Israël se remet à lancer des raids aériens sur la Syrie, ce qui peut être directement interprété comme une aide au profit de l'opposition syrienne. Cependant le rôle et l'intérêt de l’Etat hébreu dans le conflit syrien est plus complexe.
Chronique d'une guerre non déclarée
L'armée de l'air israélienne a attaqué la Syrie les 3 et 5 mai 2013. Il n’y a toujours aucune description sensée des événements et les communiqués de l'opposition syrienne, rapportés par les médias, ne sont pas du tout plausibles : l'attaque de 18 avions contre 43 cibles à la fois sans pénétrer dans l'espace aérien de la Syrie ne peut être qu'une forte exagération.
Israël ne commente pas les communiqués annonçant que ces attaques visaient les missiles iraniens Fateh 110 envoyés au Liban via la Syrie et destinés au Hezbollah. Ces informations ont été rapportées par l'agence Reuters, qui se réfère à des sources chez les renseignements occidentaux. Quant à l'Iran, il nie tout en bloc.
L'attaque israélienne contre la Syrie n'est pas la première cette année. Selon diverses informations, les alentours du centre de recherche de Jamraya avaient déjà essuyé des frappes aériennes le 30 janvier dernier (selon d'autres sources un convoi transportant des armes aurait été attaqué par l'aviation). Dans le cas présent le scénario se répète : d'après la presse la première attaque avait pour cible un convoi et celle du 5 mai visait les environs de Jamraya.
De quoi s'agit-il ? D'une guerre? Israël tente-t-il de frapper dans le dos son ennemi juré ? C'est ainsi qu'on le perçoit. A moins d'y regarder de plus près.
Des alliés en guerre
La partie la plus originale de cette mise en scène est qu'Israël est pratiquement le seul pays de la région – avec l’Iran - à n’être absolument pas intéressé par la chute du régime alaouite des Assad.
Selon une opinion largement répandue, Tel-Aviv ne peut pas s'endormir sans mettre des bâtons dans les roues de Syriens mais, malheureusement pour les adeptes de cette légende, cette idée est infondée.
La présence à Damas d'un régime d’officiers, certes hostile mais centralisé et laïque, est extrêmement désagréable. Mais quelle alternative est possible ? Le chaos, la poursuite de la guerre civile en Syrie, la perte d'un contrôle élémentaire, des armes en nombre et changeant de mains constamment ou encore la transformation du pays en foyer d'extrémisme islamique.
Le choix est affligeant mais sans compromis.
Israël se comporte de façon cynique mais totalement rationnelle et pragmatique : la Syrie n'est plus considérée comme un Etat intègre et contrôlé mais plutôt comme un espace géophysique politiquement déstructuré. Divers acteurs s’y déplacent, avec des occupations variées – et les affaires de certains d'entre eux sont loin de plaire à Israël.
Jusqu'à présent, Israël ne pouvait pas se permettre d'éliminer tous les convois transportant des armes iraniennes pour le Hezbollah par la Syrie. Mais l'affaiblissement significatif du régime permet à Tel-Aviv de renforcer la pression sur ses ennemis de longue date, qui se sont établis en Syrie avant la vague de guérilla actuelle.
Vague de guérilla qui, d’ailleurs, est de plus en plus tournée vers l'islam politique radical.
Par exemple, l'un des mouvements qui combat Assad en Syrie, Jabat al-Nousra, vient d'être inscrit dans la liste américaine des organisations terroristes et d'ici peu elle fera également partie de celle de l'Onu. Ce mouvement se considère ouvertement comme une branche d'Al-Qaïda et reconnaît officiellement l'autorité d'Ayman al-Zawahiri, le successeur d'Oussama Ben Laden.
La chimie de la politique proche-orientale
L'histoire très trouble de l'utilisation de l'arme chimique en Syrie est un exemple classique de ce qu'Israël devrait réellement craindre. Depuis décembre 2012, on compte au moins quatre cas de ce genre, y compris le 19 mars 2013 à Alep.
Qui a utilisé cette arme ? La question est ambiguë. Damas a annoncé qu’il s’agissait de l'opposition et cette dernière a "retourné le compliment" au gouvernement. La première vague médiatique a évidemment accusé Assad d'avoir utilisé l'arme chimique mais cette théorie s'est rapidement noyée : quelque chose ne collait pas.
A l'heure actuelle les observateurs disposent du témoignage de Carla del Ponte, ex-procureur général de la Suisse, qui a marqué à ce poste la population russe en participant à l'affaire Mabetex, puis a occupé le poste d'accusateur principal au Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie (TPIY). Actuellement, del Ponte est membre de la commission de l'Onu pour enquêter sur les violations des droits de l'homme en Syrie.
Elle a littéralement déclaré que les rebelles avaient utilisé des armes chimiques - du gaz sarin - tout en précisant que la commission avait des soupçons forts et concrets mais pas encore de preuves incontestables. Quant à l'utilisation de l'arme chimique par le gouvernement, selon
del Ponte, aucune preuve n'a encore été découverte.
Pour l'Occident, la situation syrienne passe progressivement dans une phase de "dissonance cognitive". D'une part : le printemps arabe, les combattants pour la liberté, la démocratie et d'autres catégories. D'autre part : l'extrémisme islamique, le terrorisme, Al-Qaïda et d'autres phénomènes flous ressentis de près par les Américains. Notamment après les récentes explosions à Boston, après lesquels la presse américaine a immédiatement associé l’islamisme avec les événements actuels en Syrie.
Le tout alors que les capacités d’intervention des USA en Syrie se réduisent et que l'activité des milieux islamistes du Qatar et d'Arabie saoudite, qui se sont distingués en Libye, se renforce.
Le mélange est tel qu'on ne voudrait s'en approcher en aucun cas.
La fourchette syrienne
Maintenant, mettez-vous à la place du gouvernement israélien. Quelque chose de très louche, saupoudré d'islamisme radical, se prépare au nord du plateau de Golan dans une Syrie hostile mais compréhensible, habituelle et prévisible.
Si tout cela débordait, on se retrouverait avec la plus grande "basse-cour de l'anarchie" du Proche-Orient, en lieu et place d'un Etat autrefois centralisé. Des individus erreraient sans but et le contrôle serait minimal.
Aujourd’hui, une partie de ces individus utilise déjà des armes chimiques venues de nulle part. Du gaz sarin plus précisément, un produit neuroparalytique largement répandu dans les arsenaux chimiques actuels.
On se retrouve donc dans une position où n'importe quelle action entraînera forcément la détérioration de la situation. En principe, Tel-Aviv souhaite de tout cœur que le pouvoir de Bachar al-Assad tombe au plus bas mais qu'il reste en place et maintienne le contrôle du territoire syrien.
Au final, le régime alaouite serait plus conciliant dans les négociations informelles et se concentrerait sur les problèmes intérieurs en cessant de s'ingérer activement dans la politique libanaise, par exemple, et en réduisant probablement son soutien au Hezbollah qui irrite tant Israël.
Cependant, Israël ne peut pas se prononcer en faveur d'Assad même si cette idée audacieuse venait à l'esprit du gouvernement israélien. Pour cette raison, il ne reste qu'à viser les activistes du Hezbollah qui transportent les armes au Liban par le territoire syrien en profitant de l'impuissance des autorités syriennes.
Et surtout ceux qui témoignent un intérêt malsain pour les entrepôts militaires syriens. Seuls les aveugles sont passés à côté du renforcement militaire considérable des islamistes du Sahel, qui a failli provoquer une catastrophe au Mali. Cela a également entraîné le pillage des entrepôts militaires du régime de Kadhafi en Libye. Il faut éviter de relancer cette histoire au Proche-Orient.
Le gouvernement syrien sait que, dans la situation actuelle, il est incapable de riposter sérieusement contre Israël et surtout qu’il n'a aucune raison de le faire. Pourquoi ?
Cela n'améliorera pas la situation intérieure du régime d'Assad et ne renforcera pas ses positions dans la lutte contre les insurgés sunnites. Damas n'est pas non plus prêt à le reconnaître : cela anéantirait simplement les restes d'autorité du gouvernement vacillant aux yeux de la population.
On se retrouve donc avec une sorte de "guerre" entre deux ennemis-alliés, un mélange d'inutile et de désagréable.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction