Iran : la partie d’échecs se poursuit

Iran : la partie d’échecs se poursuit
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Ni abstentionnisme massif, ni sursauts hystériques propres aux révolutions arabes, ni contestations particulières ! Tel est le bilan plein de « ni » de la campagne présidentielle iranienne qui s’est achevée hier dans une ambiance modérément démocratique, cela au grand dam des puissances occidentales et de leur chouchou israélien.

Le modéré Hassan Rohani a été élu au premier tour avec 50,68 % des voix, soutenu par le guide suprême Ali Khamenei, ainsi que du chef des réformateurs Mohammed Khatami, prédécesseur d’Ahmadinejad.

D’aucuns veulent donner des leçons de démocratie made in USA à des pays arabo-musulmans tels que l’Iran. Je ne sais même plus maintenant s’il s’agit d’une plaisanterie de très mauvais goût, d’un malentendu ou d’une stratégie perverse visant à donner des prétextes de guerre (un peu de paranoïa fait parfois du bien), mais il n’en demeure pas moins qu’à sa façon l’Iran ne perd pas son image de démocratie moyen-orientale. En voici une preuve a contrario : tout comme le Mali par rapport à l’Algérie, la Syrie n’est qu’un tremplin vers l’Iran, le dernier bastion à détruire. S’il y avait quelque chose de concret à lui reprocher – en dehors d’hypothèses inouïes visant à démontrer qu’elle se doterait d’une arme nucléaire pour en finir avec l’Etat hébreu – des démarches autrement plus musclées auraient été entreprises. Or, le bloc otanien se voit obligé d’emprunter des chemins détournés, multipliant intox et provocations, sacrifiant des fortunes pour sponsoriser des mercenaires soi-disant soucieux de démocratiser la Syrie.

Ce processus de diabolisation ne date pas d’hier. On se souviendra notamment du travail sanguinaire effectué par les services de renseignement occidentaux – français entre autres – dans les années 90 sur le territoire argentin, lorsque l’explosion du centre d’intégration juive AMIA avait été aussitôt attribuée au Hezbollah, alors que l’Iran était et reste le premier partenaire économique de l’Argentine. Juridiquement parlant, il n’a jamais été démontré que le Hezbollah était l’auteur de l’attentat. Bien plus, tous les suspects avaient fini par être relâchés. Deux ans avant le drame de l’AMIA, en 1992, un attentat de prémisse avait touché l’ambassade d’Israël à Buenos Aires. Là encore, aucun coupable n’avait été retenu. Les circonstances de l’attentat restent toujours aussi occultées qu’elles l’avaient été il y a 22 ans. En somme, il s’agit pour le trio USA-Israël-France de faire l’amalgame entre Al-Qaïda et le Hezbollah, à cette nuance près que la présence d’Al-Qaïda, créature étasunienne par excellence, est niée là où il faut exhiber l’ombre sinistre d’une organisation de résistants souverainistes. Mais il s’agit aussi d’affaiblir économiquement l’Iran, en l’évinçant de cette zone providentielle du point de vue des matières premières qu’est la Patagonie et du point de vue des réserves d’eau qu’est l’extrême sud du pays.

La donne syrienne est également un point hautement névralgique dans le face-à-face irano-occidental. On vient d’apprendre que l’Egypte a rompu ses relations avec Damas. La position de la Jordanie, pays-girouette, est plutôt favorable à l’opposition. Les USA, prêts à se désister de la problématique syrienne suite à la vigoureuse mise en garde de Chuck Hagel, secrétaire à la Défense, se disent maintenant prêts à livrer des armes aux rebelles. Pourquoi pas du gaz sarin ? Parallèlement, nous avons appris la veille que l’Iran aurait l’intention d’envoyer 4000 soldats en Syrie pour compléter les rangs de l’armée gouvernementale, ce qui, si les faits se confirment, témoigne déjà d’un renforcement de l’implication iranienne dans un conflit qui s’enlise de plus en plus.

On ne peut juger pour l’instant avec certitude de la capacité de M. Rohani à relever ces défis. Ce qui en tout cas est clair, c’est que l’Iran vit une période charnière sur fond d’exacerbation notable de tous les conflits mondiaux et que son objectif consiste à maintenir un niveau de stabilité tel que les puissances occidentales doivent remettre à plus tard l’application de la solution finale à son égard.

Voici à présent le point de vue éclairé de M. Mézoui, géostratège algérien de renom.

LVdlR. « Quelle serait la stratégie du nouveau Président iranien ? Va-t-il continuer dans la lignée de son prédécesseur, sachant notamment quel est le degré d’influence du guide suprême Ali Khameinei ?

M. Mézoui. L’Iran a des objectifs stratégiques permanents. Il est arrivé à devenir une puissance nucléaire respectée militant pour un équilibre dans le monde. Le fait qu’on essaye de lui imposer des restrictions de taille relève de l’injustice la plus totale dans la mesure où il y a des Etats nucléaires hors-la-loi, seuls cinq Etats étant reconnus par la Communauté internationale, ce qui exclut le Pakistan, l’Inde et Israël … Comme d’habitude, nous revenons sur le vieux principe du deux poids deux mesures. Avec l’Occident, rien de plus simple : soit on achète sa souveraineté, soit on instaure une démocratie à leur goût. Pour ce qui est de l’Iran, c’est la deuxième option qui semble actuellement envisagée. C’est donc tout le processus électoral qui est mis en branle, exhibant en vitrine un modèle possible de démocratie. Ceci dit, il ne faut pas oublier que les Iraniens sont les inventeurs du jeu d’échecs. En l’occurrence, ils ont besoin d’un peu de temps pour arriver au point de non-retour à partir duquel plus personne ne pourra les arrêter sauf si les Américains décident d’intervenir directement … ce qui m’étonnerait. Quant au grand guide, au suprême Khameinei, il faut noter qu’il a lâché du lest, cela à des fins provisoires rappelant une partie d’échecs. En fait, l’Iran d’une certaine manière, applique les principes de la politique américaine qu’est le smart power :on utilise toutes les stratégies, on joue sur toutes les touches, un peu à l’image du jeu de piano … Une fois c’est la solidarité, une fois la démocratie, une fois … etc.,etc. On fait tout pour éviter, au bout du compte, l’emploi de la force (…). L’Iran pianote donc au gré des courants internationaux, essayant de donner une image plus ou moins démocratique de soi.

LVdlR. Estimez-vous que la donne syrienne va beaucoup influer sur la politique de l’Iran ?

M. Mézoui. Bien sûr ! En réalité, ce n’est pas la Syrie qui est la première visée mais l’Iran ! L’objectif est toujours de faire tomber ce dernier. Or, la Syrie est l’un des éléments déterminants qui permettrait, s’il y a une offensive sur l’Iran, de ne pas avoir sur le dos le Hezbollah du Liban et l’influence stabilisatrice du croissant chiite. On voit donc qu’il s’agit de démanteler ce croissant pour mettre en place d’autres rapports de force. La Syrie est un pays laïc (…) qu’on essaye de déstabiliser à l’aide de mercenaires sortis de je ne sais où ! Isoler l’Iran, voici donc l’objectif. Ceci dit, traqué comme il l’est, ce dernier bastion pourrait bien buter contre le seuil critique qu’on lui impose, c’est-à-dire faire cette bombe atomique qui fait trembler l’Etat hébreu. Cela étant, il existe dans le monde une trentaine de pays capables du jour au lendemain de devenir des puissances nucléaires. Il ne faut donc pas faire du nucléaire l’épouvantail qu’on en fait lorsque besoin est (…).

LVdlR. Il semblerait que l’Argentine joue un rôle pivot dans la confrontation entre Israël et l’Iran. Ce rôle mérite-t-il vraiment d’être retenu ?

M. Mézoui. Je pense en effet qu’il y a un élargissement du conflit, celui-ci n’étant plus du tout local. On peut relever les tentatives récurrentes du BRICS de jouer un rôle de médiateur dans la confrontation. Il se trouve que l’Argentine y adhère elle aussi, proposant une alternative de taille à l’unilatéralisme américain (…) ».

Selon les dires d’un ancien ambassadeur américain, si les Américains avaient vraiment la volonté de lancer une stratégie d’ouverture avec les Iraniens, ils auraient dû inviter à la table des négociations et Israël, et l’Arabie Saoudite. Or, ce ne sera jamais fait, ce qui prouve une nouvelle fois la facticité des intentions exprimées, annonçant une stagnation certaine du dossier iranien. Mais il faut positiver. En effet, si le démantèlement de l’Iran ne serait que partie remise grâce au stoïcisme de la citadelle syrienne, il ne reste qu’à espérer que la crise économique européenne se généralisera au point que le financement de mercenaires islamistes deviendra hors de prix et que les USA, en chute de prestige, auront d’autres chats à fouetter. Après tout, John Kerry et Chuck Hagel ont déjà montré l’exemple. Quant aux pétromonarchies, remarquez bien qu’elles n’agissent jamais sans leurs alliés démocrates. T


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