Quand la loi ne suffit plus… Analyse de l’ex-chef de la DNAT le préfet Roger Marion

S'abonner
Roger Marion n’est pas à présenter en France. Un grand nombre d’affaires ultra-sensibles, comme on dit dans le milieu proche de la police judiciaire, ont été traitées sous ses ordres directs, soit avec sa participation. Il s’est particulièrement et brillamment illustré lors de l’enquête liée à l’assassinat à Ajaccio du préfet de Corse Claude Erignac le 6 février 1998.

Chevalier de la Médaille d’honneur de la Police Nationale et Chevalier de la Légion d’Honneur, cet homme a toujours défendu la loi et l’ordre en vigueur en France. Blanchi sous le harnais, il reste toujours aussi vigilant qu’actif parce que même maintenant, l’ancien chef de la fameuse DNAT, Division Nationale Anti-Terroriste, ancien Directeur central adjoint de la Police Judiciaire chargé des affaires criminelles, est préfet honoraire. Lors de l’interview, il nous a donné son analyse des dernières deux décennies de la lutte anti-terroriste en France.

Roger Marion. Je précise que mes fonctions dans la lutte anti-terroriste étaient antérieures à ma nomination dans le corps préfectoral. Puisque j’étais en charge de la Division Nationale Anti-Terroriste au sein de la Direction centrale de la Police Judiciaire. Et ensuite j’ai continué à avoir cette division sous mon autorité lorsque j’ai été nommé en octobre 1999 directeur central adjoint de la Police Judiciaire chargé des affaires criminelles. Cette période à la tête de la DNAT a été marquée d’abord par la campagne d’attentats islamistes en France, en 1995, qui ont endeuillés la capitale et qui se sont poursuivis dans la région lyonnaise. Et bien évidemment cela a été la première fois que l’on avait affaire à cette forme de terrorisme, celle des groupes islamiques armés constitués après l’interruption du processus électoral en Algérie en 1991. Cette campagne d’attentats a été menée en France avec l’appui des jeunes qui étaient recrutés dans les banlieues et endoctrinés pour conduire le jihad. La particularité de ces actions c’est que les engins explosifs étaient similaires à ceux qui étaient employés à l’époque en Algérie contre le pouvoir en place. Tous les ingrédients pour constituer ces engins explosifs pouvaient se trouver dans le commerce. C’étaient ce qu’on pouvait appeler, des bombes artisanales ou, plus techniquement, des engins explosifs improvisés. Ces engins étaient conçus pour tuer, notamment par l’adjonction d’éclats vulnérants c’est-à-dire des objets métalliques – boulons, écrous – et placés dans une enveloppe métallique. Ils étaient déposés dans les lieux publics – métro, RER – où le confinement multipliait les effets de l’explosion.

L’enquête ou les enquêtes ont abouti grâce, d’une part, à l’exploitation de la documentation qui avait été rassemblée lors des premiers enlèvements des ressortissants français en Algérie et des menaces qui avaient été proférées à l’égard de la France et qui avaient donné lieu à l’époque aux opérations du 9 novembre 1993 sous la direction du Ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. C’est ce qui a permis de s’attaquer à toutes les ramifications du terrorisme islamiste qui s’étaient implantées sur le territoire national. Il sera démontré qu’il y avait également des connections dans tous les pays d’Europe, notamment en Angleterre. Ces jeunes-là déjà à l’époque allaient se former et suivre des stages de maniement d’armes et de l’utilisation des explosifs via le Pakistan en Afghanistan.

VDLR. Quelle est votre prise de position par rapport à la conjoncture actuelle ?

Roger Marion. Ce qu’il faut souligner, c’est que la France est dotée d’un arsenal juridique qui est, disons, très intéressant. Dans notre législation on n’a pas été en mesure de définir ce qu’est l’acte terroriste. Alors on a élaboré des dispositions antiterroristes, dans une loi fondamentale, celle du 9 septembre 1986. Et dans cette loi il y a l’énumération d’infractions criminelles ou délictuelles de droit commun, qui sont qualifiées de terroristes lorsqu’elles sont commises dans les circonstances bien définies. Ces circonstances sont les suivantes : lorsque c’est le fait d’une entreprise individuelle ou collective de nature à troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. On s’aperçoit que dans cette définition la notion d’ordre public est substituée à la notion d’atteinte à la sûreté de l’Etat qui prévalait jusqu’en 1981 qui a connu l’abrogation de la loi sur les atteintes à la sûreté de l’Etat.

Donc c’est cet arsenal juridique qui nous permet aujourd’hui de lutter contre toutes les formes de terrorisme. On voit bien que cela peut être le fait d’une entreprise ou individuelle ou collective. C’est-à-dire qu’il faut lutter contre les réseaux et leurs ramifications. Mais c’est une méthode qui a été mise au point au fur et à mesure de la lutte encadrée par cette loi pénale, toujours sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Ce qui veut dire que la police n’agit que sur délégation judiciaire. Les attentats de 1995 auxquels je faisais référence au début de mon propos, ont effectivement trouvé leur solution au travers des enquêtes judiciaires.

Pour lutter contre le terrorisme aujourd’hui et contre les réseaux qui se sont développés depuis, et qui ont pris un autre nom, mais en 1995 déjà, il y avait les sources de financement terroristes, déjà apparues par l’entremise du milliardaire saoudien Ben Laden. Tout cela est le financement qui venait de l’étranger y compris le financement de la campagne d’attentats menée en 1995 en France depuis Londres par Rachid Ramda.

Aujourd’hui la menace est encore bien présente. L’avantage de cette loi anti-terroriste c’est de pouvoir conjuguer ses dispositions avec le délit d’association des malfaiteurs terroriste. Parmi les dispositions de procédure pénale dérogatoires au droit commun, il y a notamment la possibilité de procéder à des perquisitions coercitives de jour et de nuit et l’allongement des délais de garde à vue. En 1995, il n’y avait pas l’incrimination d’association de malfaiteurs terroriste. Cela a été rajouté après le démantèlement des réseaux à l’origine des attentats de 1995. L’intérêt est donc de pouvoir intervenir avant le passage à l’acte à la condition de démontrer l’existence d’un projet criminel ou délictuel. C’est donc la conjonction des infractions de droit commun commises dans certaines circonstances déjà décrites et avec la démonstration du délit d’association des malfaiteurs terroriste qui permet de s’attaquer aux réseaux terroristes avant la commission du crime ou du délit.

Commentaires de la Rédaction. Nous voyons bien que Roger Marion est un homme pourvu d’une grande lucidité. Déjà en 1996, il voyait les prémices de ce qu’on est en train de vivre aujourd’hui. La loi a évolué, mais les terroristes, soutenus par l’étranger, sont presque sortis de l’ombre ce qui, à notre sens, requiert peut-être une autre forme d’organisation de lutte avec, éventuellement, une plus grande implication du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité (développement du plan Vigie pirate, etc.), car c’est toute la France en tant qu’un Etat laïc et indépendant qui est dans le collimateur.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала