En l'occurrence, le nœud de l'intrigue est simplissime. Un couple de jeunes autochtones se promène par un beau soir d'automne dans les rues de la ville quand tout à coup la jeune fille est indécemment abordée par un type de nationalité azerbaïdjanaise. Son fiancé qui s'empresse de prendre sa défense est aussitôt poignardé, le meurtrier et violeur manqué prend la fuite. Malgré le choc éprouvé et la brièveté de cette scène macabre, la jeune fille a réussi à identifier l'assassin arrêté quelques jours plus tard. C'est là que tout a commencé... ou plutôt c'est là que tout s'est poursuivi mais avec une intensité jusqu'alors inégalée puisqu'on a rarement vu - pour ne dire jamais vu à Moscou - des émeutes aussi généralisées. Personne n'a été épargné. Ni la police défendant la peau des commerçants caucasiens et asiatiques du quartier, ni leurs pastèques que la foule, mue par une colère irrépressible, projetait comme des missiles.
Certains médias français, vous vous doutez bien lesquels et je vous renvoie en particulier aux ratiocinations de l'Express (Russie : une xénophobie relayé par le Kremlin ... et ses opposants), ont tendance à établir un lien direct entre la politique ultra-nationaliste du Kremlin et les quasi-pogroms (l'hyperbole se devine entre les lignes) auxquelles se sont livrés des gens furieux de leur misérable condition, dans un quartier où il n'y a ni métro - quelle horreur, en effet ! - ni cafés, selon les dires de M. Dmitri Orechine dont l'analyse va dans le sens des thèses énoncées par l'auteur de l'article. Même M. Navalny, vache sacrée de la communauté bien-pensante, passe à la casserole. Le fait que ce dernier ait raté la succulente occasion de se démarquer une fois de plus de Russie Unie n'a pas secoué les médias... pourtant, si Navalny dénonce des « hordes d'immigrés illégaux » disséminées à travers la ville, c'est que, primo, il a trouvé une bonne possibilité de mettre Poutine sur la sellette ce qui exclut le contexte de xénophobie étatique introduit par l'article, secundo, c'est que, tout bonnement, ce problème-là existe (ce qui se prouve a contrario sachant que Navalny n'abonde jamais dans le sens du pouvoir s'il peut l'éviter) et sous-tend ce qu'il sous-tendait déjà en France dès les années Pompidou. Vous vous souvenez ? La sempiternelle litanie des avantages économiques acquis avec l'immigration de masse, cette main-d'œuvre certes sous-qualifiée mais si bon marché que nul patron ne saurait y résister.
Les petits entrepreneurs russes en sont aujourd'hui au même stade, c'est à croire qu'ils suivraient docilement leurs collègues occidentaux se souciant des conséquences envisageables comme de leur première chemise. Mais le problème est ailleurs. Tout comme en France, ou en Allemagne, ou au Royaume-Uni, en Russie aussi une certaine élite - pas toute, une partie seulement - essaye de tenir des discours intégrationnistes à l'eau de rose. Il n'y a pas de « gauche » à proprement parler en Russie. Mais il y a des gens qui, soit étant solidaires des petits patrons et (ou) des organisations du type SOS racisme dont ils tirent profit, soit faisant joujou avec un droit-de-l'hommisme qu'ils prennent pour de l'humanisme éclairé, singent de fausses Lumières. On peut parler d'intégration tant qu'on veut... jusqu'à ce moment désagréable où interviennent les chiffres. Ces derniers n'ont rien de rassurant. Entre janvier et octobre 2013, plus de 1600 plaintes ont été déposées contre des délinquants « non-slaves », c'est-à-dire, des ressortissants de la Transcaucasie et de pays tels que le Tadjikistan, le Khirgistan et l'Ouzbékistan. Idem pour 2012 sur la même période. Ces dépositions ont donné suite à des procès lors desquels la culpabilité des suspects avait été parfaitement démontrée. Qu'en est-il alors du chiffre réel, se demande-t-on ? Le 6 juin 2013, le Comité d'enquête avait relevé plus de 290.000 cas de violation des règles migratoires pourtant assez souples vis-à-vis des pays susmentionnés, un chiffre recouvrant une période d'à peine sept mois.
Le soulèvement populaire « xénophobe » dont s'indignent avec tant de verve les médias du mainstream français n'est donc pas xénophobe par essence. La colère des gens se cristallisait autour de ce que j'appellerais le triangle infernal avec, à son sommet, la corruption du service fédéral de migration, à ses extrémités, d'une part, les intérêts délétères des petits et moyens entrepreneurs, de l'autre, le refus des travailleurs immigrés de « faire à Rome comme les Romains ». Certes, il y a des Russes, tout comme il y a des Français violeurs et meurtriers. Ainsi, justement, à quoi bon favoriser l'expansion de ce phénomène hélas présent dans toutes les sociétés humaines en créant artificiellement des conditions favorables à cette expansion, tant sur le plan économique que culturel ?
Aujourd'hui, la Russie se révolte. Elle a raison même si, bien entendu, je ne justifie en aucun cas les actes de violence perpétrés. La France n'a jamais voulu en faire autant, partagée entre son étrange conformisme et son immense culture humaniste. Or, comme l'a si bien formulé Renaud Camus dans un entretien consacré à l’expulsion de Leonarda dont la famille se trouvait illégalement en France, « la morale n'est pas un choix entre le bien et le mal [mais] entre deux biens ou deux maux ». C'est peut-être détestable mais tellement vrai en politique. Soit on adopte une attitude soi-disant humaniste qui n'est autre que de la sensiblerie pure et molle et qui n'a plus rien à voir avec les intérêts économiques des patrons. Soit on devient « méchants », réalistes, ce que vous voulez, mais la France reste la France. Un choix extrêmement dur mais qui est à faire si on ne veut pas que le phénomène Birioulevo se manifeste en France sous une forme autrement plus grave, plus généralisée, plus incontrôlable. T