Alexeï Navalny a été condamné à cinq ans de prison. Si un procès en appel confirmait cette décision, Navalny ne pourrait plus officiellement représenter l’opposition, écrit le quotidien Nezavissimaïa gazeta du 19 juillet 2013.
C'est ce que disent des amendements récents à la législation. Navalny pourrait rester un blogueur populaire, un critique du pouvoir, une locomotive idéologique de l'opposition et un leader informel des protestations. Mais il serait obligé de transmettre à un autre le capital politique dont il ne pourra pas se servir.
L'opposition est-elle prête à vivre comme ça ? Pour le moment il n'existe visiblement pas d’alternative à Alexeï Navalny parmi les opposants. Son charisme est multiple : de son apparence photogénique jusqu’à ses capacités de suggestion en passant par la force de persuasion populiste et la passion. Sergueï Oudaltsov est lui-aussi passionné mais Navalny est beaucoup plus souple du point de vue idéologique, ce qui est très important : Oudaltsov, leader de l’extrême-gauche, aurait des difficultés à rassembler les votes de groupes d'électeurs différents.
Le charisme est un facteur plus qu’important. Le programme d'Alexeï Navalny en tant candidat à la mairie de Moscou montre que la campagne ne portera pas sur l'affrontement des idées (les propositions de Navalny et de Sobianine sont très semblables), mais sur l’image et la réputation. Si cet accent (l'opposition "honnête" contre le pouvoir "corrompu") est stratégique pour les critiques des autorités, la condamnation du blogueur porte un coup très sérieux à l'opposition dont la régénération prendra beaucoup de temps. Alexeï Navalny est celui qui a recueilli le plus de votes lors des élections au Conseil de coordination de l'opposition russe en automne dernier, pour devenir de fait le leader d'une structure qui se caractérise par une hétérogénéité idéologique et des conflits internes. La situation autour de ce conseil reflète l'attitude de l'opposition : les émotions prévalent sur le contenu. Ainsi, toute structure d'opposition ressemble plutôt à un groupe religieux s'attendant à la fin du monde (la chute du régime, la création immédiate d'un meilleur monde) qu'une force politique rationnelle qui a un plan concret d'arrivée au pouvoir.
Les politiques d'opposition répondent pourtant aux critiques concernant l'absence de programme en présentant une pile impressionnante de feuilles de papier. Autrement dit, pratiquement tout le monde dans ce milieu possède un texte nommé le Programme. L'opposition a toutefois beaucoup de peine à présenter publiquement ses idées de manière convaincante. Elle poste énormément de déclarations et de jugements sur internet mais n'arrive pas à choisir trois ou quatre thèses qui contiennent une vision compréhensible et attractive de l'avenir, se distinguent clairement des propositions du pouvoir et soient en mesure d'attirer l'attention. Cette situation s'explique partiellement par les capacités de certains opposants et surtout par l'amorphie idéologique de l'opposition, des hésitations incessantes entre divers discours et groupes sociaux.
L'activité et le charisme d'Alexeï Navalny pouvaient surmonter cette amorphie, la division idéologique inévitable de l'opposition, son progrès vers la politique réelle prévoyant notamment un compromis avec le pouvoir. Navalny a tout simplement couvert ses lacunes en se transformant en idée, slogan, programme. Pour le moment l'opposition est incapable de compenser cette perte du point de vue personnel ou structurel. Elle sera donc obligée de changer ses principes de fonctionnement et de présentation publique ou devra attendre une "chute inévitable et rapide su système".