Syrie. Vers un cannibalisme civilisé ?

Syrie. Vers un cannibalisme civilisé ?
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Lorsque certaines sources médiatiques ont montré un terroriste d’Al Nosra en train de croquer à belles dents un bout de cœur de son ennemi sous prétexte que celui-ci aurait été un violeur, je crois que la plupart d’entre nous ont éprouvé un sentiment d’horreur. En effet, les traditions nauséeuses des tribus barbares semblaient si loin, si abstraites. Par contre, ça a été la stupeur générale et l’horreur accrue lorsque la BBC a invité ce même mangeur d’hommes à s’exprimer sur son plateau et, pis encore, à se justifier (ce qu’il n’a pas manqué de faire évoquant sa sainte haine des violeurs).

Je me demande aujourd’hui, toute réflexion faite, si l’on doit encore s’étonner de cette indicible magnanimité de la radio britannique qui n’a jamais vraiment dénoncé ce qu’on a baptisé à l’époque du Kosovo la transplantologie noire. Les soi-disant défenseurs de la liberté dépeçaient par paquets de très jeunes gens, adolescents y compris, pour envoyer ultérieurement leurs organes vitaux dans certaines grandes cliniques d’Allemagne et d’Israël. Ces derniers faits ont été prouvés et notamment évoqués par l’ex-Procureure générale du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Carla Del Ponte. On connait l’impartialité de cette dame. Ses révélations n’ont jamais vraiment choqué les médias mainstream. Et même plus, des révélations analogues ont valu à M. Dick Marty, député européen à l’époque, toute sorte d’ennuis, si bien qu’il a finalement démissionné de ses fonctions bruxelloises. Partant de ces faits, devrait-on s’étonner plus longtemps du mutisme quasi-approbateur de Bruxelles (Londres étant de la même auberge) quant au commerce illicite d’organes dans les pays « en voie de démocratisation ».

S’il faut un parallèle qui articule bien la liste, ça serait sans conteste le cas libyen, relevé en premier lieu par M. Thierry Meyssan, fondateur et rédacteur en chef du Réseau Voltaire. Ce qu’il dit, il le dit en connaissance de cause ayant vécu quelques années en Libye, jusqu’au moment du lâche assassinat de Kadhafi. Je vous renvoie à une interview réalisée en avril 2013 par l’un de mes collègues dans laquelle M. Meyssan parle d’enlèvements de jeunes gens à Misratah. Là encore, quel est le contexte de ces abominations ? Toujours le même : un pays artificiellement plongé dans le chaos, des opérations sponsorisées par des structures étrangères pour ne pas dire par des lobbies bien définis poursuivant des intérêts essentiellement économiques.

Un autre aspect caractéristique est à relever. Ces crimes ne sont définitivement révélés qu’à l’issue des opérations menées, c’est-à-dire une fois que les lobbies en question ont eu gain de cause. Il a fallu quelques années pour que la transplantologie illicite pratiquée au Kosovo finisse par ressortir au grand jour. L’exemple de la Libye est quant à lui moins exploité, la trace franco-étasunienne (qui est aussi et avant tout la trace britannique) étant encore beaucoup trop chaude. En revanche, dès que le grand méchant Kadhafi sera presque entièrement oublié et qu’il s’agira pour le bloc atlantiste de se distancier avec le plus de conviction possible des énormités perpétrées, n’en doutons pas, la vieille thématique du trafic d’organes sera immédiatement extraite des greniers onusiens. Comment donc ! Quelle horreur ! Ces satanés islamistes faisaient de telles choses et nous l’ignorions ! Voici, grosso modo, la rhétorique à laquelle nous devrions tôt ou tard nous attendre.

Ce spectacle sera également réservé à la Syrie s’il arrive que Bachar Al-Assad soit tué suite à un attentat, ce qui, fort heureusement, semble peu probable. Aux dernières nouvelles, la transplantologie noire aurait gagné le territoire syrien. D’après des sources reprises par la rédaction française de la radio iranienne, des terroristes takfiris œuvreraient aux frontières. D’une sollicitude suspecte à l’égard des blessés se trouvant dans les hôpitaux frontaliers, les « libérateurs » de la Syrie laissent bien des lits vides après leur passage. Selon Barkat Ghares, auteur et analyste turc interrogé par nos collègues de la radio iranienne, « un réseau composé de médecins de plusieurs nationalités s’occupe à entretenir ce terrible trafic [d’organes] et beaucoup de médecins turcs se trouvent au sein de ce réseau ». La chaîne de télévision libanaise Al Mayadin donne un poids considérable à ces propos en précisant que les médecins impliqués dans ce trafic macabre sont aussi des Français et des Américains. Al Mayadin parle de la même destination que les médias iraniens en évoquant surtout la Turquie, destination qui n’est le plus souvent qu’un point de transition.

Maintenant, prenons un peu de recul. Comment interpréter ce phénomène dont aucun pays en état de guerre artificiellement orchestrée n’est à l’abri ?

1. Il s’agit tout bonnement d’un phénomène d’industrialisation de la mort qui n’a rien à envier aux pratiques nazies.

2. Il s’agit également d’une conséquence fondamentale de la banalisation de l’exploitation totale du corps humain, matière à vendre et à revendre selon les besoins de ceux qui ont le pouvoir de bien payer. Une vision qui, au-delà de son contexte de guerre, puise ses racines dans une idéologie qui est loin d’être née au Moyen-Orient.

Vous direz « ce sont toujours les mêmes » qui financent les abominations en question. Tout à fait ! Cela d’autant plus que le prix des blessés et des cadavres syriens coïncide d’une manière fort curieuse avec le prix demandé en Lybie par les trafiquants de reins. Là aussi, il y a de la place pour les spéculations. On achète à un prix, on demande le double, voire le triple au client. Concrètement : le prix définitif d’un rein extrait en Syrie est estimé à 15.000 dollars US, ce qui correspond au prix du corps d’un cadavre livré aux soins de ses dépeceurs. Le prix du corps d’un blessé est estimé à dix fois plus, donc, à près de 150.000 dollars US. Dans le contexte de notre problématique, les chiffres sont autant (pour ne pas dire plus) révélateurs que les faits les plus confirmés.

Allain Jules, journaliste indépendant, expert en relations internationales, a consenti à répondre à ma question portant sur la réalité de ces nouveaux trafics en Syrie. Je noterai au passage sa réserve, les sources traitant de ces horreurs étant relativement peu nombreuses. En revanche, il n’a pas exclu que le commerce en question pouvait exister étant donné le terrain favorable qui lui est offert. Voici un extrait de son intervention.

Allain Jules. « Ce qui est sûr, quand on voit ce qui se passe sur le terrain (…), quand les combattants étrangers meurent en Syrie (…), on s’aperçoit que ces gens-là n’ont pas de sépultures. Soit leurs corps devraient être incinérés – ce qui n’est pas le cas, or, il y a énormément de cadavres – soit ils devraient être enterrés, ce qui n’est pas le cas non plus. Qu’est-ce qu’on en fait alors ? Je me demande ! Alors il est probable qu’il y ait prélèvement d’organes et puis comme les terroristes d’Al Nosra ont démantelé beaucoup d’usines – toutes les usines dans les environs d’Alep ont été démantelées – au profit de la Turquie, pourquoi ne pas en faire autant avec les organes des Syriens tués ou blessés au profit de Téhéran ? (…). Voyez-vous, comme ces gens vendent tout ce qu’ils peuvent vendre, pourquoi ne pas vendre un rein ou un poumon ? Ce ne sont pas de vrais combattants, ce ne sont pas de vrais croyants. Ce sont des chasseurs de primes (…)».

Ces gens vendent tout, ce sont des chasseurs de primes. Va encore pour ces barbares assoiffés de sang qui se cachant derrière un Djihâd droit sorti de leur imagination maladive. Mais quid de ceux qui, bien au chaud dans leurs fauteuils bruxellois, n’ont malheureusement pas conscience du fait qu’ils ont sponsorisé des cannibales ? Et par cannibalisme, j’entends entre autres la transplantologie illicite qui consiste à démonter méthodiquement, d’une manière presque civilisée car médicalement assistée, des innocents.

 

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