Washington, Moscou et Londres ont pris la décision de mettre un terme à la guerre en Syrie. Pour preuve : la rencontre de lundi soir entre le président américain et le premier ministre britannique coïncidait avec l'annonce, le jour même, de la visite du secrétaire général de l'Onu Ban Ki-moon en Russie.
Une chose est sûre : la position des USA et du Royaume-Uni a fait un virage à 180 degrés. Ils ne veulent pas laisser le président Bachar al-Assad à la tête de l’Etat mais feront des efforts pour empêcher l'opposition, sous sa forme actuelle, d'arriver au pouvoir.
Cameron a apprécié Sotchi
Ban Ki-moon discutera en Russie de la proposition russo-américaine d’organiser une conférence sur la Syrie. Les représentants d'Assad et de l'opposition pourront y participer. L'Onu est concernée car cette décision – d’organiser la conférence, de créer un gouvernement de transition et d’aller plus loin – avait été prise l'été dernière à Genève.
Sauf que Washington et Londres - et pas seulement - ont tenté de faire comme si la réunion de Genève n'avait jamais eu lieu. Assad devait démissionner, et point ! Aujourd'hui la situation a changé.
En ce qui concerne la rencontre d'Obama avec Cameron à Washington, peu d'informations ont été annoncées au public mais quelques points intéressants peuvent être relevés. Tout d’abord le fait que la Russie est "intéressée et doit" aider l'Occident à régler la situation.
Rappelons enfin que l'idée de la conférence date du 7 mai, date de l'arrivée à Moscou du secrétaire d'Etat américain John Kerry, et que le 10 mai Vladimir Poutine s'est entretenu avec David Cameron à Sotchi – ils ont une nouvelle fois évoqué de la Syrie. Le premier ministre a tellement apprécié cette entrevue que sur la route du retour il a longtemps parlé aux journalistes du déroulement de sa rencontre avec Poutine et a dit qu'il pousserait Obama à prendre au sérieux les initiatives russes.
Le sommet du G8 au Royaume-Uni prendra probablement le relais et, de toute façon, il est clair qu’un terrain d'entente a été trouvé et que l'affaire est en route. Cela semblait incroyable il y a un mois.
Le plus important est de comprendre ce qui s'est réellement passé, pourquoi l'approche proposée par Moscou il y a un an, deux ans, et pendant la réunion de Genève… pourquoi tout cela ne fonctionnait pas et commence à porter ses fruits aujourd'hui. Moscou n'a pas changé de position, contrairement à ses partenaires atlantiques.
Ils ont fait un virage à 180 degrés mais il n'est pas facile de le voir. Depuis un ou deux ans beaucoup de choses ont été publiquement annoncées à propos du "dictateur sanguinaire" Assad et de son opposition démocratique, comme à propos de tous les autres événements au Proche-Orient qu'on appelait encore "printemps arabe".
Publiquement et dans la presse, beaucoup continuent à dire approximativement la même chose et c'est pourquoi on a parfois du mal à apercevoir qu'au niveau des experts et du gouvernement, on entend des discours complètement différents. Il ne reste plus qu'à dire ouvertement qu'il est aujourd'hui dans l'intérêt de l'Occident qu'Assad reste au pouvoir aussi longtemps que possible.
Voyons ce qui a entraîné un tel tournant.
"Oublions Boston, concentrons-nous sur la Syrie"
Commençons par l'évidence : qu'est-ce qui ne s'est pas produit depuis, disons, un an ? Le gouvernement syrien ne s'est pas incliné dans la guerre face à l'opposition. De plus, à l'heure actuelle, certains experts parlent d'un renversement au profit d'Assad et citent même six raisons à cela, dont le fait que ses troupes ont appris à combattre en ville, qu’on a armé le peuple, etc.
Continuons dans l'évidence : en Amérique le thème politique central est le scandale qui se poursuit concernant la Libye, où les Européens, mollement soutenus par les USA, ont permis à l'opposition de renverser le "dictateur" Kadhafi. Après quoi, le 11 septembre dernier, ses mêmes opposants ont tué l'ambassadeur américain Chris Stevens à Benghazi.
Le scandale est l'arme parfaite des républicains dans leur guerre éternelle contre les démocrates : la déclaration du département d'Etat après les événements de Benghazi ; ce que la Maison blanche lui a ordonné de dire, etc. Et toute cette histoire nous fait penser que la situation de la Libye et celle de la Syrie aujourd'hui sont trop semblables.
On pourrait supposer que même en l'absence d'une position rigide de Moscou et de Pékin à l'Onu (plus de zones d'exclusion aérienne ou d'autres mesures pour soutenir les islamistes radicaux) le scénario libyen ne se serait pas forcément répété.
Pourquoi ? On a eu le temps de regarder de près l'opposition syrienne pendant ces mois de guerre. Par exemple, un article inattendu dans le Washington Post explique comment les jihadistes de divers pays réagissaient aux récents attentats de Boston. Il s'avère que leur réaction est plutôt passive – qui sont ces frères Tsarnaev d'on ne sait où, alors qu'il y a tant de choses importantes, "notamment en Syrie où les combattants d'Al-Qaïda du Jabhat al Nusra continuent à gagner des positions". Par exemple à Alep, où ils mettent déjà en place leur gouvernement et lancent des programmes sociaux ; ou encore à Racca…
Ce magazine fait partie des plus compétents. On y dit tout ouvertement : il faut cesser d'aider les jihadistes à s'emparer d'un pays arabe après l'autre. Il est temps de créer "sa propre" opposition syrienne sinon le scénario de Benghazi se répétera. Sauf qu'elle ne se crée pas…
Dans l'ensemble, pratiquement tout coïncide avec la position de Moscou, qui ne veut pas de jihadistes à Damas. On sait déjà quel sort connaîtra le pays si le gouvernement était renversé rapidement. Mais une conférence où sera également présente la délégation gouvernementale syrienne – c'est autre chose.
Il existe aussi un risque d'expansion du conflit en dehors des frontières syriennes. Après Cameron, c'est au tour du premier ministre turc Recep Erdogan de se rendre aux Etats-Unis – il est mécontent de voir qu'Obama ne soutient pas le renversement d'Assad.
La colère d'Erdogan est due aux explosions survenues dimanche dernier dans une ville turque à la frontière syrienne - de facto la base de l'opposition syrienne. Une histoire très étrange qui sent la provocation, de même que les tentatives permanentes de l'opposition d'accuser Damas d'utiliser l'arme chimique.
Sans oublier Israël (dont le premier ministre Benjamin Netanyahou s'apprête à venir à Moscou), qui pourrait également se retrouver impliqué dans une grande guerre régionale que l'Occident serait incapable de contrôler.
La conférence sur la Syrie ne sera pas simple à organiser. L'idée est claire – la partie la plus "sauvage" de l'opposition ne sera pas présente à la table de négociations. En revanche, il serait possible de former "sa propre" opposition et de l'aider sérieusement, cette fois, même avec des armes. L'Occident ne devrait pas être le seul à le faire. La Russie peut en faire autant.
Au stade de la préparation pour la conférence il y aura, bien sûr, la tentation de revoir les accords convenus à Moscou dernièrement. Le diplomate américain Stephen Sestanovich a dit beaucoup de choses intéressantes à ce sujet dans une interview : il est tentant de mettre la Russie devant un fait accompli et de faire disparaître Assad afin que l’on puisse dire "c'est exactement ce qu'on voulait faire depuis le début et nous y sommes arrivés".
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction