Selon les réflexions d’Adrien Abauzit, la France serait donc enfermée dans une matrice, une réalité du monde que les dirigeants au pouvoir chercheraient à promouvoir pour maintenir la multitude des citoyens dans un système bien huilé et sous contrôle. A réfléchir sérieusement sur le sujet, nous ne pouvons que nous rendre compte que nous ne sommes pas dans une fantaisie d’un énième journaliste cherchant à faire un coup médiatique, mais bien dans la réalité. Les Français sont donc bel et bien dans la matrice que dénonce Abauzit, même si les connaissances de l’auteur doivent être complétées et poussées plus loin pour bien montrer le système dans lequel se sont fourvoyés les Français.
Cette matrice en effet ne date pas d’hier et elle eut autrefois un autre visage. Hier, c’était celui de l’Ancien Régime, où les tenants de l’ordre ancien défendirent avec beaucoup d’habileté un système qui perdura en France jusqu’à l’orée de la Révolution. Lorsque la bourgeoisie épaulée par le peuple se lança à la conquête du pouvoir, cette matrice fut lézardée et affaissée, après plusieurs siècles de despotisme, de guerres et de souffrances, le tout toutefois alterné par de grandes réussites et de grands progrès réalisés par la Monarchie elle-même. A partir du 10 août 1792, cette matrice abattue sous les coups des révolutionnaires ne devait jamais se relever et allait être progressivement remplacée par une autre : la République.
Cela n’est pas un hasard si à partir de cette date, les langues anciennes, le latin et le grec, les langues tout court et surtout l’enseignement de l’histoire furent progressivement remplacés et refoulés dans les profondeurs de la classe… pour être substitués par la matière qui règne actuellement sur la nouvelle matrice : les mathématiques. Ce n’est pas un hasard si les grandes écoles comme celle de Polytechnique, qui fut créée en 1794, vit le jour dans la fournaise révolutionnaire. Depuis lors, l’histoire, matière dominante avant la Révolution, a été reléguée au rang de sous matière et est actuellement en danger de devenir une option au même titre que la musique ou le théâtre dans les classes supérieures du secondaire. Car la connaissance de l’histoire c’est : réfléchir, critique et surtout comprendre et se projeter vers l’avenir…
Cette matrice républicaine a connu de grandes évolutions et fut peaufinée au moment de la IIIe République avant de connaître, dans le sillage des grands événements du XXe siècle, une refonte en profondeur durant la Ve République. Celle dans laquelle les Français vivent désormais. Elle a pour rôle de maintenir la population dans les rouages du système en s’attachant à contrôler ce qui déclencha la fin de l’ancienne matrice : l’opinion publique et la presse. A ce sujet, les leçons retenues furent d’abord la censure et le contrôle direct des médias (Bonaparte, Restauration, Second Empire), puis progressivement un système où la presse elle-même ne fut plus un instrument d’information et de mise en danger de la matrice, mais un serviteur zélé de cette dernière.
Désormais, en haut de ce système se trouvent les agences de presse, dont l’AFP à l’échelle de la France. Dans plus de 80 % des cas, les articles de la très grande majorité des journaux et médias français sont écrits par des anonymes de l’AFP et copiés collés dans toutes les lignes des journaux nationaux…et régionaux. Coluche, il y a déjà plus de trente ans http://www.youtube.com/watch?v=9hcEQ9GD6io, dénonçait la presse en démontrant la similitude des informations données aux Français et expliquait magistralement comment l’information était traitée. Aujourd’hui bien sûr, avec l’arrivée d’Internet, les données du problème ont changé, et un bug pourrait bien s’être glissé dans la matrice. Ce bug lui fait peur au point que des politiciens du PS au sein du Sénat se sont demandés si l’Etat ne devrait pas prendre le contrôle des informations qui circulent sur la toile, les sites et les médias hors contrôle des pouvoirs devenant un réel danger.
Pour aller plus loin dans la pensée d’Adrien Abauzit, nous dirons que la matrice est en fait une superposition de matrices, la première à l’échelle nationale, une seconde à l’échelle européenne et enfin une dernière à l’échelle internationale dans l’ordre croissant de domination. Dans ce gigantesque appareil virtuel de contrôle, il s’agit d’éduquer les citoyens afin de les persuader de la nécessité de conserver le système actuel, comme étant le système le plus abouti et comme étant celui garantissant le bonheur de la majorité. A chaque échelon de la matrice se trouvent de grandes institutions défendant bec et ongles cette construction, même si l’adage romain Panem et circensesgarde beaucoup de sa pertinence : du pain et des jeux, complétée par du pain, du vin et des jeux !
La matrice en elle-même, tant que la majorité des citoyens sont repus, même insatisfaits, fonctionne et diffuse sans cesse ses informations : à l’école de la République, de l’école maternelle jusqu’à l’Université, à la télévision, à la radio et dans les différents médias, par le biais de la publicité sur tous les supports : « La bagnole, la télé, l’tiercé c’est l’opium du peuple » chantait Renaud dans sa chanson Hexagone en 1975. De nos jours bien sûr les choses ont changé, mais les cadres de la matrice sont toujours les mêmes. Un parti unique décomposé en factions plus ou moins différentes, dont deux particulièrement se partagent les manettes du pouvoir afin de donner l’illusion au peuple qu’il contrôle lui-même la matrice par le fameux Hochet du suffrage universel, l’outil génial de la matrice pour endormir les populations.
Et puis dans les cas extrêmes et dangereux où la matrice serait en danger, il reste toujours l’arme ultime : autrefois, il s’agissait de brandir le spectre des terroristes anarchistes et des socialistes révolutionnaires, aujourd’hui celui des hordes fascistes tapies dans l’ombre et menaçant de plonger les populations dans des temps de malheur dont la matrice essayerait de toutes ses forces… de vous protéger. Il reste à savoir à notre époque si en s’affranchissant de la matrice nationale, la France aurait encore les forces de braver les matrices européenne et internationale comme ce fut le cas durant la Grande Révolution, lorsque les volontaires de 1791 et 1792 bravaient ce qu’ils appelaient « les armées d’esclaves des tyrans ». N