C’est la mode : tout le monde ou presque compare les années de stagnation de Brejnev à la stabilité de Poutine. Si le premier est surestimé car plusieurs générations de Soviétiques sont entrées dans la vie active au cours de cette période, le second est sous-estimé parce que tout se produit sous nos yeux, dans l'intervalle de vie d'une seule génération, écrit mercredi le quotidien Nezavissimaïa gazeta.
Et s'il existe une nostalgie des années Brejnev, le miracle économique russe du XXIème siècle s'est littéralement manifesté hier - voire aujourd'hui. Le grand se voit de loin. Aujourd'hui, beaucoup ont du mal à apprécier ce dont ils sont témoins et acteurs.
La nostalgie du passé cache une méfiance et une crainte du lendemain. Au contraire, croire en l’avenir est directement lié à l'attitude positive que l’on adopte aujourd'hui. Ces thèses évidentes n'ont pas besoin de vérifications mais étant donné que ce sont les succès de la Russie poutinienne qui sont aujourd'hui sous le feu des critiques de l'élite intellectuelle, une nouvelle étude supplémentaire est nécessaire : quand est-il bon de vivre en Russie ?
Les points de repère sont évidents – ce sont les Jeux olympiques. Les JO de 1980 ont marqué le pic de l'ascension et le début du déclin de l'URSS. La Russie approche aujourd'hui des JO de Sotchi en 2014 en prenant de la vitesse, après s'être remise des échecs des années 1990.
La croissance actuelle est largement supérieure au cauchemar soviétique, avec un rôle hypertrophié du complexe militaro-industriel et des dépenses déraisonnables pour la défense. Mais combien de personnes en sont conscientes ? Cette question n'est pas futile, d'autant que ces derniers temps les nostalgiques d'Eltsine et de Gorbatchev s’activent : ils exigent des efforts conséquents pour rétablir les positions des groupes sociaux opprimés par les autorités, dont les minorités ethniques et sexuelles ainsi que certaines communautés professionnelles.
La stigmatisation de ces groupes sociaux comme victimes des actions du régime actuel - et la comparaison avec le passé – sont des éléments d'attaques contre le régime permettant d'élargir significativement les rangs des opposants, et de parler en leur nom. Le Centre d'analyse politique a eu l'idée de rédiger un rapport intitulé "D'Olympiade en Olympiade : le bien-être illusoire du "socialisme développé" et le miracle économique russe du XXIème siècle".
Le centre insiste sur cette interprétation des événements pendant les 13 premières années du nouveau millénaire et les sondages montrent que la majeure partie de la population adhère à ce point de vue. Le phénomène de prospérité en Russie à l'époque de Poutine ne s'explique pas par la conjoncture économique extérieure mais avant tout par les décisions politiques du gouvernement russe. Cela ne satisfera certainement pas les critiques du régime qui voudraient prouver que la croissance économique ne se produit pas grâce mais malgré la politique de Poutine - ou qu'il n'existe aucune croissance économique mais au contraire des convulsions de groupes sociaux entiers dont la situation se détériore de jour en jour.
C'est pourquoi le centre n'a pas directement interrogé la population pour savoir comment elle se sentait aujourd'hui. Les résultats du sondage du Centre panrusse d'étude de l'opinion publique réalisé les 23-24 mars 2013 étaient choquants. Dans l'ensemble, la population est convaincue que les groupes qui disent aujourd'hui être offensés et subir une dégradation du niveau de vie ont à l'heure actuelle les meilleures opportunités. Ainsi, 56% ont déclaré qu'avec Poutine les entrepreneurs vivent mieux tandis qu'Eltsine n'a obtenu que 26%.
56% des personnes interrogées sont convaincues que les minorités sexuelles vivent mieux aujourd'hui qu'à l'époque d'Eltsine (7%), et qui plus est à l'époque de Brejnev (2%). Et c’est seulement lorsqu'on pose la question des enseignants (qui ont le plus souffert de la crise des années 1980-1990), que Brejnev est premier avec 49% contre 29% pour Poutine. Mais selon l'opinion répandue la situation évolue positivement.
Une chose est sûre : la prospérité des douze dernières années a touché tous les groupes sociaux. Certains ont gagné davantage, d'autres moins. Mais tout le monde a eu l'opportunité d’améliorer son niveau de vie - et pas seulement les hommes proches du gouvernement, tel que c'était le cas dans les années 1990.