Ce n’est pas la première fois que La Scala se tourne vers l’œuvre d’un compositeur russe. Les opéras classiques russes et ceux des génies du XXe siècle comme Sergueï Prokofiev et Dmitri Chostakovitch ont figuré. Et figurent toujours dans son répertoire. C’est maintenant le tour d’Alexandre Raskatov ce qui est, selon le compositeur « un immense honneur » pout lui. Ceux qui connaissent bien l’oeuvre de Raskatov ne sont guère surpis par le choix de La Scala. C’est ainsi que l’éminent violoniste russe Iouri Bachmet estime que la musique de Raskatov, ce compositeur intellectuel, se situe dans la continuité des meilleures traditions culturelles russes :
Raskatov a l’avantage d’être un compositeur intelligent qui prend dans un certain sens la relève des compositeurs intelligents du passé comme Alfred Schnitke.
A propos, la première de l’opéra de Raskatov à La Scala aurait dû avoir lieu le 13 mars mais a été reportée de trois jours parce que le théâtre n’a pas pu préparer le spectacle à cette date du point de vue technique. Le metteur en scène anglais Simon McBerney, celui même qui avait récemment présenté à Moscou son travail scénique consacré à Chostakovitch, a conçu une mise en scène très difficile à réaliser techniquement. Il fallait synchroniser l’action sur la scène avec les images défilant sur l’énorme écran vidéo installé au fond de la scène. Les acteurs avaient également du mal à manipuler l’énorme et terrifiant mannequin de chien. C’est une marionnette manipulée par 4 personnes mais il y aussi la cinquième qui suit ses faits et gestes et aboie dans le micro.
L’intrigue du sujet réside dans le fait qu’un professeur de médecine greffe sur un chien errant les organes vitaux d’un homme mort et le chien se transforme progressivement en créature aux apparences humaines du nom de Charikov. Cependant, il n’est pas capable de devenir l’homme dans toute l’acception de ce mot et après bien des malheurs qu’il attire à cette maison d’intellectuels, le professeur fait une nouvelle opération et Charikov redevient le chien. Tel est le sujet de la nouvelle satirique de Mikhaïl Boulgakov écrite dans les années 1920 dont s’inspire le livret de l’opéra de Raskatov. Mais si à la fin de la nouvelle de Boulgakov, tout finit par s’arranger à la fois pour les humains et le pauvre chien, le sujet prend une nouvelle dimension chez Raskatov :
« J’ai décidé que Charikov allait rester tel qu’il est. C’est ainsi que dans l’opéra le professeur voit un cauchemar et dans ce cauchemar Charikov chante un couplet burlesque dans un langage ordurier. Le sujet de la nouvelle n’est pas du tout en noir et blanc pour moi. Il y a des épisodes où j’insiste qu’on peut prendre Charikov en pitié malgré l’abjection qu’il inspire. Après tout, le créateur qui l’a fait, a-t-il le droit de reprendre sa vie ? »
L’opéra « Cœur de chien » s’interprète en russe qui pose un grand problème à l’équipe internationale de chanteurs. Seul le chef d’orchestre qui est en l’occurrence l’Anglais Martin Babbins bien connu en Russie comme interprétateur de la musique contemporaine a la vie facile. Il parle bien russe parce qu’il avait été en son temps à l’école du grand pédagogue pétersbourgeois Ilya Moussine. Le jeune chanteur russe Vassili Efimov que joue le rôle du gérant d’immeuble Schvonder, un sale type, n’a pas à se plaindre non plus. Soliste du théâtre « Hélicon-opéra » de Moscou, il participe à toutes les représentations depuis le première de l’opéra en 2010 à Amsterdam. Or, on en compte une quinzaine y compris sa première à l’Opéra national d’Angleterre.
La première à La Scala n’est qu’un point de suspension parce qu’après l’Italie le spectacle passera en France, à l’opéra de Lyon. Dommage mais il ne peut pas encore passer en Russie parce que la législation russe sur les droits d’auteur l’œuvre ne peut circuler librement que 95 ans après sa première publication. Or, interdite par la censure soviétique, la nouvelle « Cœur de chien » n’a vu le jour qu’à la fin des années 1980. L’espoir existe cependant de voir un jour l’opéra en Russie. De toute façon, des juristes travaillent déjà avec les héritiers de l’écrivain. On a de plus l’accord de principe du directeur du Mariinski de Saint-Pétersbourg Valeri Gergiev pour la mise en scène de l’opéra dans son théâtre. Alors, après Amsterdam, Londres, Milan et Lyon, ce sera probablement le public de Saint-Pétersbourg qui verra « Cœur de chien ».