Malheureusement pour eux, ils n’en ont pas les moyens appropriés, ce qui n’est pas le cas par rapport aux salaires. On sait ainsi que la France est le deuxième pays de l’OCDE qui taxe le plus le revenu. Un Français moyen ne jouit qu’un tout petit peu plus de la moitié de ce qu’il vaut en réalité ou, du moins, de ce qu’il coûte à son employeur. Triste constat qui une fois de plus remet en question la notion de démocratie, difficilement exerçable quand les citoyens sont sous-payés, donc, humainement parlant, sous-estimés.
Les commentaires des Français abondent en ce sens, même quand il s’agit, quasi-innocente, de la loi sur la taxation des opérations boursières. Or, que signifie cette dernière en pratique ? Existante et en tant que telle jugée naturelle depuis voilà la fin du XIXème siècle, elle a été abrogée par le gouvernement Sarkozy en 2007 pour être finalement rétablie en janvier 2012 sous ce même gouvernement mais, semble-t-il, sous une forme qui continue à subir certaines mutations au rythme de la crise et de l’incertitude des banques. Elle consiste grosso modo à « imposer un impôt proportionnel qui frappe les opérations d’achat et de vente, au comptant ou à terme, de valeurs en bourse, notamment les actions ». Cette mesure, bien discutée dans le monde des finances, nécessite quelques clarifications. Voici celles de M. Jacques Sapir, économiste, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
La VdlR. « Comment expliquez-vous le moratoire accordé à la taxe sur les opérations boursières entre 2007 et janvier 2012 ? S’agissait-il d’un geste gratuitement libéral ou d’un soutien qui avait été affiché aux élites économiques françaises ?
M. Sapir. La taxation des opérations boursières s’inscrit en France dans une tradition remontant aux années 80 et qui correspond en fait à la taxation du patrimoine. Or, ce que pensait Nicolas Sarkozy, c’est qu’il fallait au contraire encourager les Français à acheter des actions quitte à reporter une partie de la taxation de ce patrimoine vers les autres actifs comme l’immobilier. En fait, on se rend compte aujourd’hui qu’il y a relativement peu d’achats d’actions en France, les Français préférant placer leurs épargnes essentiellement en obligations ou, à nouveau, en pierres ou en immobilier.
La VdlR. La levée dudit moratoire en janvier 2012 serait donc essentiellement liée à cette tendance qu’ont les Français d’éviter d’acheter des actions ?
M. Sapir. Il était déjà proposé du temps du quinquennat de Nicolas Sarkozy parce que beaucoup d’économistes qu’ils soient de droite comme de gauche avaient constaté que cette mesure qui avait été prise dans un but d’incitation, dans un but d’encouragement à acheter des actions, ne fonctionnait finalement pas et n’avait absolument pas changé la distribution du patrimoine en France entre immobilier, obligations et actions. De plus, il est clair que le nouveau gouvernement qui est en place depuis déjà un an, ayant des besoins fiscaux de plus en plus importants pour essayer de réduire la dette, a vu dans cette espèce de cadeau qui avait été fait sur la question des actions une inégalité et a bien sûr cherché à la supprimer. Je pense en outre que d’une manière générale les économistes étaient convaincus que cette décision n’avait pas eu l’effet incitatif qui à la base était souhaité et que donc elle ne s’imposait pas.
La VdlR. Quel pourcentage les revenus de cette taxe constituent-elles dans le budget national ? S’agit-il d’un pourcentage important ?
M. Sapir. Non. Il faut savoir que de toute façon l’impôt sur le patrimoine, sur le capital des ménages qu’on appelle l’impôt de solidarités sur la fortune n’a qu’un rendement relativement faible parce qu’en réalité il ne concerne environ que 150.000 ménages. Il faut savoir que la distribution du patrimoine est en France encore plus inégalitaire, plus concentrée que ne l’est la distribution des revenus. Et donc, de ce point de vue-là, on voit bien que le fait de taxer le patrimoine n’est possible que si l’on élargit l’assiette de cet impôt mais, à partir de là, on se heurte à toute une série d’autre problèmes, par exemple, au problème de l’héritage en particulier auquel les Français restent très attachés. On n’a pas de grande volonté d’étendre cet impôt au-delà des 150.000 foyers fiscaux concernés à l’heure actuelle. Il faut d’ailleurs dire que le nombre de ces foyers a eu tendance à légèrement monter ces dernières années mais pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la distribution du patrimoine. Simplement, on a laissé le seuil à partir duquel vous devez déclarer votre patrimoine inchangé et, compte tenu de la hausse des prix de l’immobilier, comme on est obligé de déclarer sa résidence principale et éventuellement sa résidence secondaire, il y a toute une série de ménages – dont par ailleurs le patrimoine n’est pas franchement important – qui ont passé ce seuil à partir duquel ils paient la taxe. On estime qu’il y a eu aujourd’hui environ 80.000 ménages – car on est plus proche des 100.000 que des 150.000 relevés il y a 5-6 ans - qui l’ont dépassé, ce qui donne approximativement 180.000 ménages payants. Ces ménages, ce sont essentiellement des ménages qui paient l’impôt sur le patrimoine à cause des prix de l’immobilier. Donc, c’est un pur artifice technique mais, de toute manière, cet impôt se borne à être surtout symbolique et non pas un impôt qui rapporte vraiment de l’argent pour l’Etat ».
Si donc les mesures symboliques en économie s’inspirent des inquiétudes réelles que celle-ci suscitent, il s’avère que la taxe sur les opérations boursières, même minimale, même très peu discutée hors des milieux financiers, ne fait pas non plus exception, répondant au souci d’illusionnisme bienfaiteur des gouvernements en place. La contribution des 180.000 ménages, existante quoique minime, crée l’impression supplémentaire que quelque chose se fait vraiment pour contrer la crise …