L’Extrême-Orient est de loin la région la plus sensible pour la Défense russe. Lorsqu’on parle de l’étendue terrestre des frontières qui s’étirent jusqu’au Pacifique, on est presque pris de vertige. Défendre des marches intenables parce que trop exposées, relèverait de la mission impossible. Et pourtant la Russie impériale, suivie de l’URSS et, après son implosion, la Russie moderne réussissent à gagner ce pari et à s’en sortir. Ceci dit, plusieurs problèmes se chevauchent ou plus exactement se greffent l’un sur l’autre. Ainsi donc l’Empire tsariste n’avait affaire qu’à des peuples à coloniser, dont la Chine de l’époque, ou bien à des bandes de brigands tenus en échec par les Cosaques, ces gardes-frontières au service de l’Empereur de Russie. Quant à l’URSS, elle n’avait pas tellement peur de ses voisins qui, dans les années 30 et 40, étaient encore sous-développés. Mais la menace émanant du Japon qui se servait de la tête de pont qu’était la Corée planait. On a toujours en mémoire les événements de Khalkhin gol, bataille contre les Japonais d’où l’Armée rouge est sortie victorieuse. Par contre l’explosion de la bombe atomique au-dessus des villes Hiroshima et Nagasaki semble avoir effacé à jamais le spectre samouraï qui hantait jadis l’Extrême-Orient. Les Russes eurent les coudées franches et en profitèrent pour implanter des usines d’aéronautique et des chantiers navals dans la région. On pense notamment à Khabarovsk et Komsomolsk-sur-Amour se trouvant à 400 km au nord du Transsibérien. Ou encore à l’usine d’avions de combat Soukhoï installée à Irkoutsk. L’industrie militaire a pris son essor, mais un nouveau danger surgit avec la montée en puissance de la Chine. Pourtant après l’époque maoïste, le tigre jaune n’a jamais lancé de défi militaire à son voisin immédiat, l’ours russe. Les Chinois choisirent la tactique de l’infiltration commerciale et pacifique rendant caducs les efforts de la défense russe devenus inutiles.
Qui plus est, l’aigle bicéphale a su jouer la carte des 2 pôles d’attraction dont l’un est l’Europe et l’autre – l’Asie. Il est extrêmement difficile, voire impossible d’organiser un blocus commercial durable du continent russe. La Russie peut facilement tourner le dos à l’Europe pour batifoler avec l’Asie.
Cette analyse est censée expliciter le côté superflu de l’organisation de la défense conventionnelle militaire de la région de l’Extrême-Orient. Nonobstant toutes les particularités géostratégiques, on a eu la surprise d’observer le déploiement militaire lancé par Vladimir Poutine dans cette région-là précisément. La raison de ces manœuvres est restée hermétique, aucune circonstance ne présageant une telle initiative. Menées tambour battant, les grandes manœuvres russes ont démontré un niveau de préparation militaire des troupes défiant toute concurrence. Poutine en a d’ailleurs complimenté Sergueï Choïgou, ministre de la Défense russe. Après la fin de l’exercice militaire, une autre surprise a été à l’avenant de la première. Le premier ministre russe Dimitri Medvedev a annoncé la rédaction d’une nouvelle doctrine militaire dont la nécessité vient d’être corroborée par le résultat des manœuvres dans la région de l’Extrême-Orient. Je vois bien l’effort cérébral des analystes internationaux qui ont du mal à saisir le fond de l’idée du Kremlin. Un nouveau Livre blanc de la défense russe, mais pour quoi faire ? Le Kremlin n’aurait-il pas d’autres chats à fouetter ?
A mon sens, l’explication s’avère être toute simple : le problème de l’Extrême-Orient est lié à celui de la voie du Nord qui longe les côtes russes dans l’océan Arctique. Cette voie vient d’être rendue navigable presque toute l’année grâce au réchauffement planétaire. Pour défendre les richesses polaires russes il faut un Extrême-Orient fort, bien développé et doté des moyens logistiques qui à ce jour manquent si cruellement à la Russie contemporaine.
Enfin les temps sont tellement incertains que la Russie semble vouloir pratiquer un nouveau concept de défense qui serait la défense tous azimuts, réplique fidèle du concept soviétique. Au cours des deux dernières décennies, la Russie appliquait plutôt le principe de la force d’action rapide pour parer aux coups ponctuels équivalant à des attaques terroristes. Là on voit Moscou réviser ses classiques et changer de stratégie. T
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