Des professeurs émérites de littérature, des docteurs ès arts et même un docteur psychiatre venant de France, des USA ainsi que de Russie et d’Ukraine ont pris part à ce colloque en y présentant des exposés bien intéressants consacrés à l’œuvre et à la personnalité de Marie Bashkirtseff. Elle était morte à l’âge de 26 ans. Très douée, talentueuse et avide de gloire, Marie était une fille unique, ses arguments féministes s’étant avérés trop progressistes pour l’époque. Aujourd’hui Marie devient de plus en plus connue en Ukraine et en Russie grâce à Tatiana Shvets, directrice de la fondation La Renaissance de la mémoire de Marie Bashkirtseff dont le but est de créer le musée de Marie Bashkirtseff dans sa patrie, à Poltava. Le colloque a attiré l’attention de beaucoup d’admirateurs du talent de Marie, dont Maї Perben, secrétaire général du Cercle des amis de Marie Bashkirtseffde France. Mme Perben nous a raconté l’histoire de son association et confié ses sentiments vis-à-vis de Marie et de son célèbre Journal.
Maї Perben: Le Cercle des amis de Marie Bashkirtseffen France existe depuis plus de dix ans. Grâce à Mme Ginette Apostolescu qui fut le maître d’œuvre de la publication intégrale du Journal de Marie nous avons publié pour la première fois le Journalen seize volumes.Mme Apostolescu est décédée et il y a un nouveau président Monsieur Jean-Paul Mesnage et nous publions un trimestriel qui concerne les œuvres de Marie sur sa vie, des extraits de son Journal, des photos que nous trouvons, que nous avons. Et c’est extrêmement bien fait. Je crois que vous pouvez le trouver sur notre site internet. On est très actif grâce à Jean-Paul Mesnage et nous avons publié en 2012 un livre sur des extraits du Journal de Marie Bashkirtseff.Nous avons pensé que 16 volumes c’était quand même beaucoup pour les lecteurs.
LVdlR : Madame Perben, et pourquoi la personnalité de Marie c vous intéresse à tel point ?
Maї Perben: « Elle m’intéresse puisque j’aime beaucoup ce qu’elle a écrit. J’ai découvert son Journal quand j’avais 17 ans. Je l’ai découvert parce que le livre était dans la bibliothèque de mes parents. J’avais 17 ans, je voyais le Journal de Marie Bashkirtseff,je repassais devant jusqu’au jour où je l’ai ouvert, je l’ai lu et je l’ai adoré. Et j’ai commencé à faire des recherches sur elle. Elle dit des choses très intéressantes. J’aime ce qu’elle dit sur les critiques du figaro. Lorsqu’elle est malheureuse, elle arrive à décrire ses sentiments particulièrement bien. Sa vie est quand même exceptionnelle : courte mais elle était très riche. Quand elle parle de sa penture, on sent qu’elle vit et qu’elle veut avance. Et bien, j’ai découvert [grâce au colloque] qu’il y avait beaucoup de gens qui s’intéressaient à Marie, beaucoup plus que j’avais pensé. Je suis très contente. Mais je souhaite que les gens ne se dispersent pas et lisent le Journal. Marie Bashkirtseff est une artiste complète. Je peux vous lire un petit extrait de ce qu’elle disait sur les artistes. Le dimanche 23 décembre 1883 : Les vrais artistes ne peuvent pas être heureux. D’abord, ils savent, eux, que la grande masse ne les comprend pas. Ils savent qu’ils travaillent pour une centaine d’individus et que les autres suivent leur mauvais goût ou le figaro. L’ignorance en matière artistique dans toutes les classes est effrayante. Ceux qui en parlent bien, répètent ce qu’ils ont entendu dire par les gens dits compétents.Moi, je trouve cette phrase extraordinaire. Puis il y a une autre phrase qu’elle a écrit quand elle était désespérée parce que Paul de Cassagnac avait épousé une autre femme qu’elle : Ames charitables, rappelez-vous de Paupaul et faites en son honneur un peu de spirite. Appelez-moi et faites moi causer, moi qui aime tant la vie et les vivants. Ne le prenez pas en riant. Il est probable que j’aurai tout dit, mais faites le pour moi.Elle est très touchante cette phrase. Vous voyez, elle appelle au public. Marie n’aurait jamais pensé qu’il y aurait un colloque sur elle. Et puis elle revient en force. J’ai été aussi étonnée qu’il y ait beaucoup de gens qui essayent de republier son Journal. Ce n’est pas de la traduction, c’est l’apprêt de microfilms. Madame Apostolescu a eu le courage de le faire et aussi elle a essayé de respecter la ponctuation de Marie… Elle était fidèle à Marie, il faut lui rendre hommage. »
Marie Bashkirtseff qui a dû partir en France avec sa mère quand elle était enfant s’est installé d’abord à Nice. Marie maîtrisait bien plusieurs langues dont le russe, le français et l’italien qu’elle parlait couramment. Elle était passionnée, notamment, par l’Italie, par Rome qu’elle visitait souvent. Walter Zidaric, professeur de littérature russe à l’Université de Nantes, a présenté à la conférence l’exposé Marie Bashkirtseff et l’Italie à travers ses carnets et son Journal intime. Ecoutons Monsieur Zidaric qui nous a parlé de ce qui liait Marie avec l’Italie ainsi que de ses côtés féminin et féministe :
Walter Zidaric : « Lorsqu’elle va vivre à Nice avec sa famille, Nice est devenue française depuis peu de temps, depuis 1860. Mais les Niçois parlent l’italien, il y a une culture italienne depuis plusieurs siècles même. Donc Marie est fortement influencée par la culture italienne, tout en étant dans un milieu francophone. Ce qui m’intéressait, c’est de voir comment l’Italie avait pu influencer son parcours artistique et personnel. Je me suis procuré de la dernière édition de son Journal qui est sortie en France déjà il y a quelques années. J’ai commencé à le lire et je dois dire que la lecture n’est pas très facile parce qu’elle écrit beaucoup. Pour moi, elle écrit un peu trop et tout ce qu’elle écrit, n’est pas très intéressant. Mais il y a une dynamique dans son écriture qui fait que, tout à coup, elle dit des choses absolument géniales pour une jeune femme de son âge, de 15-17 ans. C’est ça qui est intéressant, c’est d’essayer de comprendre la psychologie de cette personne. Elle est très féminine, elle est très coquette, elle aime beaucoup la mode. Dans son Journal il y a beaucoup de pages sur ses vêtements lorsqu’elle va se faire fabriquer des vêtements chez les couturiers et lorsqu’elle va en promenade, à l’Opéra. Mais j’ai l’impression que sa coquetterie change au fil des ans, je ne veux pas dire, lorsqu’elle vieillit car elle meurt tellement jeune. Alors lorsque la maladie avance, Marie a une forme de maturité très intéressante dans son Journal. Et là, j’ai l’impression que sa féminité se cache d’avantage. J’admire beaucoup ce que dit Marie dans son Journal quant au féminisme parce que déjà elle fait partie d’un milieu social qui ne considère pas le féminisme comme quelque chose de tolérable. Donc elle est vraiment très à l’avant-garde. Et c’est ça le message qui pourrait rester, outre que son aspect artistique. »
Le colloque a été solennellement couronné par le documentaire Rester dans la vie réalisé par Anna Chichko et consacré à notre héroïne Marie Bashkirtseff. Anna Chichko a essayé de transmettre sa propre passion vis-à-vis de Marie à travers le film :
Anna Chichko : « Avec Tatiana Shvets, directrice de la fondation La Renaissance de la mémoire de Marie Bashkirtseff, nous avons eu pour l’ambition de tourner un film, qui traduise la volonté de Marie Bachkirtseff de créer, de mener un train de vie actif, de s’adonner entièrement à l’art et, à la fois, sa préoccupation de laisser quelque chose après elle, car elle savait que sa vie ne serait pas longue. Nous avons voulu raconter les recherches menées depuis longtemps par Tatiana pour trouver des objets authentiques appartenant à Marie en Ukraine, à Poltava, à Nice, à Paris. Elle a fait connaissance des descendants de ceux à qui la mère de Bashkirtseff a offert des objets de Marie après sa mort. Dans le film nous contons cette histoire, en souhaitant de dévoiler toute la vie de Marie, sa vie privée, ses sentiments, son amour, ses habitudes. Nous montrons les lieux qu’elle avait habités et qui l’avaient inspirée… Tatiana et moi, nous nous sommes promenées dans les ruelles liées au nom de Marie. Toutes ces impressions, nous les avons incarnées dans le film Rester dans la vie. Il y a 20 ans j’avais déjà tourné un film en huit épisodes sur elle, qui s’appelait simplement Marie Bashkirtseff. Chacun des épisodes était consacré à un sujet, par exemple, au père de Marie, à l’Académie Julian, à Bastien-Lepage.
On me demandait souvent de l’histoire de mon intérêt porté à Bashkirtseff. Ce n’était pas qu’à cause de son Journal, bien sûr. Tatiana Shvets et son équipe ont réussi à recueillir des témoignages de l’époque, des objets datant de ce temps, à trouver des personnes liées à Marie, son parent Philippe Carrette, par exemple, le Cercle des amis de Marie Bashkirtseff, fondé par Mme Apostolescu.
Cette artiste m’a attirée par sa colossale énergie. Elle ne disait pas qu’elle était éminente, elle le sentait. Et une personne y a droit. Je crois que chacun de nous doit donner à ses enfants une chance d’un tel droit. Ne pas dire que c’est de la vanité ou un excès d’ambition. Je considère Journal intime de Marie comme une véritable œuvre littéraire, et cet avis est partagé par de nombreux grands poètes et écrivains, d’ailleurs. »