Pis encore. Je suis sur le point d’en comprendre le sens. Or, comprendre, n’est-ce pas dans une certaine mesure justifier ? Si tel est le cas, j’ai bien peur d’être sur le point de justifier un suicide. Celui de M. Dominique Venner, écrivain, essayiste et philosophe français. On peut percevoir son acte d’une façon très différente. Acte lâche, barbare, abject pour d’aucuns – et je ne relève qu’une part infime des caractéristiques que j’ai pu lire hier dans les commentaires des lecteurs, acte noble, imbu de courage, acte ultime pour d’autres. Où est la vérité ? Si j’adopte une optique socratienne, il y a une grosse part de vérité et donc, de crédibilité dans ce suicide qui est un message. Il en va de même si j’adopte un point de vue sartrien. Je ne porte pas Sartre dans mon cœur et cependant, sa théorie de l’engagement ici, tout de suite, appuyée sur l’idée que nous n’avons pas d’autre vie que celle qui se vit là, maintenant, sur le champ, pourrait justifier, d’une façon exceptionnelle bien sûr, certains types de suicide.
Voici un extrait de la lettre d’adieu de M. Venner qui vient confirmer ce lien de solidarité pratique : «Alors que tant d’hommes se font les esclaves de leur vie, mon geste incarne une éthique de la volonté. Je me donne la mort afin de réveiller les consciences assoupies. Je m’insurge contre la fatalité. Je m’insurge contre les poisons de l’âme et contre les désirs individuels envahissants qui détruisent nos ancrages identitaires et notamment la famille, socle intime de notre civilisation multimillénaire. Alors que je défends l’identité de tous les peuples chez eux, je m’insurge contre le crime visant au remplacement de nos populations».
Contrairement à ce que prétendent certains médias ancrés dans la désinformation ou l’omission partiale des faits, la ratification de la loi Taubira ne constitue guère le motif déterminant du suicide. Cette loi, si absurde ou scandaleuse qu’elle soit, n’est en soi rien d’autre qu’un symptôme non spécifique. Ce qui importe aujourd’hui, c’est la désimmunisation éthique et culturelle de la France, tant sur la plan politique que social. Vous souvenez-vous de cette légende très éloquente dans laquelle les gens du Gog et Magog – figuration du chaos, de l’hybris grec par excellence – se sont insurgés ayant réalisé qu’il n’y avait plus personne pour sonner les trompettes sur la muraille qui les avaient empêchée de prendre la ville et que le son qu’ils continuaient à entendre n’était que le sifflement du vent ? Plus que d’une légende, il s’agit d’une parabole particulièrement poignante puisque les forces insurrectionnelles dont il y est question renvoient l’image de ceux qui haïssent la France voyant en son identité l’ennemi à combattre. Quant aux trompettes, elles incarnent bien sûr notre système immunitaire, la foi que nous avons en nous-mêmes, en nos ancêtres, en nos traditions. Or, cela fait belle lurette que notre Noël n’est plus que l’ombre de lui-même, un simulacre orné de sapins (et encore que ce n’est plus vraiment le cas à Amiens par exemple) et de cadeaux mais dénué de son sens profond. Cela fait belle lurette que l’Histoire de France ne suscite plus ce sentiment de fierté qu’elle suscitait si bien que, ces dernières années, elle est châtrée au nom de je ne sais quel discours droit-de-l’hommiste. Qui avouera aujourd’hui sérieusement qu’il admire Saint Louis ou Jeanne d’Arc ? Cela fait enfin belle lurette que le mot patrieest jugé quasi-désuète, si bien que vous ne le retrouverez plus dans les manuels scolaires. Or, qui dit patrie, dit famille. Qui dit famille, dit unité nationale. Ces notions clés, immuables, sacrées jusque là, ces notions restent aujourd’hui lettre morte. Elles sont pareilles au sifflement de vents lointains remplaçant les trompettes d’antan.
M. Venner, de par le dénouement tragique de son existence, a osé donner un son de trompette. A sa façon. Dans une cathédrale qui, comme il l’a remarqué dans sa dernière lettre, avait été « édifiée par le génie de ses aïeuls ». M. Venner ayant été très attaché à l’idée d’identité nationale, j’ai demandé à M. Damien Rieu, porte-parole du mouvement Génération identitaire, de commenter la disparition de l’écrivain.
La VdlR. « Comment est-ce que vous percevez le suicide de M. Dominique Venner ? Peut-on l’interpréter comme la démarche d’une personne âge qui a disjoncté par désespoir ou d’un acte autosacrificiel recélant un message véritablement politique ?
Damien Rieu.Ma première réaction a été bien sûr la stupeur dès que j’ai su la nouvelle, c’était vraiment la stupeur et l’incompréhension … j’avais très peur que ce soit le geste de quelqu’un de désespéré, un geste irréfléchi. Un peu plus tard, dans la soirée, on a appris qu’il s’agissait du contraire, c’est-à-dire d’un acte politique totalement assumé, d’un cri du cœur, d’un cri ultime pour réveiller les consciences. Quelque chose qui est admirable en soi.
La VdlR. Croyez-vous que le sacrifice de M. Venner pourrait enfin secouer les Français, les sortir de ce que l’écrivain a lui-même désigné par le terme léthargie ? En outre, ne craignez-vous pas que cet acte sans précédent pourrait au contraire compromettre sa cause vu le lieu et le contexte du suicide ?
Damien Rieu. Très clairement, je pense que ce sacrifice et ce message s’adressaient aux gens qui sont conscients de ce qui se passe et non aux gens qui sont soit dans le déni, soit qu’ils sont totalement inconscients du remplacement de population avec sur fond de décadence de l’Europe. C’est un geste qu’il faut peut-être aussi mettre en parallèle avec celui d’Alain Escoffier qui, se battant contre le communisme, s’était immolé sur les Champs-Elysées. Nous retrouvons en l’occurrence la même optique. On parle en ce moment du livre posthume de M. Venner qui s’intitule leSamouraï d’Occident. Son geste est donc celui du samouraï ou du général romain, un geste donc fort et symbolique qui n’est pas forcément compris par, en tout cas, certains catholiques, enclins à trop s’attarder sur le motsuicide, alors que ce n’est pas un suicide, c’est une mort volontaire. Il le dit, il le revendique dans ses lettres. Il est question de la mise en scène de sa mort au service d’une cause malgré la déformation médiatique de ses revendications qui sont pourtant d’une clarté irréprochable. Je pense notamment à la lettre qu’il avait adressée à ses amis où tout est dit ».
Dominique Venner était athée. Il croyait au Néant. Mais il croyait avant tout, surtout, par-dessus tout à la France, à la mémoire des aïeux, à la pérennité de l’héritage judéo-chrétien. Cette foi, quoiqu’enracinée dans l’immanence, mérite bien d’être sacralisée.