Arrêtée le 19 mai dernier alors qu’elle taguait le mot FEMEN sur le mur d'un cimetière, Amina va être poursuivie pour profanation de cimetière et atteinte aux bonnes mœurs. L’enjeu de sa démarche dépasse pourtant les frontières tunisiennes.
Nous avons demandé à Florence Montreynaud, historienne et féministe, de commenter l’action d’Amina.
Florence Montreynaud. La comparaison avec Jeanne d’Arc me parait très intéressante par le coté femme seule. Une différence avec toutes les autres actions féministes qu’on a pu voir dans les dernières décennies, qui sont le fait d’un petit groupe. Là, c’est une femme qui agit seule. Il y très peu d’exemples féministes de ce comportement. Cela nous montre que cette femme n’est pas seulement brave, mais téméraire et intrépide. C’est extrêmement dangereux ce qu’elle fait. Nous admirons beaucoup, mais elle n’est pas imitable. Admirable, mais pas imitable, on ne peut pas recommander de prendre un tel risque.
Vous la comparez à Jeanne d’Arc et c’est curieux, parce que Jeanne d’Arc portait une armure. Justement, elle, Amina, expose son corps. Ce qui est une première dans l’histoire du féminisme. Le mouvement des FEMEN est apprécié diversement selon les pays, les groupes, les mentalités.
Mais on ne peut pas nier qu’elles ont introduit une dimension absolument nouvelle, en donnant au sein une valeur différente de celle de notre société, où il est soit nourricier, soit érotique. Elles lui ont donné une troisième valeur qui renvoi, à mon avis, à l’imaginaire, aux guerrières mythiques d’avant notre ère. Ou à un exemple français frappant, le tableau de La Liberté guidant le peuple de Delacroix. Je suis allé voir ce tableau récemment et je me suis dit : « Voilà ! C’est une « FEMEN » ! » Son sein n’a ni une valeur érotique, ni une valeur nourricière. Il a simplement la valeur de dire : « Ma robe s'est déchirée dans le combat et je ne veux pas perdre de temps à me rhabiller, alors que c’est mon combat qui est prioritaire »
Dans ce cas là, Jeanne d’Arc adopte aussi une posture guerrière comme ça. Oui, Amina est une Jeanne d’Arc. Dans le monde entier on connaît Jeanne d’Arc, et je pense que la comparaison est très justifiée. C’est-à-dire que c’est une toute jeune fille, Jeanne d’Arc avait 19 ans quand elle a été brûlée.
Elle risque sa vie pour nous défendre. « Nous défendre » - cela veut dire « nous », les hommes et les femmes de bonne volonté qui croyons en un monde meilleur, où les femmes seront comme les hommes, avec des droits égaux, avec la liberté de se promener dans la tenue qu’on veut, avec le droit au désir, le droit à l’expression de désir. Oui, Amina est une Jeanne d’Arc.
VdlR. Dans un certain sens aussi, il n’a pas eu de « guerre », mais il a eu une « victoire »… je ne sais pas si vous considérez cela comme « victoire »… Aux Etats-Unis, à New York, on a maintenant autorisé les femmes à se promener seins nus. Ce n’est pas du tout le même combat, c’est beaucoup plus facile de le faire aux Etats-Unis qu’en Tunisie.
J’ai regardé les images de Tunisie, de l’arrestation d’Amina, elle est totalement entourée d’hommes. Corrects. Mais j’étais impressionnée par le calme de cette femme au milieu de cet univers totalement hostile.
Où, à votre avis, puise-t-elle la force de s'opposer ?
Florence Montreynaud. Comme chez tous les résistants, ce calme, cette sérénité – c’est ce qui habite les personnes qui agissent selon la nécessité intérieure, une certitude intérieure qu’elles sont dans la juste voie. Je ne peux pas l’expliquer, je ne peux pas me mettre à sa place, mais il me semble qu’on peut comprendre ça. Il y a beaucoup d’exemples dans l’histoire : quand on voit Mandela, ou Martin Luter King, ou Gandhi, on voit bien que ce genre de personnes agissent dans le calme. Ce n’est pas une démarche nerveuse, avec du bruit, c’est, au contraire une démarche paisible. Elle est dans la vérité.
VdlR. La famille l’a même accusé de cas psychiatrique. Seul son père la défend.
Florence Montreynaud. J’ai trouvé magnifique le soutien du père. J’ai lu une lettre émanant du père, si elle est vraie, c’est magnifique que le père soutienne sa fille. Au fond, si je réfléchis, avec les connaissances que j’ai sur l’histoire des femmes… J’ai étudié des milliers des biographies de femmes pour mon grand livre sur l’histoire des femmes du XXe siècle, et j’ai trouvé un point commun a une très grande majorité des femmes – le soutien de leur père dès l’enfance. Peut-être est-ce la clé qui explique le sentiment d’Amina d’avoir raison. Si son père la soutient, cela veut dire qu’elle est assurée de sa construction psychologique, que c’est une fille qui a des bases sûres, qui a été construite par le regard d’un père valorisant.
VdlR. Vous pensez qu’en Tunisie, il n’y a qu’une démarche comme celle-là, un choc, qui peut changer la situation des femmes ?
Florence Montreynaud. Je ne connais pas assez ni la Tunisie, ni le monde arabe. Je me demande si Amina ne restera pas seulement une hirondelle. Peut-être annonce-t-elle le printemps. Peut-être d’autres femmes se sentiront encouragées. Personne ne peut souhaiter aux femmes de s’exposer comme ça, individuellement. Personne ne peut les susciter. Ces actions individuelles sont beaucoup trop dangereuses.
Ce qu’il faut souhaiter à la Tunisie, c’est un groupe de femmes, un mouvement de femmes, solide, sur les bases juridiques. Qui explique que la Tunisie avait un code de statut individuel très avancé et que maintenant on revient dessus, ce qui est scandaleux.
VdlR. C’est mieux de ne pas se mettre en danger.
Florence Montreynaud. Je ne veux pas les encourager. Si j’avais une fille, je ne lui dirai pas de faire ça.
VdlR. Merci beaucoup.
Sur la page Facebook officielle des « Fans des FEMEN » tunisien, on peut trouver la traduction de la lettre du père d’Amina à laquelle fait référence Florence Montreynaud : « …ma fille Amina, et elle demeurera toujours la fille que j'aime, même si elle devait montrer tout son corps nu ; car elle est la victime d'une société qui a échoué. Et moi-même comme père et comme responsable, j'ai échoué avec elle, car aujourd'hui, notre jeunesse s'enrôle dans le Jihad en Syrie, va mourir en mer, et c'est aussi cette même jeunesse qui part faire ses études à l'étranger pour ne plus revenir. Cela cache les maux d'une société, une société qu'il faut soigner et non pas se venger d'elle ».
Jeanne d’Arc a entendu les voix qui l’ont guidé dans sa quête. Sa croisade au nom de la France reste dans l’histoire.
Et l’histoire montrera si Amina a réussi à faire entendre sa voix à elle. N