Moscou-CEDH : vers la rupture ?

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Arnaud Dubien - Sputnik Afrique
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C’est une décision aux implications politiques fondamentales que doit prendre prochainement la Cour constitutionnelle de Russie. Il s’agit, ni plus ni moins, que de dire si le droit international prime sur le droit russe ou si Moscou s’en affranchit au nom de la «souveraineté nationale».

C’est une décision aux implications politiques fondamentales que doit prendre prochainement la Cour constitutionnelle de Russie. Il s’agit, ni plus ni moins, que de dire si le droit international prime sur le droit russe ou si Moscou s’en affranchit au nom de la «souveraineté nationale».

Bref rappel des faits.  Le 22 mars 2012, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) juge dans son arrêt « Konstantin Markine  contre Russie » par seize voix contre une que l’Etat russe a enfreint l’interdiction de discrimination. Le requérant, un soldat de métier qui élève seul ses enfants, avait déposé en 2005 une demande de congé parental. Celle-ci a été rejetée pour le motif que, contrairement aux militaires de sexe féminin, Konstantin Markine n’avait pas de droit légal au congé parental (3 ans selon la loi russe). Saisie d’un recours, la Cour constitutionnelle de Russie a jugé que l’inégalité de traitement se justifiait par le statut particulier des militaires. Les soldats s’engagent dans l’armée de leur plein gré et peuvent en sortir de même. Le congé parental n’est accordé aux femmes qu'à titre exceptionnel, en raison de leur sous-représentation dans l’armée et du fait qu’elles assument un rôle particulier en tant que mères. 

Cet arrêt a suscité de vives critiques en Russie. Dmitry Medvedev, à l’époque encore président, déclare que la CEDH n’est pas compétente pour introduire des changements dans la législation russe. Plus surprenant, Valery Zorkine, le président de la Cour constitutionnelle de Russie, dénonce pour sa part une atteinte à la souveraineté du pays. Un argument qu’il avait déjà développé dans un article publié à l’automne 2010 dans le quotidien Rossiïskaïa gazeta : il y justifiait la non-exécution par la Russie des décisions de la CEDH lorsqu’elles « concernent la souveraineté nationale ». Un propos légèrement atténué en mai dernier lors du Forum juridique international de Saint-Pétersbourg : Zorkine affirme qu’il n’a jamais appelé à ne pas appliquer les décisions de la CEDH.

La question de la primauté du droit international sur le droit interne est d’une actualité brulante à Moscou. Plusieurs familles américaines ont saisi la CEDH après l’adoption de la loi « Dima Iakovlev », texte adopté en réponse à la « Liste Magnitsky » et qui interdit l’adoption d’enfants russes par des citoyens américains. Un membre du groupe Pussy Riot en a fait de même, et l’association Golos, spécialisée dans la lutte contre les fraudes électorales et dont l’activité vient d’être suspendue par le ministère russe de la Justice dans le cadre de la loi sur les agents étrangers », a annoncé sa décision de plaider sa cause à Strasbourg.

La Russie peut-elle choisir les décisions de la CEDH qu’elle souhaite appliquer voire s’y soustraire ? En principe, non. L’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des accords internationaux stipule que les Etats-signataires ne peuvent faire référence à leurs législations nationales pour refuser d’appliquer un accord international. Ce texte a été ratifié par Moscou et fait donc partie intégrante du corpus juridique russe. Mais l’affaire est en réalité politique. Or les signaux envoyés depuis plusieurs mois par le Kremlin – que ce soit sur les ONG, le dossier syrien ou l’enquête ouverte par Bruxelles contre Gazprom – ne laissent guère la place aux doutes sur la vision du monde de Vladimir Poutine.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Arnaud Dubien dirige, depuis mars 2012, l’Observatoire franco-russe à Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP de Paris, il a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie-CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a ensuite dirigé plusieurs publications spécialisées sur l’espace post-soviétique, parmi lesquelles l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Ces dernières années, Arnaud Dubien a par ailleurs travaillé comme consultant du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Aff aires étrangères, ainsi que de grands groupes industriels français. Il est membre du Club de Valdaï.

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