« La Religieuse » de Diderot dans une interprétation contemporaine

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« Vous n’avez rien, vous n’aurez jamais rien », promet la mère de Susanne Simonin à sa fille dans laquelle elle ne voit que l’incarnation de son propre péché et la condamne à une vie pleine de fatigue dans un couvent.

« Vous n’avez rien, vous n’aurez jamais rien », promet la mère de Susanne Simonin à sa fille dans laquelle elle ne voit que l’incarnation de son propre péché et la condamne à une vie pleine de fatigue dans un couvent. Mais envers et contre tous, en étant rien Susanne devient tout. Les idées qu’évoque le grand philosophe et écrivain français Denis Diderot dans « La religieuse », ne sont-elles pas toujours d’actualité ? Les problèmes d’identité, d’enfermement, de relations humaines qui préoccupaient des individus il y 300 ans, apparaissent sous un jour nouveau à l’époque actuelle, tout comme l’œuvre de Diderot, d’ailleurs. La réalisatrice et metteur en scène français, Anne Théron, a réussi à faire presque l’impossible : elle monte un spectacle en solo qui se révèle une œuvre extraordinaire d’une force étonnante.

Anne Théron : J’ai créé ça il y a longtemps en 2004-2005 et ça a eu un succès extraordinaire. Et apparemment tous les gens qui ont vu ça disent que c’est totalement singulier, ça ressemble à rien d’autre, c’est vraiment un Diderot contemporain et personne d’autre l’a fait comme ça. J’aime beaucoup Diderot, c’est un immense penseur, c’est quelqu’un d’essentiel dans la construction de la pensée humaine. Mais Diderot m’intéresse plus dans sa pensée que dans son écriture. J’ai gardé le motif de l’enfermement, ça m’a passionné, pas simplement dans une cellule mais un enfermement dans une identité. En relisant le texte je me suis aperçue qu’il y avait trop de souffrances, trop de liquide, trop de larmes. Il me paraissait que c’était une vraie fixion et qu’il y avait une jouissance à raconter cette souffrance. J’ai travaillé non pas pour dire qu’il n’y avait pas de souffrance, elle est là incontestablement, mais j’ai travaillé autour de la mise en scène de la parole de la souffrance. C’était ça qui m’a intéressé. Et j’ai moi-même écrit dans le texte de Diderot un certain nombre de monologues, les monologues de mère qui sont effectivement les monologues les plus violents et les plus brutaux.

LVdlR : Pourquoi avez-vous mis en scène « La Religieuse » sous forme d’un spectacle solo ? Qu’est-ce qui vous intéressait le plus lors du travail ?

Anne Théron : C’est vrai que je ne suis pas très intéressée par le fait d’avoir dix personnes sur un plateau. Là avec cette comédienne vous avez vu le travail qui était fait, c’est énorme, je ne peux pas faire un travail si précis avec une dizaine de comédiens. Le théâtre ne m’intéresse pas à l’état pur, non plus un acteur qui joue un sentiment, ça m’intéresse pas tellement. Ce qui m’intéresse c’est comment le corps incarne la parole et du coup je travaille beaucoup très souvent avec des danseurs, avec des chorégraphes, comment le corps raconte le texte.

Le spectacle durait une heure et demi à peu près et pendant tout ce temps la comédienne Marie-Laure Crochet vivait la vie de Susanne Simonin en éprouvant des émotions turbulentes et parfois trop dures. J’ai retrouvé la comédienne après le spectacle toute seule dans sa loge d’artiste où elle devait reprendre ses esprits.

LVdlR : Vous avez donné beaucoup d’énergie aux spectateurs,ça doit etre dur pour vous. Comment vous vous sentez ?

Marie-Laure Crochet : Le spectacle, en fait, c’est toujours un étrange mélange entre une sensation de plein et de vide en même temps. Il y a cette langue de Diderot et les idées de ce texte sur la lutte pour la liberté contre l’enfermement, pour son identité. Quand je joue ce spectacle je passe par des moments d’équilibre et de déséquilibre en permanence de très grande énergie et à un moment donné ça tombe et il n’y a plus rien. Ce qui est très important aussi c’est le public. En plus ici vous avez vu dans cette salle vous étiez très près de nous. Bon, selon la salle ça change mais je soue avec le public, c’est aussi mon partenaire, c’est aussi celui qui me donne de l’énergie en fonction de son écoute, de sa qualité de présence avec moi…

LVdlR : Quel est le moment le plus dur pour vous dans le spectacle ?

Marie-Laure Crochet : Je dirais le début parce que même si ça fait 140 fois que je joue ce spectacle, à chaque fois c’est la première fois. C’est comme si vraiment dans un spectacle j’arrivais toute nue si on peut dire. Et puis dans cette solitude aussi c’est vraiment très difficile. En je sais qu’en plus c’est comme en musique la première note va déterminer tout le spectacle.

LVdlR : Comment « La Religieuse » de Diderot est perçue aujourd’hui par le public ?

Marie-Laure Crochet : J’ai joué ce spectacle devant des gens très différents : des vieux, des jeunes, des riches, des pauvres, des gens intellectuels qui allaient beaucoup au théâtre, des gens qui n’allaient jamais. En fait tout le monde m’a dit la même chose, c’est que la lutte pour la liberté, pour trouver son identité est terriblement actuelle. En français c’est drôle parce que le mot « cellule », par exemple, c’est à la fois le monastère, c’est la prison, c’est l’asile psychiatrique. De toute façon il n’y a qu’à ouvrir les journaux pour voir comment partout dans le monde ce texte peut résonner et que ça continue à parler très fort aujourd’hui. J’aimerais que ça ne soit plus d’actualité, ça voudrait dire que partout dans le monde tout le monde serait libre.

LVdlR : C’est la première fois que vous venez en Russie ? Quelle est votre impression ?

Marie-Laure Crochet : C’est la première fois que je viens en Russie et la première que je joue devant un public qui n’est pas francophone. J’ai été très émue de jouer en Russie, d’une part parce que j’ai rêvé beaucoup à ce pays, déjà c’est un grand pays de théatre et de littérature, je les aime beaucoup. Et puis aussi il y a aussi une histoire politique aussi tellement forte. J’ai été très émue d’arriver avec ce texte de Diderot en Russie. J’ai été heureuse d’une chose : j’ai senti que quelque chose passait en dehors de la langue même si on n’avait pas la même langue, toutes les émotions qui sont exprimées dans le spectacle et puis je crois aussi des espèces de thèmes comme la liberté, l’enfermement, le rapport au corps aussi. J’ai senti que les gens m’écoutaient aussi, moi sans avoir toujours besoin de lire le texte projeté. Cela m’a beaucoup touché.

Le Grand Shakespeare a dit jadis : Le monde entier est un théâtre, – Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et on pourrait y rajouter que ce n’est que le cadre qui change mais la nature humaine avec ses plusieurs rôles et sentiments reste immuable au cours des siècles.

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