La Syrie face à la poussée occidentale. Thierry Meyssan témoigne

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Thierry Meyssan n’est pas à présenter au public français. On connaît très bien en France le créateur du Réseau Voltaire, première source d’information libre où ‘on peut s’exprimer sans ambages.

Thierry Meyssan n’est pas à présenter au public français. On connaît très bien en France le créateur du Réseau Voltaire, première source d’information libre où ‘on peut s’exprimer sans ambages. Cette source haïe par les fidèles de la bannière étoilée, présente des documents qui sont souvent à la hauteur des sensations médiatiques dévoilées par WikiLeaks. Mais Meyssan ne recherche pas le tapage et les caméras. Il a une idée qu’il défend à travers toute sa vie : c’est celle de la libération des pays anciennement colonisées et le développement des formes démocratiques et autonomes au sein de ces pays. Il ne se réfugie pas derrière les barbelés et n’hésite pas à monter sur le créneau. On le retrouve tantôt en Libye, tantôt en Syrie où il réside depuis un an et demi. Ce Monsieur parle sans acception des personnes et tout en s’exprimant en un français haut de gamme, sait mettre les points sur les i en dénonçant le néo-colonialisme et les dangereuses menées de la politique américaine qui cherche à assujettir l’Europe et le Proche-Orient. Voici les extraits de ce qu’il nous a confié lors de son passage sur notre plateau moscovite.

« Il y a une théorie qui est en vogue au Pentagone depuis quelques années : on dit que le monde doit être organisé en cercles concentriques. Au centre il y a les pays de bien qui sont riches, développés, etc. Et puis en périphérie il doit y avoir un chaos absolument ingérable. Et on envoie des armées en avant-poste pour pouvoir voler ce que l’on peut voler à ces endroits-là. Et on laisse les gens dans le chaos. C’est ça l’objectif ! Maintenant il y a une limite à ce raisonnement : c’est tellement le chaos que cela peut provoquer le retour de flamme. Et là en référence, la Syrie est complètement frontalière à Israël mais avoir une Syrie complètement jihadiste armée que personne ne pourra faire rentrer dans le rang, c’est évidemment prendre un très grand risque pour son petit poulain israélien dans la région.

VDLR. On se pose la question sur le sort de Bachar Al-Assad. D’aucuns le disent mort, d’autres le veulent embarqué à bord d’un bâtiment de guerre… En même temps, vous pourriez peut être nous dire quelle est la stratégie de cet homme politique ?

Thierry Meyssan. D’abord les Occidentaux ont personnalisé ce conflit d’une manière incroyable. Monsieur Fabius ne dit plus ni « Président Assad, mais « Bachar ». Peut-être devrions-nous dire « Laurent » ou « François »… En tout cas aujourd’hui c’est un Etat qui est agressé et c’est l’Etat syrien qui se défend face à un afflux des juhadistes ! En deux ans le nombre de juhadistes qui sont entrés de l’extérieur en Syrie est entre 200 et 250 mille ! C’est-à-dire environ 1% de la population qui arrive comme ça de l’extérieur pour détruire la Syrie. Imaginez ça à l’échelle de la Russie ou à l’échelle de la France ! C’est-à-dire qu’il y a 650 mille combattants qui arrivent comme ça d’un coup pour détruire le pays dont il ne resterait pas grand-chose quoi que l’on imagine parce que personne ne peut faire face à une chose pareille. Cet Etat résiste et il résiste très bien parce que c’est un Etat fort. Et il y avait très peu d‘Etats forts dans la région ! C’est d’ailleurs pour ça qu’on veut le détruire parce qu’il était capable de résister en termes de politique générale dans cette région.

L’armée syrienne est très peu investie dans les combats parce que c’est à peu près un quart de l’armée syrienne qui assure actuellement la lutte contre ces jihadistes parce que le reste de l’armée reste en position pour protéger le pays face à une attaque conventionnelle qu’il s’agisse de l’OTAN ou d’Israël. Moi, je pense que cette guerre peut durer des décennies si on continue à amener de l’extérieur des combattants. Maintenant si on arrête d’amener des combattants, dans un mois c’est fini !

VDLR. Cela prendrait un peu les allures des croisades…

Thierry Meyssan. On a une image de l’extérieur qu’il y a eu une révolution dans ce pays, que les gens sont contre le gouvernement… Je ne veux pas vous dire que tous les gens aiment le gouvernement. Dans tout pays il y a les gens qui soutiennent ou qui sont opposés au gouvernement. Mais là on parle d’une attaque contre un Etat ! Et là il y a un reflet d’union nationale : que vous soyez pour et contre Bachar al-Assad, vous vous mettez en ordre de bataille pour défendre votre pays. Bien sûr il y a quelques collaborateurs avec les forces extérieures qui réagissent. Comme dans tous les pays il y a toujours pendant la guerre des collaborateurs… En Russie pendant la Seconde Guerre Mondiale, il y a eu des collaborateurs mais personne ne va raconter que la Seconde Guerre Mondiale était une guerre civile.

Ce sont les enfants de pays qui se battent contre les combattants étrangers. Au début on nous a dit : il y a eu des défections en armée, des désertions… Je vous dis que cela correspond à 5% que vous avez dans tous les pays du monde où il y a 5% de collaborateurs quel que soit l’attaquant. Vous avez 5% de jeunes gens qui ont déserté l’armée parce qu’ils étaient de l’autre côté. Maintenant on ne parle plus de déserteurs ! C’est fini ! Parce que cela fait très longtemps qu’il n’y en a plus ! Le peuple s’est mobilisé pour défendre le pays.

VDLR. Mais justement en parlant de ce phénomène syrien, est-ce qu’on saurait le comparer, sans faire des amalgames, au cas libyen ?

Thierry Meyssan. Avant d’être en Syrie, j’ai été en Libye et les 5 dernières semaines de la Jamahiriya, j’ai fait partie du gouvernement libyen, donc j’ai de bonnes connaissances de ça. En fait en Libye l’Etat était un Etat nominal. C’était la volonté de Moammar Kadhafi expliquée dans son « Livre vert » inspiré des socialistes utopiques français du XIX siècle et de divers mouvements de pensée. Avec un Etat nominal cela peut paraître idéal dans la vie de tous les jours, mais face à l’impérialisme c’est une absurdité et ce n’est pas adapté. Ensuite Moammar Kadhafi a souhaité mener des négociations tout au long de la guerre avec de différents agresseurs. Il a mené des politiques parallèles les unes aux autres. On savait qu’il discutait avec les Etats-Unis, la France et Israël. La Russie ne pouvait absolument pas lui venir en aide. La Russie pouvait poser des principes au Conseil de sécurité mais elle ne pouvait pas s’investir avec un allié qui n’avait pas un comportement fiable. Malheureusement, c’est ce qui explique la mort de la Libye.

Moammar Kadhafi tout en ayant été un très grand leader anticolonialiste a toujours eu des politiques extrêmement complexes qui lui ont fait perdre toute alliance sérieuse.

Là quand on parle de Bachar al-Assad c’est tout à fait un autre personnage ! C’est quelqu’un d’extrêmement rationnel, de très appliqué, avec un sang-froid tout à fait exceptionnel ! Peut-être un peu un manque d’intuition ! C’est quelqu’un qui a des qualités très adaptées à cette situation. C’est la bonne personne ! Vous savez que c’est un leader démocrate et révolutionnaire contrairement à ce que raconte la presse occidentale. A titre d’exemple, Hugo Chavez disait que son modèle en politique est Fidel Castro mais que le dirigeant avec lequel il a le plus d’affinités et qu’il peut considérer comme le véritable continuateur de son œuvre c’était Bachar al-Assad.

Cette personne a hérité d’une dictature et au cours de la décennie il l’a réformée point par point et donné aux gens la formation et les moyens pour passer à un système démocratique. Et chaque fois qu’il faisait un pas, on le menaçait. On voulait absolument empêcher l’évolution de ce pays. Et cette guerre bien évidemment paralyse cette évolution qui, pourtant, continue parce que Bachar al-Assad a été capable de mener des réformes constitutionnelles et procéder à de divers scrutins malgré l’attaque extérieure ».

Il y a une chose qui rapproche la Libye et la Syrie de la Russie. Depuis plusieurs décennies déjà, les autorités occidentales essaient de détruire les pays se trouvant aux marches de leur territoire. Si on considère l’hitlérisme comme une version de néo-colonialisme poussé à ses extrêmes, on sera moins étonné par cette tendance à justifier les nazis qui est en éclosion en Europe de nos jours. Nous faisons allusion aux films y compris le dernier né du cinéma polonais où l’on essaie de blanchir l’armée hitlérienne. Et pourtant cela n’a rien d’étonnant ! Les nazis ne faisaient que développer ce que les impérialistes occidentaux ont toujours essayé de faire : créer un nouveau monde conforme aux intérêts d’une petite communauté. De ce point de vue, les tortures de Guantanamo et les actes de guerre de François Hollande en Syrie ne sont que la conséquence logique d’une philosophie existentialiste au nom de ses propres intérêts et en vertu du droit du plus fort.

Moammar Kadhafi n’a pas su résister. Tout comme le pauvre Nicolas II, le tsar russe, qui s’est heurté au bolchévisme importé de l’Allemagne avec l’équipe de Lénine. Il fallait les figures de la taille de Staline ou, à l’échelle locale, Bachar al-Assad pour arrêter l’invasion occidentale. L’URSS stalinienne a su le faire au prix des victimes innombrables et les Russes avec d’autres peuples de la région ont reçu le droit à la vie et à leur propre civilisation. C’est justement ce qu’ils fêtent chaque année le jour de la Victoire dans la Seconde Guerre Mondiale. Ils ont su survivre et devenir véritablement indépendants.La Syrie a toutes les chances de l’emporter elle aussi en maintenant un leader charismatique à la tête d’un gouvernement militarisé. Mais si les Etats proche-orientaux et la Russie ne se laissèrent pas faire, on se demande quel sera le retour de balancier. Comme dit le proverbe : « Qui sème le vent, récolte la tempête ! »

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