Voici ce que nous a raconté par téléphone Ivan Saperov, chef adjoint de l’administration du district Nagaïbakski depuis le bourg Paris :
Tout a commencé le 3 août, - dit-il. – En deux semaines de pluies diluviennes nous avons eu la norme d’un mois et demi de précipitations. Parij est traversé par la rivière Kyzyl-tchilik (Ruisseau rouge, en russe). Et voilà que lundi nous avons vu l’eau monter. Il faut expliquer qu’à côté de Parij il y a la réserve naturelle Annninski – le partage d’eaux entre Kyzyl-tchilik, qui coule vers le sud et deux autres rivières coulant vers le nord. Le relief de ce lieu marécageux rappelle une crêpe aux bords retournés. Lorsque les pluies sont abondantes le marécage ne parvient plus à absorber les eaux, qui provoquent alors des crues des rivières. Cette fois il y a eu énormément de la flotte, et nous avons compris que Parij se retrouvera sous l’eau. C’est ce qui est en effet arrivé.
Commençons par un peu d’histoire de l’apparition de Paris au fin fond de la Russie. A la fin du 18e siècle ici se trouvait un poste fortifié des Cosaques, protégeant les frontières méridionales de la Russie. Au milieu du 19e s. sur ordre de l’Empereur Nicolas 1er on y a fait installer les Nagaïbaks – Tatars convertis en orthodoxie un siècle avant – ayant obtenu le statut de Cosaques. En 1812 le régiment de cavalerie des Cosaques Nagaïbaks a pris part à la guerre contre l’armée de Napoléon. Le régiment a aussi participé à la marche sur Berlin, à la « bataille des peuples » près de Leipzig, à celles d'Arcis-sur-Aube, de Fère-Champenoise sur Marne, est allé jusqu’à Paris. Pour commémorer les victoires de l’armée russe en Europe, bien des localités dans le sud de l’Oural ont reçu, sur oukase de l’Empereur, les noms de villes européennes. C’est pourquoi il y a aujourd’hui dans la région de Tcheliabinsk des localités Paris, Cassel, Leipzig, Arcis, Berlin. De nos jours Paris (Parij) est un grand village typique de 1780 habitants au mode de vie paysan, comme il y en a beaucoup en Russie. Mais il y a une différence : le bourg a gardé une planification régulière des quartiers. On y compte 11 rues, dont la plus longue est de 3 km. Paris comprend 751 maisons d’habitation, chacune avec bâtisses auxiliaires pour bétail et volaille, jardin, potager, bain. Au centre du village des bâtiments à étage de l’administration, de l’école, où l’on enseigne, d’ailleurs, le français. Il y a des commerces avec pratiquement tout ce qu’on trouve dans les villes, la poste, une école maternelle, un poste de secours médical. Il y a la canalisation, Internet, la téléphonie mobile. L’unique entreprise « Areant » s’occupe de l’élevage. La fierté du bourg est la tour de téléphonie cellulaire copiant en réduit la Tour Eiffel et mise en service en juin 2005. En somme, un beau village, entouré de forêts et de champs. Tel, du moins, il restait jusqu’au 3 août. Anticipant sur une inondation imminente, l’administration a préparé un plan d’opérations de secours, a prévenu les habitants de l’éventuelle évacuation, a fait des réserves de denrées alimentaires, d’eau potable, de médicaments. D’avance, toutes les femmes qui devaient accoucher et les handicapés et vieux ont été transférés au centre du district, dans le village Fère-Champenoise, qui n’était pas exposé. « Pour quelque raison inconnue, - dit Ivan Saperov, qui est, d’ailleurs, officier de l’armée à la retraite, le malheur arrive le plus souvent la nuit, et nous avons, donc, décidé d’envoyer des patrouilles de nuit sur la rivière Kyzyl-tchilik ».
A 2 heures moins le quart je me trouvais au poste le plus éloigné, à quelque deux km de Paris, - poursuit Ivan. - Et c’est là que la première vague est arrivée. Nous avons commencé à réveiller les gens, à donner l’alerte. Les gens endormis ne comprenaient pas tout de suite l’urgence de quitter leurs maisons et de se rassembler près de l’école, comme prévu. Certains ne voulaient pas. Mais quand ils ont vu les eaux arriver par trois rues parallèles, ils ont enfin compris ce qui se passait. En une heure et demie nous avons évacué 80 pour cent de la population de Paris. Quelque 800 adultes ont été installés dans le bâtiment de l’école, les enfants et les personnes âgées – dans l’école maternelle. Beaucoup sont partis chez leurs parents habitant des quartiers où l’eau ne pouvait pas monter. A l’aube on a pu évaluer l’ampleur des dégâts – le centre de Paris s’est transformé en un lac boueux d’un kilomètre et d’un mètre de profondeur. Les inondations ont touché les trois quarts du territoire du bourg, en n’épargnant que des ruelles éloignées de la rivière et des immeubles d’habitation à étages.
Le matin, - poursuit Ivan Saperov,- pour ceux qui restaient assemblés à l’école et le jardin d’enfants on a organisé de la nourriture chaude, une aide psychologique - pour certains, en les rassurant que l’aide viendrait. Ton accède normalement à Paris par trois routes. Et toutes étaient sous l’eau, comme les ponts. Les torrents étaient tellement puissants qu’ils balayaient même les camions. L’électricité a été débranchée dans tout le bourg. L’évacuation se déroulait dans le noir, mais le matin on a lancé des génératrices. En somme il n’y a pas eu de panique particulière. Vers le soir l’aide est arrivée – plusieurs tout-terrain amphibies de l’armée ont réussi à accéder au bourg avec des médecins, des vivres et ce qui est essentiel avec de l’eau potable. Quelques jours après l’eau a cesse de monter, et vers le soir du 13 août s’est retiré dans le lit de la rivière. Certes, le village a subi de grands dégâts : potagers et jardins rasés, des arbres arrachés dans la forêt et apportés par les eaux. Quelque 200 maisons ont été fortement endommagées, mais seulement une dizaine – détruites. On a su sauver le gros bétail et les porcs. Or beaucoup de volaille et de lapins ont péri. Mais le principal qu’il n’y a eu une seule victime à déplorer tellement bien l’évacuation a été menée, reprend son récit Ivan. – Les militaires nous ont aidés à rétablir vers le troisième jour l’approvisionnement en électricité, les télécommunications. A présent ils aident les habitants à déblayer et à nettoyer les rues dans le bourg. Une commission spéciale établit les pertes matérielles après l’inondation pour dédommager les villageois en argent. En gros, la vie commence à retrouver son cours normal, bien qu’il faille encore beaucoup faire pour redonner au bourg l’aspect qu’il avait. La carte de visite du village Paris – sa tour Eiffel en réduit n’a pas souffert, même si le square autour d’elle était sous un mètre d’eau, termine son récit avec fierté Ivan Saperov