Samuel Mbajum est un historien qui travaille sur le fameux contingent des tirailleurs qui ont été de toutes les guerres menées par la France. Un livre doit sortir au mois de septembre. Cet ouvrage est censé donner une réponse à tous ceux qui entendaient étouffer sous le boisseau l’exploit des troupes coloniales qui, à maintes reprises, sauvèrent la mise de l’armée française. Ces gens font désormais partie intégrante de l’histoire de la France et ignorer leurs actes de bravoure relève de la trahison de sa propre mémoire nationale. Ecoutons donc cette histoire !
La Voix de la Russie. Monsieur Mbajum, pourriez-vous nous raconter un peu l’histoire des tirailleurs sénégalais péris au combat pour la France lors de la Première et de la Seconde Guerres Mondiales ?
Samuel Mbajum. Je précise tout d’abord que le terme « tirailleurs sénégalais » est un terme générique. Parce que le corps des tirailleurs sénégalais a été créé par Napoléon III en 1857. Et c’est à l’instigation du gouverneur de Sénégal que ce décret a institutionnalisé la création du corps des tirailleurs sénégalais parce que c’étaient les gens qui avaient aidé la France dans sa conquête de l’Empire colonial en Afrique Occidentale. Donc les premiers éléments étaient sénégalais. Et c’est pour cela que le nom est devenu générique par la suite. Parce qu’après les Sénégalais, il y a eu les ressortissants des autres territoires de l’Afrique Occidentale française, notamment ceux que l’on appelait les Soudanais qui sont aujourd’hui les Maliens, les Ivoiriens, les Nigériens, etc. Après le corps des tirailleurs sénégalais il y a eu le corps qui venait du Gabon. C’était le corps des tirailleurs ivoiriens, soudanais, gabonais, etc. Alors ils ont participé à la conquête de l’Empire territorial français parce que la France a eu pas mal de grands potentats comme Samory Touré, El Hadj Omar, Behenzin du Dahomey parce qu’il y a eu aussi des Dahoméens.
Et après la conquête de son Empire, la France a eu besoin d’eux pendant la Première Guerre Mondiale parce que leur valeur guerrière avait été reconnue. Et il y a un officier français, le colonel Mangin, qui avait publié un livre appelé « La Force noire » dans lequel il reconnaissait la combattivité des soldats noirs à travers l’histoire, notamment au Moyen-Orient et la conquête de l’Empire de Maroc jusqu’en Syrie avec les Omeyyades. Ces combattants ont été de tous ces combats en démontrant toujours une loyauté exemplaire. On les a recrutés dans des conditions qui ont posé des problèmes parce que beaucoup étaient volontaires mais d’autres ont été contraints. Les premiers éléments ont été d’anciens captifs, faits prisonniers de guerre des potentats africains. Ils ont été libérés et puis recrutés pour servir la France. Ils ont donc servi les intérêts de la France. Ils ont combattu et venus en Europe pendant la Première Guerre mondiale pour se battre du côté de la France et c’était à l’instigation du colonel Mangin. D’aucuns de ce contingent ont été recrutés sur la base de mercenariat parce qu’ils avaient touché des primes prévues à cet effet. Voilà, grosso modo, l’histoire telle qu’elle a commencé.
LVdlR. Est-ce que ces combattants africains ont servi pendant la Seconde Guerre mondiale ?
Samuel Mbajum. Pendant la Première Guerre Mondiale ils se sont distingués parce que c’est eux qui étaient vraiment aux avant-postes et notamment quand il y avait des charges des fantassins. Et après il y a eu, malheureusement, beaucoup de problèmes. Ils ont participé après la Grande Guerre à la conquête du Maroc. Parce que la guerre du Maroc a duré à partir de 1920 et jusqu’à 1936. Et les combats ont été acharnés au Maroc. Et pour la Deuxième Guerre Mondiale la France a eu besoin d’eux. Et surtout lorsque l’armée française en 1940, s’est trouvée complètement écrasée par l’armée allemande, les combattants africains, tirailleurs sénégalais, sont venus et on les a mis aux avant-postes pour stopper l’avancée des colonnes allemandes. Et c’est comme ça que dans l’Oise en 1940 ils ont ralenti l’avancée allemande après l’effondrement de l’armée française. Et malheureusement pour eux, les Allemands leur ont fait payer un prix terrible. Parce que les Allemands furieux les ont massacrés. Systématiquement ! Et en plus cela remontait à la Première Guerre Mondiale parce qu’après la Première Guerre Mondiale lorsque la France a occupé une partie de l’Allemagne, notamment la Rhénanie. C’était Mangin qui était responsable de l’opération. Et parmi ces soldats il y avait beaucoup de soldats noirs parce que Mangin était très attaché au contingent noir. Et ces soldats ont été injustement accusés d’avoir violé les femmes allemandes et créé beaucoup de problèmes et drainé des maladies contagieuses, etc. Et c’est cela qui a permis à Hitler lorsqu’il a battu l’armée française, de prendre sa revanche sur les soldats noirs qui leur avaient déjà posé des problèmes. Et là on a commencé à dire que c’était la honte noire parce que les Allemands n’avaient pas apprécié que leur territoire soit occupé par l’armée française et en plus, avec une majorité de soldats noirs. Donc ils ont commencé à massacrer ces soldats en 1940 en les écrasant avec des chars, en leur tirant dessus avec des armes lourdes, etc. Ces soldats noirs ont vraiment contribué à redorer l’image de l’armée française battue à plate couture par l’armée allemande.
LVdlR. Eric Kudzo-Alovor qui émet à partir de Chicago sur les ondes de la radio Liberty Afrique croit que l’on a fait combattre les Africains dans des guerres qui n’avaient rien à voir avec leurs intérêts respectifs. Etes-vous d’accord ?
Samuel Mbajum. L’injustice, en fait, oui ! Effectivement qu’il y en a eu une ! Ces soldats sont venus pour se battre pour la France. On leur a fait des promesses mirobolantes, par exemple, d’avoir la nationalité française et des pensions élevées. Et malheureusement, on a oublié tout ça ! Les pensions n’ont pas été payées ou ont été payées de façon irrégulière. Et c’est ça qui a entamé beaucoup de névroses ! Mais dans l’ensemble il faut dire une chose : ces Africains étaient très attaché – et je parle jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale ! – à servir la France loyalement. Mais la seule vraie injustice c’est que l’on n’a pas respecté des engagements pris au préalable. On n’a pas payé la pension qui était déjà assez faible par rapport à celle des Français de souche. Mais après quand ils sont rentrés beaucoup d’entre eux se sont révoltés parce qu’on les a renvoyés en Afrique en leur disant qu’ils allaient toucher la pension en Afrique. Malheureusement, beaucoup d’entre eux ont déchanté parce que ces pensions n’ont pas été envoyées en Afrique. Il y a eu des révoltes comme la révolte au Sénégal où les anciens se sont révoltés parce qu’on ne les a pas payés la pension. On leur a tiré dessus. Il y a eu officiellement 70 morts. Mais ça c’était vraiment la plus grande injustice !
Après 1945, on les a utilisés dans des guerres comme l’Algérie ou l’Indochine ou à Madagascar. Dans des guerres devenues des conquêtes coloniales. Des guerres de domination coloniale ! Autant lors de la conquête des territoires en Afrique c’étaient des guerres dites « de civilisation », autant après les deux guerres mondiales, c’était devenu des guerres injustes parce que c’était pour empêcher un pays de revendiquer sa souveraineté territoriale et devenir indépendant. C’est à partir de ce moment-là que l’on peut parler des guerres qui n’avaient rien à voir avec les intérêts des Africains. Il y a eu une injustice mais pour moi qui a étudié l’affaire, jusqu’en 1945, la véritable injustice était de ne pas avoir respecté les engagements : citoyenneté française et pensions. Et à partir de 1945, on peut parler de l’écrasement de l’aspiration des pays africains vers l’indépendance.
C’était Samuel Mbajum, historien et défenseur de la mémoire des tirailleurs sénégalais.