La vie « dans l’ombre » d’une capitale n’est simple nulle part. Néanmoins même cette vie a ses avantages. Il suffit de traverser 100 km en quelque heure et demie de train de banlieue pour découvrir la vie des gens loin des faux-fuyants des avenus moscovites. D’oublier le bruit de la circulation incessante… et brusquement entendre le chuchotement des feuilles, le chant des oiseaux, entendre la voix humaine. De passer de l’anonymat d’une grande ville vers la proximité et le concret d’un village.
Jean-Gregoire Sagbo est originaire du Bénin, mais vit à Novozavidovo.
La Russie est souvent considérée par les Africains comme étant un pays où le racisme règne. Malgré cette réputation peu enviable, la Russie est restée une terre d’accueil pour plusieurs étudiants d’origine africaine. Le coût plus abordable des études universitaires en Russie par rapport à l’Europe et à l’Amérique du Nord est le principal argument.
C’est précisément pour cette raison que Jean Grégoire Sagbo est venu en Russie en 1982. Grande histoire d’amour des années étudiantes, au sein de l’Institut Coopératif à Moscou, était plus qu’un coup de foudre, cette histoire est devenu un destin. Plusieurs années plus tard, Sagbo et sa femme quittent Moscou. Les voilà à Novozavidovo.
Jean Grégoire Sagbo dit que ni lui, ni sa femme n’avaient auparavant eu une bonne impression de la politique. Pour eux, la politique n’était pas un milieu enviable. Mais, on ne vit pas dans le vide… Tous les problèmes de la petite cite sont sous les yeux de chacun quotidiennement : le chômage, la pollution, l’insalubrité, la corruption…
Il y trois ans on propose à Jean-Gregoire Sagbo de devenir conseiller municipal dans cette ville de 10 000 habitants.
La tâche qui l’attendait, ainsi que ses collègues à la tête de la ville est impressionnante, et, pourtant, elle est si simple, si vitale : assurer l’approvisionnement des habitations en eau chaude, en chauffage, etc…
Ses promesses de campagne incluent notamment la lutte contre les drogues, le nettoyage d'un lac pollué et bien d’autres tâches qui peuvent paraitre minimes a l’échelle nationale, mais qui au quotidien peuvent devenir insupportables comme une épine au pied. Et ces promesses ne sortaient pas du vide, plusieurs n’étaient que le prolongement des bonnes initiatives déjà prises. Tels que, par exemple, trouver plusieurs lits gratuits dans un hôpital pour la désintoxication des jeunes de la cité.
Résultat : 36 % d’habitants ont voté pour Jean-Gregoire Sagbo.
Cette élection a été un évènement en Russie. Tous le medias en ont parlé: les nationaux, aussi bien que les étrangers, tentant de situer le « phénomène Sagbo » dans l’évolution de la Russie actuelle. Si on pose cette question au maire de la ville, Vyacheslav Arakelov, la réponse est franche : « Sa peau est noire, mais c'est un Russe à l'intérieur. Seul un Russe pourrait se préoccuper de cette ville comme il le fait ».
Trois ans se sont écoulés. Nous sommes venus à Novozavidovo pour poser quelques questions à Jean-Gregoire Sagbo…
Certainement, celui qui prend à cœur les problèmes de ses voisins devrait puiser cette habitude dans les années d’enfance. Comment était la famille béninoise du député russe ? Quels principes de vie a-t-il perçu auprès de ses parents ?
Jean-Gregoire Sagbo. En Afrique en général, si on parle de la polygamie… mon « vieux », mon père, avec maman s’est marié officiellement à l’église. Avoir d’autres femmes C’est interdit. Tout compte fait il a eu une autre femme. De ce mariage il a eu moi et mon petit frère. Ma maman est catholique, croyante. Elle a eu huit enfants, ce sont les enfants qu’elle a « péché » par ci, par la… Elle a adopté huit enfants, et il n’y a pas eu de différence entre moi, mon petit frère, ces huit enfants. Nous avons vécu comme une grande famille. Chaque fois que je rentre au Benin actuellement c’est ma famille, j’ai vécu en grande famille.
Si on parle de mon pays d’origine, c’est un pays pauvre, vous le savez. Cette solidarité entre dans les coutumes. Celui qui a un peu plus, au-dessus de la moyenne… On a toujours cherche à aider les autres. C’est ça qui nous sauve. C’est ça qui sauve les pays africains. Si on est croyant, on ne peut pas laisser son voisin périr. J’ai toujours vécu en aidant (les autres), et je ne suis pas venu ici pour vivre autrement.
Nous sommes tous des chrétiens. Pour moi ce n’est pas une spécifié de la société russe. Qu’on soit catholiques ou orthodoxes, nous sommes tous croyants. Nous sommes tous les chrétiens.
Si on prend la politique française chez nous, sur le plan judiciaire, sur le plan économique, nous sommes libres de la France. Mais jusqu’à présent, tout ce qui a rapport à la vie sociale sur le plan économique, nous sommes encore sous la France. C’est pour ça que dans mon cas, à l’époque de 1972 – 80 on est parti pour construire une autre société, qui ne soit pas pareille à ce qu’on a vécu depuis les temps coloniaux jusqu’à l’indépendance. On a été mal vu par la France. L’Union Soviétique a été le pays le puis puissant qui a donné le soutien. C’est par ce biais qu’on a eu l’enthousiasme de construire une société plus ou moins socialement juste. L’exemple c’était la Russie.
J’étais déjà en deuxième année à l’Université, j’étudiais l’économie, quand on m’a dit qu’il y a une possibilité d’étudier en Russie. Nous, on avait un club, pas communiste, mais progressiste. Nous sommes tous arrivés ici et entrés à l’Institut coopératif de Moscou. Dans l’institut on enseigne à tous ceux qui étaient des kolkhozes et sovkhozes. L’idée était de prendre cette expérience vécu ici et la ramener, faire comme en Russie. Dommage que cela n’a pas marché.
La Russie nous a beaucoup aidés pour la formation des cadres. On a beaucoup de cadres formés ici, mais maintenant il y a un… deux… parfois cinq personnes qui arrivent. On n’entend plus parler de la Russie.
Mais la Russie a d’autres priorités actuellement. Par exemple, je vois comment les gens vivent ici. Dans les grandes villes les gens vivent bien, ils n’ont pas de problèmes. La Russie est un pays riche. Si cette richesse serait mieux repartie, les gens peuvent vivre mieux que dans le monde entier. Il n’y a pas de possibilité de cette répartition d’une manière adéquate, ça ne marche pas en Russie.
Alors, ici les gens vivent aussi mal que nous. Les gens ont leurs problèmes. Et, la Russie a ses problèmes. Aller aider ces pays pauvres de l’Afrique il n’y a pas de sens… C’est onéreux aussi. Mais la Russie a beaucoup de potentiel et on peut travailler avec la Russie dans beaucoup des domaines : la pharmacie, par exemple. Mais il n’y a rien, on ne demande pas. Je préfère Benin arrive à se procurer les produits pharmaceutiques russes, plutôt qu’aller en France.
Le blé, ça coute dix fois plus cher. Nous avons de quoi faire. Il faut aussi vendre, pas seulement nous donner. Il faut « torgovat’ », vendre… La Russie est en train de perdre ce point-là. Parce que s’il y a à vendre, il faut vendre.
L’ambassadeur du Benin en Russie a étudié ici. Maintenant, de Benin, ils arrivent pour le business. Il y a aussi des étudiants, mais beaucoup moins.
« Nul n'est prophète en son pays » Cela peut être une explication du succès rencontré par des Africains loin de chez eux. Quand on rencontre Jean-Gregoire Sagbo, on passe une journée avec lui, on le voit parler avec les babouchkas dans la rue (elles ne sont pas toujours tendres d’ailleurs dans leurs propos), on ne peut pas ne pas voir la force tranquille qu’émane de lui.
Il est chez lui.
C’est son pays.