La Bretagne dit non aux écotaxes antirépublicaines

La Bretagne dit non aux écotaxes antirépublicaines
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Dans sa dernière tribune parue sur les pages du quotidien en ligne ria.novosti, Jacques Sapir traite du problème des fameuses écotaxes, cela dans le contexte effervescent du soulèvement antifiscal engagé par la Bretagne.

Selon cet économiste aussi cartésien dans ses analyses que hautement prudent dans ses pronostics, le caractère du soulèvement organisé sous la bannière des « bonnets rouges » renvoie point par point, dans une logique historique formelle et substantielle, à l’ « une des plus grandes révoltes de l’Ancien Régime qui survint en Bretagne sous le règne de Louis XIV en 1675 ». On sait ce qui advint dans un peu plus de cent ans (petit délai pour l’Histoire). De même serait-il intéressant de consulter, suivant le conseil de M. Sapir, l’analyse de l’historien soviétique Boris Porchnev qui a parfaitement mis en relief le degré d’influence qu’a eu ce premier soulèvement généralisé sur les prémisses techniques de la Révolution de 1789.

Une sorte de misère sans issue de nature néo-rurale semble gagner aujourd’hui la Bretagne tout comme elle gagne – ou gagnera en vertu d’un effet apparenté à la réaction en chaîne – les provinces assujetties à Paris. Les gens, se laisseront-ils faire plus longtemps ? L’écotaxe est en soi une mesure juste : quel gouvernement écologiquement responsable renoncerait à sanctionner les pollueurs ? Ceci dit, si on inverse la problématique, on s’aperçoit bien vite que cette mesure a priori louable pénalise en tout premier lieu les producteurs locaux qui utilisent les autoroutes – comment pourraient-ils faire autrement – au profit du transport ferroviaire. En second lieu, on s’aperçoit de la même façon que les primeurs produits à plus de 300 km de la capitale seront surtaxés. Il sera ainsi plus rentable d’acheter des tomates africaines importées par avion que de consommer des tomates bretonnes. Toujours le même théâtre de l’absurde sur un fond de plus en plus mouvementé avec un Hollande qui même sans perruque fait de plus en plus songer à un Louis XVI abhorré par un « peuple couché par terre [tel] un pauvre Job » pour reprendre cette phrase emblématique de Michelet. On sait comment a fini Louis XVI autant qu’on sait que, hélas ou heureusement, l’Histoire est tout ce qu’il y a de plus cyclique.

Ces considérations exposées, je donne la parole à Louis-Benoît Greffe, journaliste indépendant.

La Voix de la Russie. Pourriez-vous nous expliquer brièvement ce qu’est l’écotaxe et les raisons réelles de son introduction en Bretagne ?

Louis-Benoît Greffe. « Déjà je vous souhaite bonjour et bonne année parce que chez les Celtes, c’est la nouvelle année. L’écotaxe est une taxe qui a été inventée par le gouvernement Fillon et par Jean-Louis Borloo en 2010 dans la foulée du Grenelle de l’environnement qui tenait très à cœur à Nicolas Sarkozy. En fait, ce Grenelle a abouti à des demi-mesures en dehors de l’écotaxe, son héritage pourtant le plus important et le plus lourd. Le but était d’installer sur les routes de France, le réseau national et les grandes départementales, des portiques qui enregistreraient les poids-lourds préalablement dotés de boîtiers GPS. Et comme on pourrait tracer leurs déplacements, on pourrait tracer le nombre de kilomètres qu’ils ont parcourus et leur faire payer une taxe au kilomètre selon ce qu’ils ont parcouru. Il s’agit d’une taxe qui s’applique non pas sur les autoroutes qui sont à péage mais sur le réseau national et départemental (il y a des départementales importantes qui voient passer un trafic assez sérieux), le but étant, sous couvert de l’environnement, de faire une nouvelle taxe, évidemment, mais aussi, de façon officielle, de pousser les exportateurs-importateurs à passer par la mer, par le rail oui par les canaux plutôt que par la route, donc, à moins polluer. Voici donc pour l’objectif, objectif qui dans sa formulation officieuse consistait à faire raquer le plus possible pour l’Etat mais avec des conditions assez particulières. »

LVdlR. Il semblerait qu’un projet de délocalisation est en ce moment examiné à l’Assemblée nationale. Croyez-vous que ce projet puisse être une solution à cette mesure qui avait été qualifiée par un certain Jacques Bernard d’antirépublicaine et donc d’anti-égalitaire ?

Louis-Benoît Greffe. « Il a parfaitement raison ! L’écotaxe est en train de devenir un scandale d’Etat en France tout simplement parce qu’il y a de forts soupçons de délit ou de magouille peut-on dire, notamment à partir du moment où l’écotaxe a été négociée. Ce qui a beaucoup étonné les Français, c’est que si l’écotaxe n’est pas appliquée, il y a un délit de 800 millions d’euros, c’est-à-dire que l’Etat devra payer cette somme à la CGT qui est chargée d’installer ces portiques et qui perçoit l’argent, la société Ecomouv qui est un consortium composé à 70 % d’autostrades (autoroutes italiennes) et à 30 %, c’est trois autres boîtes, il doit y avoir Thales, Steria, SFR. On connaît par ailleurs très bien SFR, c’est l’opérateur qui est responsable du bug récent des chiffres de Pôle Emploi qui a conduit à une soi-disant baise du chômage en plein mois d’août, ce qui est une baisse complètement fausse. Il y a donc ce consortium. D’après une enquête parue sur Mediapart, un soupçon de corruption hante toute cette affaire et introduit un autre problème qui est très important : depuis la Révolution, il y a un principe fondateur de la République qui stipule que seul l’Etat peut percevoir l’impôt. Avant la Révolution, il y avait des compagnies de financiers qui étaient les Fermes générales. C’est-à-dire que le roi affirmait la perception de certains impôts à des fermiers généraux qui avançaient la somme totale de l’impôt et après récupérait l’impôt directement auprès des contribuables. Par exemple, il y avait les Fermiers généraux de la gabelle qui récupéraient l’impôt sur les greniers à sel. Leur but c’était évidemment de faire le plus de marches possibles, par conséquent ils étaient encore plus confiscatoires que ne l’aurait été l’Etat s’il avait œuvré directement. Or, en l’occurrence, nous assistons à une grande première, ce qui est confirmée dans les articles 269 à 283 quater du code des douanes. L’Etat confie à nouveau au privé, donc, à Ecomouv, la perception des impôts (en privé, il n’y serait jamais allé puisqu’il ne pouvait pas avoir la main sur les recettes), sauf qu’au lieu de dire qu’il s’agit d’un secteur privé, on parle d’externalisation de la collecte de l’impôt. Mais ça veut dire ce que ça veut dire : c’est le privé qui pour la première fois depuis la Révolution collecte l’impôt et donc l’Etat prend un risque énorme puisque l’une des causes de la Révolution française, en plus de la famine et des mauvaises récoltes de 1787 et 1788, ce sont les abus des Fermiers généraux. On revient à la même chose ! Ainsi, il est question, en effet, d’une mesure profondément antirépublicaine et profondément inégalitaire même si, dès le début – enfin, suite à une certaine bronca dans certaines régions – l’Etat a accordé une décote en Bretagne : 6,5 centimes au km au lieu de 13 centimes dans tout le reste de la France, dans le Midi-Pyrénées et l’Aquitaine, 9,1 centimes. Cette décote a un sens crucial sachant que la Bretagne est composée de quatre départements sur le plan administratif : les Côtes-d’Armor, le Morbihan, le Finistère et l’Ille-et-Vilaine, cette dernière étant bien moins isolée de la France que les trois autres. Mais ! Le grand oublié dans toute cette histoire, c’est la Loire-Atlantique qui a des voies difficilement évitables, notamment la nationale entre Nantes et Saint-Nazaire, porte d’entrée de la Bretagne, Saint-Nazaire étant à la fois le premier port de Bretagne et la quatrième ville de Bretagne comportant des axes donc difficilement évitables, des installations industrielles et agricoles assez importantes est qui se retrouvait à payer l’écotaxe ».

LVdlR. Selon le président de l’association « Produit en Bretagne », c’en est fini de la France ultra-jacobine parce qu’il s’agit d’une conception totalement obsolète et que l’heure serait d’emblée à la régionalisation, c’est-à-dire à la décentralisation. Est-ce que vous partagez ce point de vue ?

Louis-Benoît Greffe. « Je partage ce point de vue à condition qu’on ait des régions qui correspondent aux identités des gens, aux aspirations des gens. On peut bien sûr parler de régionalisation mais le problème est le même que quand on parle de métropolisation. On en parle beaucoup en France, du développement des métropoles ou de » grandes régions. Parfait ! Mais on en parle en oubliant le côté humain. Un géographe breton, Yves Lebahy, évoque amplement cette problématique mais il est tellement seul qu’il en est presque à prêcher dans le désert. Ainsi, il y a même, dans l’ouest de la France, un consensus parmi les élites importée par Paris – des gens qui sont à l’UMP ou au PS et qui font un peu office de lieutenants pour le compte de Paris – qui veulent une grande région ouest qui serait visible dans l’Europe. C’est bien pour cette raison que l’on propose de noyer les quatre départements bretons existants avec la Loire-Atlantique. On voudrait noyer la Bretagne dans une espèce d’énorme ensemble qui comprendrait l’Anjou, la Sarthe, le Maine-et-Loire, la région Poitou-Charentes, etc. C’est du grand n’importe quoi ! Evidemment, c’est là que la dimension humaine, la dimension culturelle seront définitivement oubliées, c’est un piège ! Il faut une régionalisation mais qui corresponde à des régions ancrées dans l’identité, dans l’Histoire. Ainsi, si l’on fait une région Bretagne il devrait s’agir d’une région Bretagne à cinq départements, rien d’autre, à laquelle on donnera tous les pouvoirs nécessaires pour qu’elle puisse s’affirmer. Mais il faut alors que l’Etat abandonne certaines de ses compétences parce qu’il est déjà obèse s’occupant de choses dont il ne devrait pas s’occuper. Il faut donc revoir son périmètre pour qu’il en donne aux régions ou aux départements s’ils existent encore afin de pouvoir casser une partie du mille-feuilles territorial. Je ne vois pas pourquoi en 2013 on garderait les cantons alors qu’ils sont déjà largement supplées par les communautés de communes. Je ne vois pas pourquoi, de la même, manière, on garderait les arrondissements qui étaient bons pour la France de Napoléon. En conclusion, d’accord pour une régionalisation mais à condition qu’elle corresponde à l’identité de la Bretagne, qu’elle n’oublie pas l’humain et qu’elle permette à la Bretagne de prendre toutes les compétences possibles pour exister dans le jeu de la mondialisation. Le but n’est pas de finir comme la Lorraine, c’est-à-dire d’avoir un plan Lorraine pour accompagner la classe de notre industrie, de notre agro-alimentaire, etc. On ne demande pas des aides pour avoir des aides mais bien pour pouvoir passer la crise et continuer. C’est cela que craint un Etat plus jacobin que jamais, il craint une Bretagne qui soit forte ». T

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