Le « reset » - redémarrage des relations russo-américaines initié par l’administration Obama début 2009 – est mort et enterré. C’est en tout cas l’impression qui se dégage des derniers développements entre Moscou et Washington.
Le Département américain du Trésor a publié, vendredi 12 avril, une liste qui comprend les noms de dix-huit citoyens russes qui, selon les Etats-Unis, sont impliqués dans la mort de Sergueï Magnitski, juriste du fonds d'investissement Hermitage Capital Management mis en examen pour fraude fiscale et décédé en novembre 2009 dans une prison moscovite faute de soins médicaux. Cette liste Magnitski aurait un volet « fermé » incluant d’autres responsables russes parmi lesquels le président tchétchène Ramzan Kadyrov.
La réponse de Moscou ne s’est pas fait attendre : dès le lendemain, le ministère des Affaires étrangères rendait publique sa propre liste de dix-huit noms, pour l’essentiel des fonctionnaires américains impliqués dans la gestion du camp de Guantanamo et dans l’arrestation de Viktor Bout. Cette « guerre des listes » marque l’apogée de tensions bilatérales nourries, entre autres, par les mesures du gouvernement russe contre les ONG étrangères, les différends sur la Syrie ou la défense antimissile. Le fond de l’air entre Moscou et Washington est en apparence presqu’aussi lourd qu’en 2007-2008, période ponctuée par le discours de Munich et la « guerre des cinq jours » en Géorgie. La télévision publique russe et les commentateurs para-officiels se déchaînent contre Washington, le parti républicain (et une bonne partie des Démocrates) étant quant à eux prisonniers de lobbies et de visions tout aussi rétrogrades.
Cette énième crispation entre Moscou et Washington ne constitue pas véritablement une surprise. Au-delà des déclarations rituelles sur la fin de la Guerre froide, Russes et Américains n’ont su, au cours des vingt dernières années, surmonter la logique de défiance et de rivalité. Si les responsabilités sont partagées, elles pèsent cependant plus lourd côté américain. En promouvant, dès 1993, l’élargissement de l’OTAN (contre l’avis de l’illustre George Kennan) au lieu de mettre sur pieds, avec l’ensemble des Occidentaux, un Plan Marshall pour soutenir la nouvelle Russie, puis en refusant, en 2001, la main tendue par Moscou après le 11 septembre, la Maison Blanche a commis deux erreurs historiques lourdes de conséquences. Les Européens, y compris et surtout ceux qui oeuvrent en vue d’un véritable partenariat stratégique avec Moscou, en font les frais. Le containment feutré décidé à Washington et repris à son compte par une bureaucratie bruxelloise désespérément conformiste aboutit à une remise en cause inédite, y compris parmi les libéraux russes, de la nécessité d’un rapprochement avec l’Occident.
Doit-on pour autant considérer que le troisième mandat de Vladimir Poutine au Kremlin sera marqué par un affrontement géopolitique inéluctable avec Washington ? Rien n’est moins sûr. Fondamentalement, ni le Kremlin, ni la Maison Blanche n’ont intérêt à la poursuite de cette dégradation (ce qui n’est pas forcément le cas de l’opposition républicaine et des éléments zélés de Russie Unie). Il n’a échappé à personne à Moscou que l’administration Obama a déployé des trésors de conviction et d’influence pour rendre la liste Magnitski la plus insignifiante possible (rappelons que James MacGovern, élu à la Chambre des représentants à l’initiative de cette liste, avait soumis deux cent quatre-vingts noms à la Maison Blanche, dont celui du procureur général de Russie Iouri Tchaïka). Surtout, le président américain a décidé d’envoyer, le 15 avril, dans la capitale russe un émissaire personnel, Tom Donilon, haut fonctionnaire en charge des questions de sécurité nationale, à Moscou avec, dit-on, un message personnel pour Vladimir Poutine. Des observateurs russes généralement bien informés soulignent quant à eux que l’Asie, nouveau centre de gravité de l’économie mondiale (mais aussi des menaces), offre un terrain plus propice que l’Europe à une coopération sécuritaire.
Un nouveau printemps entre Moscou et Washington ne saurait donc être exclu. Pour durer, il devra cependant être construit sur d’autres bases que les éphémères rapprochements observés depuis 1991. C’est aussi l’intérêt bien compris des Européens.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction
Arnaud Dubien dirige, depuis mars 2012, l’Observatoire franco-russe à Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP de Paris, il a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie-CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a ensuite dirigé plusieurs publications spécialisées sur l’espace post-soviétique, parmi lesquelles l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Ces dernières années, Arnaud Dubien a par ailleurs travaillé comme consultant du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Aff aires étrangères, ainsi que de grands groupes industriels français. Il est membre du Club de Valdaï.