Lors de mon récent séjour en Afghanistan, j'ai visité des forteresses modernes pratiquement de tout type, depuis les immenses bases-cités de Kandahar et d'Helmand jusqu'aux petits forts dans les montagnes de Farah ou dans les champs de pavot de Marjah. Elles sont toutes différentes, ayant cependant un trait commun. Leur position est dominante sur le territoire environnant et elles sont autonomes et peu vulnérables. Cela n'est pas étonnant car leur emplacement et les détails de leur construction ont été réalisés par les meilleurs professionnels. Tout est bon tant qu'elles sont occupées par les alliés. Oui, mais après ?
Théoriquement, un système de grandes et petites bases et fortifications militaires devrait servir de rempart à l'Etat afghan pour contrôler des vastes territoires. Et pas seulement. Voilà ce que le lieutenant-colonel Christopher Wendland, commandant d'une base militaire, a dit dans un entretien au journal Stars and Stripes sur les perspectives de l'emploi de la base de Sharana dans la province orientale de Paktika.
« Il y a ici de nombreux ouvrages de l'infrastructure qui peuvent servir les Afghans, notamment des édifices en beton et deux puits d'eau potable. Il y a en plus une piste d'atterrissage. Celle-ci peut être utilisée à des fins militaires, mais aussi pour fournir de l'aide humanitaire ou le matériel pour lutter contre les conséquences des cataclysmes. En tant qu'aérodrome civil, elle pourrait impulser l'économie locale... ».
La base de Sharana est si bonne qu'elle intéresse les dirigeants de la province. Il y a eu des propositions d'y déplacer une part des détenus d'une prison surpeuplée, voire d'y installer provisoirement l'université locale.
Mais ce sont des rêves, hélas. Il ne faut pas oublier que tous les ouvrages de la base doivent être entretenus : ainsi les Afghans ne sont pas en mesure d'assurer le fonctionnement des installations d'épuration. L'Afghanistan ne disposent pas de spécialistes et de moyens financiers pour entretenir des ouvrages militaires complexes à la hauteur des standards des armées occidentales. A première vue, on pourrait laisser toutes ces bases à l'armée, à la police et aux gardes-frontières afghans. Même si elles sont dénuées des biens de la civilisation occidentale. Mais non, c'est impossible. Le colonel Dennis Sullivan, chef du groupe de conseillers de la 10e division de montagne US, explique pourquoi :
« Si nous ne cassons pas tout, tout finira mal dans deux jours. Les combattants s'installeront ici et ils auront la position d'où ils pourront dominer tous les alentours ».
Il est vrai qu'il ne s'agit pas de la base de Sharana, mais des postes passage à la frontière avec le Pakistan. Mais la base et les postes sont les composantes d'un seul système de fortifications liées entre elles. Ayant perdu les postes, les militaires perdront, évidemment, la base et, par conséquent, le contrôle d'un territoire important. Le problème est dans le fait que personne ne sait ce qui se produira dans certaines régions afghanes après le retrait des troupes alliées. Toutefois la quasi-totalité des experts sont convaincus : les forces ne seront même pas utilisées pour protéger les fortifications dans les régions éloignées peu accessibles, notamment à Paktika, où la plupart de la population n'a jamais soutenu les autorités de Kaboul.
Ca peut sembler étonnant, mais personne n'en parle à l'heure actuelle, bien que la situation n'ait rien de neuf. Depuis des centaines d'années, Kaboul y envoyait ses armées pour pacifier les tribus rebelles. Depuis des lustres, les gouverneurs d'Afghanistan préféraient battre l'adversaire sur le terrain ouvert et ont détruit des forteresses pittoresques des rebelles locaux, sans construire les leurs. Ils savaient parfaitement que sans posséder une force suffisante et sans bénéficier du soutien de la population locale, il ne fallait y envoyer l'armée qu'en qualité d'argument décisif dans les pourparlers avec des clans locaux. Cette tactique donnait des résultats. Tandis que toutes les tentatives pour se fixer dans les régions éloignées signifiaient des dépenses inutiles en temps, en forces et en moyens, si l'on fait abstraction de brèves périodes historiques. Telle est la tradition locale. Pourtant, les stratèges britanniques, soviétiques et actuels se sont acharnées à en faire fi. Mais l'histoire continue de se répéter. Voilà pourquoi les organes sécuritaires afghans n'ont, semble-t-il, rien contre le fait que les gens qui ont construit la base de Sharana la réduisent en poussière.
« Nous ne voulons pas que tout soit mis en poussière une nouvelle fois », dit le lieutenant-colonel Wendland. Mais il paraît que d'autres solutions n'existent pas. En tout état de cause, à présent. N