Des brebis au milieu des loups

Des brebis au milieu des loups
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Objectif et subjectif. Réel et imaginaire. Une vérité et La Vérité.

Chacun tend, volontairement ou inconsciemment, vers le point culminant de sa propre vie. Chacun aborde les obstacles avec plus ou moins de sérénité. Chacun essaye de choisir son destin. Il y a parmi nous des héros et des lâches, des gens simples et des gens compliques (parfois trop), ceux qui sont en permanence en première ligne, et ceux qui se cachent derrière le dos des autres.

Dans la précipitation et le rythme effréné de nos jours, nous oublions… ou, tout simplement, nous ne voyons pas ceux qui sans se prendre pour les supermans, s’engagent dans l’armée terrestre des missionnaires au service de l’armée céleste.

Quand on prend l’Evangile de Saint-Mathieu, on y trouve : « Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes. » Ces textes, maintes fois lus et relus, expliqués et interprétés, sont une loi et une directive pour des milliers des prêtres partis en mission à l’autre bout du monde, dans les conditions souvent extrêmes. Dans les conditions ou ils ont réellement besoin de la sagesse et prudence de serpent, de la simplicité et ouverture de leur âmes de colombe.

Qui sont ces missionnaires et prêtres, souvent persécutés et enlevés ? Qu’est-ce que les pousse à accepter ces missions ? Peut-on parler d’eux comme des nouveaux martyrs du XXI siècle ?

Nous avons posé ces questions à Père Lucas Chuffart qui dessert la paroisse Saint-Louis-des-Français de Moscou.

Lucas Chuffart. S’il faut parler des martyrs d’aujourd’hui, j’ai le cas de trois confrères assomptionnistes au Congo démocratique dans la région de Kivu qui est soulevé en ce moment par la guerre civile, entre autres par la Rwanda et l’Ouganda qui veulent avoir la main mise sur les richesses minières, il y a de l’or, il y a de coltin et beaucoup d’autres métaux dans cette région. Ils déstabilisent la population pour essayer de s’implanter. C’est à deux mille kilomètres de la capitale, et, comme le gouvernement est faible, il n’y a plus d’état de droit. Il y a des détachements de la MONUC (Mission de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo) présents sur place au nom de l’ONU, mais ces détachements se contentent de constater, d’être des observateurs. Ils n’interviennent pas, même quand il y a des cas dramatiques de mort, de viol de femmes. Il y a comme début de génocide de ce cote-là. Il a de temps en temps, c’était rare, les enlèvements des personnes.

C’est pour la première fois que dans cette région trois prêtres sont enlevés. Voilà comment cela s’est passé : dans la nuit les hommes armés et habillés comme des soldats se sont arrêtés devant la maison des prêtres. C’est au bord de la route, je connais bien l’endroit, j’y suis allé souvent quand j’ai vécu sept ans là-bas. Ils ont frappé aux portes de la maison, les trois premières portes se sont ouvertes. Dans la nuit ils ont enlevé trois prêtres. Ils savaient très bien que c’étaient des prêtres, à coté de l’église. Il y avait le quatrième qui a fermé la porte à clé, ils n’ont pas réussi à l’ouvrir. Ils n’ont pas forcé la porte, ce qui veut dire qu’ils voulaient l’enlèvement rapide pour faire choc.

La difficulté est que ces trois prêtres, on ne sait pas par qui ils ont été enlevés. On ne sait pas pourquoi on s’attaque à l’église catholique spécialement. On commence à le savoir petit à petit. Et, on se demande ce qu’ils sont devenus. Ça s’est passé au mois d’octobre 2012 et on n’a toujours aucune nouvelle. Ces trois prêtres n’avaient rien de spécial, aucun d’eux n’était un grand orateur ni un membre d’une organisation qui aurait pu attirer l’attention. Ils étaient simplement au service de leur paroisse. Le plus âgé est Edmond Bantupe que j’ai connu, il est un peu plus jeune que moi, j’étais présent lors de son ordination. Le plus jeune est Anselme Wasukundi, il a été mon novice. J’ai participé à sa préparation et je le connais : je sais que c’est un homme solide et qu’il peut résister des longues mois dans la forêt, dans les conditions extrêmes. Mais, quand même se ne sont pas des situations qui soient envisageables, ni souhaitables. Et le troisième, Jean-Pierre Ndulani, est arrivé d’Ecosse ou il a passé sept ans comme aumônier après des personnes âgées. Et en même temps il a passé le Master d’économie. Il était prévu qu’il travaille dans l’économie, et dans les économats de nos paroisses.

Et voilà que brutalement cette chose est arrivée.

C’est sûr que là-bas les religieux, avec les Belges en premier, sont présents depuis 1929. Depuis nous avons développé tout un circuit d’églises, d’écoles, des dispensaires. Maintenant, une radio locale qui est très écoutée. On s’est demande si cet enlèvement n’était pas lie au problème d’information. Pour dire à l’église : maintenant vous vous taises, vous ne dites pas tout ce qui se passe, vous ne dites pas les inégalités sociales, vous ne dites pas les injustices, vous ne dites pas les viols, vous ne dites pas les villages qui sont brulés, et à ce moment-là on vous laissera tranquille.

Ce qui nous trouble un peu, est que le lendemain, en fin de la nuit, un autre groupe soit venu et ils ont emporté des civils. Dont le cuisinier de la communauté et deux autres personnes. Depuis, on s’est demandé si ces enlèvements n’étaient pas dû à des rapts pour avoir des ouvriers dans les mines d’or, dans les cois extrêmes du foret ou il est difficile de vivre. Que c’est pour les avoir en esclaves, peut-être. En tous cas, dans ce cas ils seraient vivants. Sinon, comment une petite bande de rebelles peut tenir en otage trois personnes, six personnes ? Au bout d’un moment, ils arrivent à la situation extrême : les exterminer et les faire disparaître dans la foret.

Nous pensons à nos frères. Toutes les actions ont été menées, jusqu’à Rome, jusqu’au Cour de justice. Pour l’instant, il n’y a pas de solution. L’Evêque est obligé d’être très discret, parce que si on parle trop, soit la rançon pourra être augmenté, soit on pourrait les brutaliser en disant « puisque vous êtes objet de tant d’attention, vous serez supprimés »

LVdlR. C’est toujours très délicat, parce que, d’une part, il faut en parler, et, d’autre part, il ne faut pas en parler trop. Quelle est l’espoir de les retrouver ? Puisque ce ne sont pas les personnes médiatisées comme cela peut être le cas des journalistes, par exemple. Est-ce qu’il n’y a que l’Eglise qui s’en occupe pour l’instant ?

Lucas Chuffart. L’Eglise et des associations qui connaissent la façon d’intervenir. Par exemple, je vais citer l’association "San Egidio" qui est forme de diplomates à Rome, reconnue par l’Eglise, et qui intervient dans les zones de conflits, notamment en Afrique. Bien-sûr, il faut que ça se passe dans une grande discrétion. Peut-être que des pistes pourront être trouvés pour qu’on les retrouve vivants. Aucun montant, ni aucune rançon précise de quelqu’un n’a été demandé officiellement. Bien-sûr des filous ou des voyous, des mafieux vont essayer de gagner une rançon sans qu’il y est de résultat. Il faut être très prudent dans tout ce qui est proposé comme solution. Il faut recouper l’information pour savoir éventuellement ou ils se trouvent, aux mains de qui, comment on pourrait les faire libérer.

Ceci me fait penser, puisqu’on parlait des martyrs de nos églises, martyrs de la foi, la foi chrétienne… il y a, peut-être, dans d’autres religions, mais nous, on connait cela… qu’à Rome, dans la grande Eglise de Saint-Bartholomé-sur-Ile cette association "San Egidio" a fait un souvenir à chaque étape de l’église, chaque bas-côté, pour les martyrs du XX siècle. Même si les chapelles sont consacrées à Sainte-Bernadette, Saint-Jean ou Sainte-Monique, devant on a mis un tableau avec le nom, le chiffre, de tous les martyrs pour leur foi au cours du XX siècle. Je crois que c’est à l’honneur de la communauté "San Egidio" qui anime la pastorale dans cette grande Basilique Notre-Dame de Trastevere et l’Eglise de Saint-Bartholomé. Je pense que nos frères font partie de cette longue liste de martyrs pour la Foi.

LVdlR. Là, il s’agit des personnes originaires de Congo, mais il y a beaucoup de missionnaires qui vont en Afrique, en abandonnant leurs familles, leur Patrie, leurs habitudes et vont dans les pays lointains. Pourquoi ils y vont ? Quels sont leurs motivations dans le monde actuel de devenir un missionnaire à part entières?

Lucas Chuffart. Votre question est immense. Je fais référence à l’Evangile. Quand Jésus dit aux Douze Apôtres : « je vous envoie comme des brebis au milieu des loups » C’est dans Saint-Matthieu, chapitre 10. Bien-sûr, l’Evangile a été écrit après la mort de Jésus, et après sa résurrection, mais cela veut dire qu’à ce moment, au moment où on l’écrivait, les Evangélistes, les Apôtres se sont souvenus que Jésus leur a dit : « Vous irez plus loin que Jérusalem, plus loin que la Palestine » Il ne leur aura imposé, il a désigné ses disciples, il les a envoyé en mission. Parce que quand on croit en quelque chose, quand on croit en amour de Dieu, on veut que les autres puissent aussi connaitre cet amour de Dieu.

Donc, ça oblige à un déplacement, a l’envoi dans les continents et des cultures qui ne sont pas les nôtres. Ça pose un grand problème. Comment respecter la culture de ceux chez qui nous sommes envoyés, tout en gardant notre identité. Il y a une dynamique, un mélange, l’inculturation qui est nécessaire, qui doit durer longtemps, qui dure encore. On ne peut pas dire que l’Eglise catholique est implantée totalement, même en Amérique Latine. Ils avaient les coutumes, les religions, les pratiques. Ou en Asie, c’est encore plus difficile. Puisque là les concepts religieux sont différents.

C’est une sorte de dynamisme, de force intérieure qu’on ne peut pas refreiner. Tout le monde n’est pas appelé à être missionnaire à l’extérieur. On peut aussi être missionnaire là, ou nous sommes. Je me souviens, étant français, après la guerre 40, avec tous les besoins des prêtres, on a sorti un livre qui a eu beaucoup de succès et qui s’appelait « France, pays de mission ? » Ça a choqué un peu les populations et les paroisses, parce que tout d’un coup on a parlé des missions à l’intérieur ou on a besoin de se convertir à l’Évangile. Pourquoi il y a certains appels précis, c’est souvent du a une histoire. Moi-même j’ai été missionnaire, envoyé a Congo, la ou les trois frères assomptionnistes ont été enlevés, dans ce diocèse même, parce qu’ils manquaient de formateurs. L’histoire de nos églises sont différentes, parfois on a besoin des constructeurs, parfois on a besoin des gens engagés dans le social… la, il manquait des formateurs pour la vie religieuse. J’ai entendu cet appel, j’ai parlé avec l’évêque d’Evry, en France, qui était mon évêque à ce moment-là. Apres le petit déjeuner il m’a dit : « Tu sais, Lucas, je suis pauvre en prêtres, notre diocèse en banlieue parisienne manque de prêtres… pour les églises nouvelles, pour les banlieues qui s’agrandissent, comme sans doute dans la plupart des grandes villes dans le monde. Mais les pauvres partagent toujours avec les plus pauvres. » Et je sais qu’à ce moment-là, a Congo, il manquait cruellement des prêtres. Je suis parti.

Mais, je vous assure, qu’avec un peu d’expérience là-bas, je ne me suis plus senti comme missionnaire portant une Bonne nouvelle, ni surtout important un modèle culturel, si on reste avec sa formation, ses origines, ses schémas mentaux… J’ai essayé de me laisser évangéliser par ces populations. Quelque fois les gens qui n’étaient pas chrétiens, qui n’étaient pas baptisés, m’accueillait et me montrait les visages d’Evangile qui ont nourri ma foi.

LVdlR. C’est toujours un processus double, qui va dans les deux sens. Tout comme on découvre sa propre ville avec les touristes différemment, de la même façon, on va découvrir l’Evangile avec un novice différemment. Et, avec des questions parfois naïves, on va découvrir les profondeurs qu’on n’a pas soupçonnées.

Ma question supposait également – pourquoi ne pas rester en France qui, à mon avis, demande une mission. Vous avez parlé du livre… Pourquoi ne pas devenir missionnaire à Drancy, à Bobigny, dans la banlieue qui devient presque un pays étranger maintenant? Parce qu’il y a beaucoup des populations nouvelles, musulmanes, notamment, qui arrivent et auprès de qui il faut « sauver la France ».

Lucas Chuffart. Votre question est pertinente. Je répondrai à partir de ma propre expérience. J’étais le plus jeune prêtre de la paroisse de Montgeron dans la banlieue parisienne au moment où j’ai ressenti l’appel de partir au Congo, alors que je n’ai jamais été encore en Afrique, sauf l’Afrique du Nord. Quand je suis parti, je l’ai annoncé aux paroissiens. Il a eu les mêmes réticences que celles que vous venez exprimer. On a dit : on a besoin de vous ici. Je le comprenais, j’étais aumônier des équipes d’actions catholiques des jeunes. J’étais aumônier d’équipes d’enfants à la catéchèse. J’ai appris à faire la catéchèse avec les amblyopes. Petit à petit, on peut rendre des grands services.

Pourquoi j’ai ressenti cet appel en quittant un endroit où, peut-être, on avait besoin de moi et d’autres prêtres ?

Je pense que ma repose à partir un peu plus loin, tout en gardant des liens avec ma paroisse, a permit - le fait de partir – à des gens qui me laissait faire, qui n’ont pas encore pris toute leur ampleur, leur capacité à servir les autres, se sont mis en route. Pour que mon absence, mon départ ne soit pas ressenti comme un abandon, comme une partie faible du maillon de l’Evangile.

Prenons un exemple : une dame me disait – « vous faites très bien la catéchèse aux enfants pour préparer la première communion… et moi, je n’ai que deux enfants à la maison, je suis perdue… avec ma fille ça va, mais dès que j’ai le deuxième, je ne sais plus quoi faire… » Je lui ai dit : « Puis que je pars, il va falloir quand-même continuer à accueillir des enfants pour préparer leur première communion» Vous savez ce qui est arrivé ? Cette femme m’a écrit, elle s’appelle Mylène, a Noël quand j’étais en Afrique, en disant : « On pense à vous, vous avez besoin de quoi ? » J’ai dit que j’avais besoin d’un dictionnaire, non pas pour moi, mais pour le lycée d’à coté ou il y a 800 élèves et ils n’ont pas un seul dictionnaire français.

A partir de là tout une chaine de solidarité et d’envoi de livres s’est faite. Cette personne a pris en charge une petite équipe, elle a dépassé ses peurs, elle a réussi a calmer les enfants autour d’elle. Maintenant elle est capable de prendre la parole devant une assemblée d’universitaire pour dire qu’il y a aussi des besoins au loin, essayons d’agir ensemble.

Ça m’a un peu rasséréné, m’a rassuré. N’empêche que tous ne sont pas appelés à partir au loin. Il y a en effet les besoins criants proches de nous, il faudrait se mettre ensemble pour pouvoir y répondre.

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