Pourquoi Obama n'est pas devenu l’ami de Poutine

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Un sommet de glace: c'est probablement ainsi que la rencontre entre Poutine et Obama à Belfast restera dans l'histoire des relations russo-américaines. Mais l'absence d'entente cordiale entre les dirigeants russe et américain signifie-t-elle pour autant que les relations entre les deux pays se dégradent?

Par Mikhaïl Rostovski, RIA Novosti

Un sommet de glace: c'est probablement ainsi que la rencontre entre Poutine et Obama à Belfast restera dans l'histoire des relations russo-américaines. Sans lyrisme, sans un "regard qui sonde l'âme". Mais l'absence d'entente cordiale entre les dirigeants russe et américain signifie-t-elle pour autant que les relations entre les deux pays se dégradent?

Non. Si l’on omet les dossiers transitoires qui divisent les deux pays en ce moment, la Syrie notamment, c'est exactement le contraire.

A l'époque soviétique les rencontres entre les dirigeants de Moscou et de Washington étaient plutôt rares. Cependant la rareté des réunions était largement compensée par la cordialité voire l’aspect carnavalesque de leur atmosphère.

Pendant la Seconde guerre mondiale le président américain Franklin Roosevelt aimait narguer avec Joseph Staline le premier ministre britannique Winston Churchill lors des réunions des "Trois grands" (Big Three). Par exemple, selon la journaliste américaine Lynne Olson, l'une des sessions de la conférence de Téhéran en 1943 a commencé par un mot de Roosevelt à l'oreille de Staline: "Winston est grincheux ce matin. Il s’est probablement levé du pied gauche!".

Lors de la rencontre de Leonid Brejnev avec Richard Nixon en 1974, le porte-parole du président américain avait supplié le traducteur personnel du secrétaire général soviétique, Viktor Soukhodrev, d'éviter à tout prix de se retrouver dans le champ des appareils photo et des caméras de télévision. Soukhodrev a déclaré plus tard que l'entourage de Nixon voulait donner l'impression qu'ils "communiquent comme des hommes très proches, des amis, si vous préférez".

Le sommet Brejnev-Ford en 1974 est également resté dans les annales par le grand geste du président américain. Ce dernier était sur le point de monter dans l'avion pour repartir mais tout à coup il est descendu pour mettre son manteau sur les épaules de Brejnev. Durant les négociations Leonid Brejnev n'avait pas caché son admiration pour le manteau de Ford, qui le lui a finalement offert.

La rencontre entre Brejnev et Jimmy Carter à Vienne en 1979 était encore plus unique dans l'histoire diplomatique: les présidents des deux pays se sont embrassés sur la bouche…Dans ce contexte, que signifie l'atmosphère glaciale de la rencontre entre Poutine et Obama en Irlande du Nord? Les relations russo-américaines seraient-elles pires aujourd'hui qu'en 1943, 1974 ou 1979?

Poser la question de cette façon serait erroné. Car à l’époque des présidents précédents, la cordialité extérieure des contacts personnels entre les dirigeants des deux superpuissances compensait l'absence totale de cordialité dans les véritables relations entre les deux pays.

Je m'explique. Vous souvenez-vous de l'unique rencontre soviéto-américaine qui se soit terminée sur une note pas du tout amicale? C'était à Vienne en 1961. Nikita Khrouchtchev avait fait l'erreur de croire que son nouvel homologue américain John Kennedy était un jeune homme faible et inexpérimenté avec lequel il était inutile de prendre des gants.

Cette erreur a failli entraîner un Armageddon nucléaire. Convaincu que Kennedy "se coucherait", Khrouchtchev a envoyé des missiles nucléaires à Cuba mais Kennedy ne s'est pas laissé faire. En 1962, l'Amérique et l'Union soviétique se sont retrouvées face au risque réel d'une guerre. Les deux pays ont dû faire marche-arrière de toute urgence.

D’autres moments de tension extrême surviennent toujours aujourd’hui dans les relations entre la Russie et les Etats-Unis. La dernière date de la guerre russo-géorgienne en août 2008. C'était, d'ailleurs, la base de la stratégie du président géorgien Mikhaïl Saakachvili. Il était convaincu que la Russie n'oserait pas attaquer un allié militaire américain aussi loyal que la Géorgie.

Un autre épisode de ce genre s'est produit au Kosovo en 1999. Le général Wesley Clark, commandant des forces de l'Otan en Europe, avait ordonné d'isoler les troupes aéroportées russes qui avaient pris l'aérodrome de Pristina. Mais le général britannique Mike Jackson, à qui l'ordre était adressé, avait remis l'Américain à sa place. Surnommé par ses soldats "Dark Vador" et "Prince des ténèbres", le Britannique intrépide avait répété à Clark: "Je n'ai pas l'intention de déclencher une troisième guerre mondiale pour vous!".

Mais ces deux épisodes sont de rares exceptions qui confirment la règle. Alors que la réalité quotidienne des relations entre la Russie et les USA est tout autre. Les élites politiques des deux pays continuent à ne pas du tout s'apprécier mais la probabilité d'une confrontation militaire directe entre Moscou et Washington relève de la science-fiction. 

Par conséquent, les mises sont largement inférieures qu'auparavant lors des rencontres entre les deux présidents. Il me semble donc qu'Obama et Poutine peuvent se permettre le luxe d’une absence totale de cordialité dans leurs relations personnelles.

A une époque la première ministre britannique Margaret Thatcher et le chancelier allemand Helmut Kohl n'éprouvaient pas de grand plaisir à communiquer, engendrant des confusions protocolaires et des querelles pas du tout diplomatiques lors de rencontres au sommet.

Roland Dumas, ancien ministre français des Affaires étrangères, avait évoqué les relations entre ces deux figures politiques: "En décembre 1989 au sommet de l'UE à Strasbourg, le président français François Mitterrand a dû faire un effort surhumain pour réconcilier la première ministre et le chancelier. Devant mes yeux Thatcher disait des choses imprononçables sur Kohl. Ils s'engueulaient violemment".

Est-ce que cela a provoqué une catastrophe dans les relations germano-britanniques? Non. Seuls les connaisseurs de l'histoire diplomatique européenne se souviennent des conflits entre Thatcher et Kohl. Je pense que le "manque de compréhension" entre Poutine et Obama aujourd'hui fait partie du même registre.

Je ne dirais pas que les relations russo-américaines ont atteint un tel stade de maturité, que les grands différends sur certaines questions ne peuvent rien changer. Il me semble que la maturité des relations implique un tout autre niveau de confiance. Je m'exprimerai donc ainsi: les relations entre Moscou et Washington ne rappellent plus – ni à l'un, ni à l'autre – une bombe qui pourrait exploser à tout moment.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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