La duplicité ou le premier pas vers la division de la Syrie

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La déclaration faite la semaine dernière par Ben Rods, assistant du président Obama en charge de la politique nationale, a radicalement changé la donne autour de la Syrie. D’une part, comme l’a dit l’officiel américain, la Maison Blanche reste attachée à l’idée de la conférence Genève-2 : « Malgré toutes les difficultés, nous avons le devoir de lancer les négociations politiques sur les bons rails ». Mais d’autre part, même en progressant dans cette voie, Washington « déploiera ses propres efforts » pour renforcer les positions des rebelles syriens. De cette façon, les États-Uns « avanceront pratiquement dans deux directions », dit en résumé Ben Rods.

Laissons pour le moment de côté la première direction pour ainsi dire politique et essayons d’imaginer au moins approximativement le scénario militaire dont les contours se sont déjà précisés malgré l’absence de commentaires officiels.

Il est évident que la décision d’armer les combattants syriens suppose que les armes doivent être acheminées à pied d’oeuvre, stockées, distribuées et qu’il faudra surtout leur apprendre à s’en servir. A en juger par les publications dans la presse occidentale, cela se passera grosso modo de la façon suivante.

Trois centaines de marines américains qui viennent de prendre part aux manoeuvres américaino-jordaniennes (voilà qui vient à point nommé) sont restés dans le nord de la Jordanie. C’est également dans la même région que sont déployées des batteries de missiles Patriot et des chasseurs F-16. Voilà la protection terrestre et aérienne du stock d’armes pour les rebelles syriens.

Passons maintenant au volet distribution et entraînement. En fait, des instructeurs américains recrutés parmi « les bérets verts » et des cadres de CIA sont depuis un bon moment occupés à armer et entraîner en Jordanie les recrues par l’Armée syrienne libre (ASL). Il est évident que la décision a été prise de transférer cette activité en territoire syrien mais à une plus grande échelle, ça va de soi. Mais il est évident aussi que cette extension demandera de nouveaux efforts d’encadrement du « processus de formation » et les nouveaux camps d’entraînement seront pris pour cible par les unités de l’armée nationale pro-Assad et plus particulièrement par son aviation. C’est à ce moment que l’idée de la « zone d’exclusion aérienne » surgira comme le diable de sa boîte.

Pour citer encore Ben Rods « les gens doivent comprendre que la mise en place de la zone d’exclusion aérienne est une affaire très coûteuse et difficilement réalisable. Rien ne permet de dire que cette mesure améliorerait radicalement la situation ». Il y a cependant un hic, à savoir ce qu’on doit entendre par « zone d’exclusion aérienne ». Cela fait tout de suite penser aux zones d’exclusion aérienne établies après la première Guerre du Golfe. Il s’agissait à l’époque des espaces énormes pointées par des méridiens et des parallèles. Plus tard, en Libye, la zone d’exclusion aérienne s’est étendue à tout l’espace aérien national.

Les États-Unis ont désormais l’intention d’agir plus habilement parce qu’ils se rendent compte qu’il est pratiquement impossible de faire passer par le Conseil de Sécurité la décision sur la zone d’exclusion aérienne « traditionnelle » au-dessus de la Syrie. Toujours à en croire la presse, le Pentagone a inventé « la zone d’exclusion arienne limitée » ou, en d’autres mots, « la zone d’interdiction des hostilités ». Ce sera un petit secteur du territoire syrien (on parle d’une quarantaine de km²) attenant à la frontière jordanienne au-dessus duquel les Américains auront tout le loisir d’abattre les avions syriens. Dans ce cas, Washington n’aura pas besoin de sanction correspondante du CS parce qu’il n’y aura pas de violation de l’espace aérien syrien. En effet, la portée des missiles « air-air » dont sont équipés les chasseurs F-16, permet de les tirer depuis le ciel jordanien. Il en va de même des batteries de missiles Patriot.

En d’autres mots, on voit se créer en territoire syrien un sanctuaire protégé par des missiles américains où l’ASL de Salim Idris pourra non seulement récupérer les armes américaines et s’exercer à leur maniement mais encore se mettre dans le pire des cas à l’abri de l’avancée de l’armée d’Assad. En plus, personne ne peut garantir que les 40 km2 ne deviendront un jour 80, 100 km2 et ainsi de suite jusqu’à l’infini et que la capitale de la « nouvelle Syrie » avec son « gouvernement libre » n’y sera pas proclamée au besoin, quitte à aider ensuite ce gouvernement sur les bases parfaitement légales et envoyer un corps expéditionnaire terrestre qui ne serait pas forcément américain. La conférence Genève-3 convoquée à cette occasion constaterait alors avec un regret tout factice que la conférence précédente a fait fiasco.

Cette combinaison est loin d’être brillante si on se reporte aux agissements des États-Unis au Vietnam en 1960-1970 mais en « inversant le signe ». Toute la question est de savoir comment cela se répercutera sur la situation dans l’ensemble de la région. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que les « brain trusts » américains évoquent depuis plusieurs années les perspectives de redécoupement de la carte politique du Proche-Orient.    N

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