De l'exhubérance des grands gastronomes français

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L’histoire de la gastronomie moderne s’attache à quelques personnages qui fondèrent en France une science et un art qui ont contribué au rayonnement français.

Le nom de ces hommes ne dit désormais plus rien à nos contemporains mais il vaut la peine de rappeler celui de l’excentrique Alexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La Reynière, considéré avec Brillat-Savarin et Charles Durand comme les fondateurs de la gastronomie telle que nous la connaissons de nos jours. Grimod de La Reynière n’est pas seulement un célèbre aristocrate épris de cuisine, mais l’image même de l’audace et de l’avant-gardisme, sulfureux, ingénieux et génial.

Ce fils de fermier général né en 1758 ne fut toutefois pas qu’un célèbre gastronome. Touche-à-tout, il fut tour à tour critique dramatique, avocat, journaliste, feuilletoniste et écrivain, tout en organisant de célèbres fêtes et mystifications dont il avait seul le secret. Il souffrait d’un handicap particulièrement douloureux pour l’âme et peu propice à faire de lui un cordon bleu, puisqu’il était né infirme, sans doigts, ne possédant que des moignons qui l’obligèrent à porter toute sa vie des prothèses que des gants blancs dissimulaient. Issue d’une famille très aisée, il reçut une solide éducation au collège Louis-le-Grand (comme le Marquis de Sade, Voltaire ou Diderot parmi bien d’autres) et fit ensuite des voyages, avant de devenir critique dramatique puis avocat, étant même reçu dans la section des écrivains et poètes à l’Académie d’Arcadie de Rome.

Menant une vie mondaine très féconde, il fréquentait les salons et comptait pour amis Restif de La Bretonne ou Beaumarchais. Il organisait dès l’époque de la pré-révolution (1783-1789) des dîners le faisant être surnommé par les marchands de Fermier général de la Cuisine. Il lançait par la suite un concept révolutionnaire et scandaleux de souper, en invitant 17 personnalités du parlement ou des avocats, tous célibataires, lors d’un repas public qui eut lieu le 1er février 1783. Les invités avaient été conviés à l’aide d’un billet d’enterrement. Le tout Paris parla évidemment de cet incroyable et choquant dîner et d’autres suivirent sous des thèmes différents, notamment, influence de l’époque oblige, sur le thème de l’archéologie, de la Grèce et de la Rome antique. Ecrivain et pamphlétaire à la plume acide, sa truculence et ses écrits dérangeaient. En 1786, il fut arrêté et conduit à l’abbaye de Domèvre, une prison douce pour des prisonniers de qualité ayant défrayé la chronique…

Il y resta deux ans, rayé du barreau du Parlement de Paris mais continuant en « prison » sa vie de banquets, s’évadant à l’occasion pour des sorties festives avec la complaisance de l’abbé en charge de la communauté. Libéré, mais interdit de séjour à Paris, il voyagea en France et en Suisse avant de s’établir à Lyon où il devînt négociant. N’ayant pas la rigueur du commerçant, et la Révolution lui ayant ouvert les portes de Paris, il s’empressa d’y revenir pour y reprendre ses activités préférées : l’écriture et l’organisation de banquets farfelus. Il écrivit un Almanach des Gourmands en 1803, véritable ancêtre des guides gastronomiques dont l’idée fit beaucoup de chemin. Par la suite il collabora au curieux journal Le Journal des Gourmands et des Belles, puis créa un jury chargé de noter les produits des professionnels des métiers de la bouche.

Après l’Almanach des Gourmands, il écrivit en 1808 Le Manuel des Amphtryons, curieux titre pour ce qui est considéré avec La physiologie du goût de Brillat-Savarin comme un des deux monuments fondateurs de la littérature gastronomique. Dans cet ouvrage sérieux au titre comique, trois grandes parties traitaient de l’art de la découpe des viandes, de l’art des menus et enfin de l’art du service et des politesses à table. C’est en cela qu’il reste un des vrais fondateurs de la gastronomie bien qu’il n’ait pas été un créateur de recettes au contraire de Brillat-Savarin. Excentrique et farfelu, la cuisine et le banquet était pour lui un amusement perpétuel, au point qu’il fit annoncer sa mort un jour de l’été 1812. Surgissant au milieu de ses invités au bord de la syncope, lors du somptueux banquet de funérailles qu’il avait préparé, il défraya une fois encore la chronique. Il avait l’art du spectacle et de la farce, mettant en représentation tragi-comique ses fameux festins.

Suffisamment riche, il dilapida au cours de sa vie la fortune de ses parents pour organiser ses fêtes et ses farces. Il finit par se retirer dans son château de Villiers-sur-Orge, dans le département de l’Essonne, où il avait vu le jour. Il avait fait aménager dans ce dernier toutes une série de trappes, de portes et de corridors secrets, le tout complété par des machineries qui lui permettait, espiègle qu’il était, de surgir à quelque endroit ou de surprendre ses invités par des tours. Chez lui, la gourmandise et les agapes n’avaient d’égal que la folie et le burlesque. Malgré une vie dissipée et que la morale du temps jugeait parfois sévèrement, il termina toutefois son existence à un âge avancé, un jour de 1838 à l’âge de 80 ans. Le plus fou des gastronomes venait d’entrer dans l’histoire.   N

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