste, apparemment réticent à l’organisation d’une cérémonie de commémoration du décès d’Arafat. En neuf ans, l’encre a bien coulé refroidissant les passions vite réprimées de novembre 2004. Qui pouvait savoir, à l’époque, que l’inextinguible volonté de Soha Arafat allait réattiser une problématique qui semblait presque vouée à l’oubli.
Qui a assassiné Arafat ? Qui a bénéficié de cette mort ? Voici un premier volet de réflexion. Le deuxième restera sans doute ouvert puisqu’y répondre reviendrait à élucider d’un coup le mystère de cette mort : pourquoi la veuve du leader n’a consenti à l’exhumation qu’à la suite d’un délai critique d’un point de vue physiologique puisque la dose de radioactivité mentionnée n’est que très difficilement mesurable au bout d’un laps estimé à dix périodes de 138,4 jours ? Il se fait par conséquent que le temps propice à des analyses révélatrices est révolu. Et pourtant, du polonium a été retrouvé. Non pas seulement dans les os et les résidus de moelle de Yasser Arafat, mais sur ses vêtements et même sur sa brosse à dent ( !) conservés par sa veuve durant toutes ces années. Est-ce un hasard ? Mme Arafat attendait-elle donc son heure, l’heure où la vérité devait éclater ? Si elle n’avait pas approuvé le lancement de l’enquête plus tôt, c’est bien qu’elle avait de sérieuses raisons d’y renoncer, par exemple des menaces prononcées contre sa personne ou celle de sa fille de dix-sept ans.
D’aucuns continuent à douter du bien-fondé des suspicions, considérant que l’empoisonnement de M. Arafat ne pourrait être l’œuvre du Mossad. En effet, Ariel Sharon avait promis à Bush qui venait alors tout juste d’être inauguré de ne pas toucher au vieux leader palestinien. Pour qui connait les faits, cet argument ne tient pas la route. Qua vaut une simple promesse quand il en va du bien-être d’Israël ? C’est ainsi qu’à l’issue de leur rencontre, le 26 juin 2001, MM. Sharon et Bush s’accordent à voir en Arafat un « terroriste » opposé au découpage salvateur de la Palestine, donc, à en faire le principal responsable de la deuxième Intifada. Décrivant la nouvelle stratégie de lutte mise au point par Sharon et son entourage contre les présumés ennemis d’Israël, Thierry Meyssan évoque des « assassinats ciblés » aux dirigeants politiques palestiniens. Abou Ali Moustapha sera le premier à y passer. Par la suite, prenant conscience de l’immense charisme de Yasser Arafat ainsi que de sa détermination à ne pas céder aux revendications territoriales de Tel-Aviv, amplement aidé par les USA, Israël lance l’opération « Rempart » assiégeant le palais présidentiel situé à Ramallah. Arafat est piégé. Coupé du monde, privé d’eau et d’électricité, ignorait-il alors que son procès avait déjà commencé ? Ignorait-il que la sentence était déjà tombée, le reste n’étant que question technique ? Le 24 juin 2002, peut-on lire dans l’analyse de M. Meyssan, George Bush « se prononce pour la création d’un Etat palestinien mais pose comme préalable le départ volontaire du président Arafat et la mise en place d’une nouvelle direction palestinienne (…) ». De son propre chef, Arafat ne consentirait jamais à partir. Or, comme il avait des détracteurs, à savoir Mohammed Dahlan et Mahmoud Abbas, ce dernier étant susceptible de prendre le pouvoir, la coalition israélo-américaine fait ce qu’elle avait à faire par le truchement de la partie palestinienne intéressée.
On a beau reprocher à M. Meyssan son faible pour la conspirologie, il n’oublie pas d’objectiver le scénario reconstitué en reprenant l’extrait d’une lettre écrite par M. Dahlan en personne. M. Dahlan, dit-il, adresse une lettre au ministre israélien de la Défense, Shaul Mofaz. [Il s’agit] d’un document dont le double a été retrouvé dans les archives privées de Dahlan lors de sa fuite. Il y écrit : « Soyez certains que les jours de Yasser Arafat sont comptés. Mais laissez-nous l’abattre à notre manière, pas à la vôtre (…). Je tiendrai [ainsi] les promesses que j’ai faites devant le Président Bush (…) ».
En effet, ne serait-ce qu’en apparence, la promesse semble avoir été tenue. Elle a même si bien été « tenue » que l’ensemble du personnel médical français a préféré tenir sa langue et que la veuve Arafat ne s’est résolument manifestée que neuf ans après les faits. Mais pourquoi ce délai, justement ? Y-a-t-il eu des fuites conséquentes à l’intérieur du renseignement palestinien ou une rupture au sein du Fatah ? Chercherait-on à évincer Mahmoud Abbas ? Pourquoi maintenant ?
Si la deuxième question, pourtant cruciale, reste en suspens, un argument supplémentaire vient conforter la thèse de Meyssan. Treize attentats avaient été perpétrés contre le leader palestinien avant que le quatorzième n’aboutisse. Les treize tentatives en question avaient été toutes commanditées par la direction israélienne. Deux ans avant sa mort, Arafat est isolé dans sa résidence sans avoir l’espoir d’en sortir vivant. Or, se sentant souffrant, cet ennemi juré de Tel-Aviv est subitement envoyé à Paris pour y recevoir tous les soins nécessaires. Où est la logique ? Si donc la mort de M. Arafat était déjà une certitude autant pour les commanditaires que pour les exécuteurs, cette démarche peut encore s’expliquer. Si au contraire l’issue létale du malaise n’était pas avérée, la générosité des parties intéressées semble à la limite surréaliste.
M. Mohamed Mézoui, géopolitologue algérien, universitaire, ex-commis à la présidence de la république algérienne, nous présente un point de vue plus prudent quant à l’implication de la partie palestinienne mais dont le sens ne contredit en rien l’analyse de Thierry Meyssan.
La Voix de la Russie. « Selon vous, pourquoi n’a-t-on exhumé cette histoire d’empoisonnement que maintenant, c’est-à-dire neuf ans après les faits ? A qui cette manœuvre pourrait-elle profiter ?
Mohamed Mézoui. C’est le résultat d’une mauvaise stratégie. Quand on a un adversaire de valeur, un adversaire de poids capable de négocier et de faire respecter les accords adoptés, il ne faudrait pas le liquider. Une fois que vous l’aurez éliminé, vous aurez devant vous des adversaires qui ne seront jamais en mesure de passer des accords susceptibles d’être respectés. C’est exactement ce qui se passe. Actuellement, les vis-à-vis qu’ont les Israéliens en face d’eux n’ont aucune pérennité. Il valait donc mieux conserver un ennemi visible mais charismatique, unificateur, ouvert au dialogue que de se retrouver en face d’une personnalité de seconde zone. Quel que soit l’accord passé, il ne sera jamais respecté, ce qui entraînera automatiquement une guerre perpétuelle. En tout cas, éliminer des adversaires n’est pas toujours de bon augure, c’est même amoral.
LVdlR. Vous pensez donc que toutes les pistes mènent au Mossad ?
M. M. Bien sûr, c’est évident. Arafat posait tellement difficulté en trouvant des parades les unes plus excellentes que les autres en réponse aux zigzags israéliens que le Mossad était prêt à s’en débarrasser. Mais de là à le liquider, quelle mauvaise stratégie ! Par ailleurs, il faut constater que le niveau du Mossad n’est plus celui du Mossad d’avant. On ne liquide pas un adversaire de cette taille. On l’amène à discuter puis à passer des accords.
LVdlR. Quelles conséquences cette mort a-t-elle eu sur l’avenir de Gaza ? Relève-t-on des changements notables dans cette région ?
M. M. Il y a eu tous les extrêmes, le Hamas entre autres, alors que Yasser Arafat arrivait à rassembler tous ces mouvements internes. A l’heure qu’il est, la division favorisant le chaos, Gaza est en passe d’être étranglé. Ce conflit va s’étendre, la pression est tellement forte que les conséquences peuvent ressortir d’une manière inattendue en donnant des répercussions sur l’avenir d’autres pays qui ne sont pas concernés. La rancœur va s’approfondir pour déboucher sur une nouvelle vague de violences.
LVdlR. Mohamed Dahlan a critiqué entre 2001 et 2003 le manque de cohérence politique de Yasser Arafat durant l’Intifada. Excluez-vous l’éventualité de son implication dans cette affaire d’empoisonnement ?
M. M. Je trouve très bien qu’Arafat ait eu des contradicteurs, toute opposition permet d’équilibrer les rapports de force. Mais de là à le liquider, je ne crois vraiment pas ! »