Encore et toujours, le dernier -isme n’est pas celui que l’on retrouve dans catholicisme, primo, parce que celui-ci n’a jamais procédé à des déformations littéralistes et anti-exégétiques de la Bible, secundo, parce que même bien avant la loi de 1905 relative à la laïcité de l’Etat la conjonction Eglise-état ne frôlait que très approximativement le domaine du privé, autant que le domaine de la grande politique. Qui a jamais entendu parler de catholicisme politique ? Ou du protestantisme politique, même si le protestantisme, bien plus éloigné de la Source, bien plus immanentiste, a tout de même modelé le système capitaliste. Cependant, l’éventail de ses influences est loin d’approcher celui auquel prétend – et qui règne par ailleurs déjà dans un certain nombre de pays – l’islam politique ou le wahhabisme, idéologie rigoriste, implacable, moyenâgeuse régie par la Charia.
Tel est notamment le cas de l’Arabie Saoudite, du Qatar, des Emirats, du Yémen, pays avec lesquels la France entretient de relations contre-nature tendant à l’absurde. On l’a vu à l’exemple de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Lybie, de la Syrie à l’heure qu’il est. On l’a vu à l’exemple du soutien aux mal-nommées Révolutions Arabes, démocratiquement motivées en apparence, ourdies par des islamistes invétérés comparé auxquels Moubarak est presque un tendre. A moins d’avoir l’esprit bisounours ou être frappé de cécité intellectuelle incurable, on s’aperçoit que, progressivement, le monde musulman, de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, sombre dans l’obscurantisme hérétique d’un certain Mohammed Ben Abdelwahhab, théologien du XVIIème siècle qui, doué d’un don de persuasion aussi efficient que délétère, réussit à mettre au point une espèce d’idéologie se revendiquant du vrai islam quoique méprisant les quatre écoles juridiques classique constitutives de l’islam. Naturellement, on pourrait supposer que le wahhabisme n’est autre qu’une exacerbation déconstructive du courant hanbalite, bien plus littéral que les trois autres courants sunnites canoniquement reconnus. Pour autant, la majeure partie du monde musulman a peur de l’islamisme, dénonçant son expansion à la limite plus vigoureusement que ne le font les puissances occidentales. En voilà un paradoxe de taille. L’irrésistible magnétisme des pétrodollars saoudites et qataris, expliquerait-il ce mystère ?
La veille, prenant l’avion à Charles de Gaulle, j’ai eu une conversation des plus symboliques avec un douanier marocain qui, apprenant que j’étais journaliste politique, m’a demandé ce que je pensais du conflit syrien et de tout ce qui se faisait au Proche-Orient depuis, grosso modo, 2001. J’ignore s’il est chiite ou sunnite, enfin, plutôt sunnite d’obédience malékite, étant marocain, mais ceci dit, ayant entendu ma brève diatribe, il me bénit au nom d’Allah le Tout-Puissant après avoir récité un verset du Coran en arabe. J’en déduis que sa perception de la fumeuse diplomatie occidentale de ces dernières années allait tout à fait dans le sens de mes réflexions. Que lui répondis-je alors ? Que j’étais chrétienne et n’avait qu’une piètre connaissance du Coran. – Et alors, répliqua-t-il ? Il n’y a qu’un Dieu, que vous l’appeliez Jéhovah ou Allah. Que pouvais-je dire, sinon acquiescer ?! Il avait raison, car, au-delà des dogmes, il y a l’essence. Je rapporte bien cet épisode avec mon interlocuteur marocain soulignant au passage que le Maroc est loin d’être un pays tolérant en matière de confession, particulièrement par rapport aux chrétiens de souche. Et pourtant, un parfait ressortissant du Maroc, un parfait musulman visiblement bien intégré, me dit ce que demain nous n’oserons dire qu’à mi-voix si on continue à donner en Suisse une tribune à Hani Ramadan et en France, à son frère, Tariq.
Ce dernier a beau se démarquer de son frère qui il y a quelques années a clairement identifié la lapidation des femmes infidèles à un « acte de purification », il n’en demeure pas moins que son jeu est aussi double que celui des pays du Golfe. Je vous renvoie au discours bien flou qu’il avait tenu suite à la mort de Ben Laden (qu’importe qu’il soit mort tué ou de mort naturelle bien des années avant) et celle de Mohammed Merah. Certes, ce n’est pas Tarik Ramadan qui en 2002 a publié un livre intitulé « La Charia mal comprise », présentant un texte viscéralement malin puisqu’expliquant la Charia, il banalise les effets de son application. Cependant, expliquer les prises de position de Ben Laden ou de Merah est, il faut en convenir, non moins lourd de conséquences.
Alors à quoi joue l’Occident ? Que sont donc devenues les valeurs de la République ? De qui se moque-t-on ? Car nos gouvernements ont faux sur tous les fronts.
De un, croyant accorder des droits particuliers à un islam agressivement ostentatoire, ils nuisent à ce même islam créant un effet d’amalgame entre islam et islamisme (lire wahhabisme ou islam politique). C’est là qu’on oublie qu’il y a bien l’islam laïque (même si cela paraîtra contradictoire à bien des lecteurs) d’un Bachar Al-Assad et l’islam agressif, dénaturé, littéraliste des Séoudes. Alliance se faisant avec ces derniers, on se demande si la France, tout comme d’autres pays occidentaux, a encore gardé ne serait-ce qu’un soupçon de bon sens. Je vous recommande la lecture des « Egarés » de Jean-Michel Vernochet où il décrit le rôle destructeur du wahhabisme au sein même de l’islam. Le choc des cultures s’approfondit au-delà de ce qu’il aurait pu être puisqu’il y a et rupture au cœur d’un islam très présent en France, et rupture au sein d’une société historiquement latino-chrétienne.
De deux, l’hypocrisie des élites politiques est telle qu’ils lancent des croisades contre des dictateurs qui pourtant ont les moyens d’endiguer la menace du totalitarisme islamiste important à la longue ce même totalitarisme en UE.
Ces deux effets réunis, on débouche sur l’image d’une guerre civile qui, qu’on le veuille ou non, est le seul dénouement envisageable. Qui en pâtira le plus ? Mais bien sûr, les Français non musulmans et les musulmans parfaitement intégrés qui sont, par extension de sens, non moins Français que musulmans. Le lancement de la chaîne qatarie Al-Jazeera ne fera que parachever un processus bien pernicieux.
A quand alors la disparition de ce que Mezri Haddad, diplomate, philosophe et écrivain tunisien appelle « la marée noire du pétro-wahhabisme » de « toute la Méditerranée d’Alger à Damas » ? Faute de pouvoir apporter une réponse précise, astreignons-nous aux points de suspension. T