Cette chanson a soixante-douze ans. Le 22 juin 1941, la guerre la plus terrible de l'histoire de la Russie a éclaté. La vieille génération se rappelle cette date. Mais les jeunes de notre époque, pour retenir quelque chose, ont besoin non pas de paroles ou même de chansons. Il leur faut un événement, un show. Tout cela a eu lieu au centre de Moscou dans la nuit du vendredi au samedi 22 juin 2013.
Cela s'appelait « l'action bénévole patriotique de la jeunesse « Flamme Éternelle ». Plus de deux mille jeunes Moscovites se sont réunis sur la place Bolotnaïa à minuit.
Des colonnes avec des étendards, rappelant ceux des régiments, convergeaient vers un camp immense. Il y avait des représentants de tous les arrondissements de Moscou. Les popotes répandaient une odeur appétissante et on faisait la queue pour recevoir une assiette de la bouillie appréciée des soldats à l’époque.
Devant un immense moniteur, des fauteuils étaient placés pour les invités d’honneur, les anciens combattants. Ils sont peu nombreux, ceux qui ont atteint l’âge de quatre-vingt dix ans ou presque… Sur l'écran, on voyait des fragments de films de guerre, les acteurs populaires interprétaient des chansons militaires. On entendait les anciens combattants pleurer doucement. Ils chantaient avec les professionnels.
Ayant avalé leur bouillie bien chaude, les jeunes se sont mis à chanter, eux aussi. On a vu alors qu’ils connaissaient également les paroles !
Ensuite, les jeunes gens ont présenté leurs rapports aux anciens combattants. Ils leurs racontaient qu’ils aidaient les vétérans. Pour les uns, ils ont pu retrouver une médaille perdue dans les archives, pour les autres, ils ont mis ordre l’appartement ou apporté des aliments, des médicaments…
Les jeunes gens étaient émus, pour plusieurs d’entre eux, c’était leur première intervention en public. Mais comme il faisait sombre, on ne pouvait pas lire le texte préparé, il leur fallait donc parler comme ils pouvaient, sans oublier de remercier à la fin de l’intervention les anciens combattants pour la Victoire.
Et ensuite, tous se sont dirigés vers le Grand pont de pierre sur la Moskova, puis vers le Kremlin pour atteindre le jardin Alexandre. Et toute la foule a entouré la Flamme Éternelle sur la Tombe du Soldat Inconnu. Sur le moniteur, il y avait des séquences de la chronique militaire terrible que les gens âgés connaissaient par cœur. On entendait la Septième symphonie de Chostakovitch, celle de Leningrad assiégée.
Et puis … le ciel au-dessus de la cathédrale Saint-Basile s’est éclairci, le carillon a annoncé 4 heures du matin. A retenti la chanson « la Guerre Sacrée ». Les anciens combattants étaient déjà rentrés chez eux, dans la foule, il n’y avait que des jeunes. Tous avaient dans les mains des bougies funéraires. Il avait été décidé de les allumer à quatre heures pile pour les mettre à côté de la Flamme éternelle. Mais ce n’était pas si facile que ça- les mains tremblaient.
Quand les 1418 bougies – le nombre des journées de la guerre, où chaque jour mouraient 15 mille Soviétiques – se sont allumées autour de la tombe, j'ai tenté d’interroger, mais sans succès, les jeunes, émus et incapables de parler. Finalement, une jeune fille, Véra Krapivina, élève d’un lycée du secteur tertiaire a dit ceci :
« Je participe pour la première fois à l’action. J'aime beaucoup. Elle restera dans ma mémoire pour toujours, et je viendrai ici chaque année. Ce jour mémorable restera les mémoires. »
Véra, étudiante, a une fille, trop petite encore comprendre tout cela, mais Véra lui racontera plus tard. T
