Dans sa traduction littérale, le nom du groupe donnerait en français « Les assoiffés de sang », une belle apologie de la violence, si on pousse le raisonnement plus loin. Le problème, c’est que quand on a rien à dire, il vaut mieux cacher sa nullité derrière des appellations prétendument épatantes. Tel fut, par exemple, le cas des Pussy Riot dont le nom, Pussy et Riot assemblés, renvoie surtout au registre gynécologique.
Or, comme les nuls sont aussi souvent de grands farceurs, surtout quand il s’agit de se produire devant un grand public, les gars du Bloodhound n’échappent pas à la règle. Jared Hasselhoff, bassiste du groupe, a fourré un drapeau russe dans son pantalon, reproduisant un geste assez typique quand on se trouve aux toilettes. Il a ensuite ressorti le drapeau par derrière, l’air ravi par cet acte hautement intellectuel. La scène a eu lieu lors d’un concert donné à Odessa, ville à présent ukrainienne. Un peu plus tôt, toujours en Ukraine, le même hurluberlu avait uriné sur le drapeau ukrainien en présence d’un grand nombre de spectateurs.
Et maintenant, petit zoom sur les réactions de deux pays slaves, donc, deux pays fraternellement liés. Juste après son arrivée en Russie, à Anapa, les Bloodhound ont été très « chaleureusement » accueillis par la population locale, à savoir par un groupe d’hommes portant des T-shirts de l’« Armée des Cosaques de Kouban », mouvement traditionnel, ultraconservateur comme le qualifient certains médias occidentaux dans un sens viscéralement péjoratif. Ce lynchage aussi exemplaire que légitime a été suivi d’une réaction plus mesurée – mais peut-être plus grave – des autorités compétentes qui, blessées dans leur sentiment national, ont exigé qu’une enquête des plus détaillées soit menée visant à savoir qui avait invité ces arriérés mentaux en Russie en finançant leurs concerts et en leur fournissant, avant tout, une scène. Andreï Issaïev, haut responsable du parti Russie Unie, a demandé à ce que tous les membres du groupe soient d’emblée interdits d’entrée dans le pays, soutenu en cela par Alexandre Tkatchev, gouverneur de la région de Krasnodar. Peut-être me trouverez-vous vieux jeu ou traditionnaliste bornée, mais j’avoue soutenir aussi bien la correction musclée administrée par les Cosaques à ces obsédés du derrière que les mesures juridiques qui devraient être adoptées à leur encontre. Comme l’a si bien dit un de nos fidèles lecteurs, « on ne répond pas à des crachats par la politesse ». Imaginez le même type de performance de la part d’un ensemble russe aux USA avec le drapeau américain. Rien qu’à y penser, je commence à faire des cauchemars.
Et maintenant, quid des Ukrainiens ? On sait que le niveau de conscience étatique des élites d’un pays se mesure à l’aune de son expérience historique. Taraudée, d’une part, par des tensions internes dues aux relations disharmonieuses de la partie est et ouest du territoire, l’Ukraine manque d’autre part d’expérience étatique pour n’avoir jamais été vraiment indépendante. Ces deux facteurs pourraient expliquer le silence tombal symptomatique des autorités suite à la profanation du drapeau national. D’une manière analogue, il indique le degré d’asservissement d’un Etat pourtant supposément souverain aux petits abrutis du show-biz du moment que ceux-ci viennent de l’Outre-Atlantique, d’une Amérique qu’ils continuent à admirer, aveuglement, comme si elle était mesure de toute chose, démocratie y compris.
Un autre aspect de l’histoire transparaît qui montre que les récupérations médiatiques auxquelles on s’attend n’interviennent pas toujours. Ni Le Figaro, ni Le Monde n’ont passé en revue ce double incident folklorique qui pourtant aurait pu donner lieu à de nouveaux pamphlets contre le régime totalitaire de Poutine. On aurait pu évoquer, selon un scénario rabattu et presque irréprochable, la douloureuse ascension de l’Ukraine vers les hautes cimes de la démocratie. On aurait pu, au même titre, accuser la Russie de tous les péchés du monde, quitte à téléporter l’un des musiciens derrière les barbelés d’un petit coin secret d’Anapa. Rien, strictement rien n’a été fait dans ce sens. Objectivité oblige, Le Matin, média suisse un tantinet populiste, a publié un article au titre … attendrissant : « Bloodhound Gang agace la Russie » avec, au-dessous, comme un nom de rubrique : « Guerre Froide », celui-ci en lettres capitales. Superbe amalgame révélant une fois de plus que toute réaction coercitive adéquate contre les USA sous-tend un climat de guerre froide.
Comment expliquer, partant de là, le mutisme suspect des principaux médias français ?
- Primo, il semble qu’il répugnerait à la France (et aux pays membres de l’UE d’une manière générale) de rapporter des faits ridiculisant tout ce qui pourrait, de près ou de loin, concerner les USA.
- Secundo, la réaction de la Russie prouve bien que son système immunitaire est en forme, que toute atteinte à sa souveraineté est aussitôt compensée par des mesures pertinentes.
Reste maintenant à se demander qui a fourni aux Bloodhound un drapeau russe alors qu’ils se trouvaient à Odessa. Reste également à savoir qui a fait venir le groupe en question à Anapa, sachant que le Ministère de la Culture n’avait pas été mis au courant de leur déplacement. En attendant, les théoriciens du pissoir doivent bien se dire que les grands jours de leur impunité sont comptés et que les provocs dans le style « je joue à la guerre froide » seront réprimées comme il se doit.
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