Ca va barder du côté de l’aéronautique russe ! Après un long et rude hiver où les températures chutaient jusqu’à moins 28 degrés centigrades, à la réunion qui s’est tenue en province, mû par les effluves printaniers qui remplissent les poumons d’un élixir réjouissant, Vladimir Poutine a laissé tomber la grande nouvelle : la Russie va consacrer une énorme partie de son budget de la Défense, poste « achat d’équipements » à l’acquisition d’avions et hélicoptères de combat à une très grande échelle. Le chiffre avancé par le Président russe me fait rêver et ce nonobstant le fait que, en tant qu’expert militaire invétéré, j’en ai déjà vu des réformes en France et en Russie et de toutes les couleurs.
Poutine semble avoir mangé du lion. Après avoir viré l’ancien capitaine de la Défense Serdukov mis en examen préalable, Poutine s’est lancé la tête baissée dans la renaissance de toute une branche du complexe militaro-industriel, à savoir l’aéronautique militaire. Il est bien connu que les avions de combat russes, première ligne ou non, aussi bien que les hélicoptères militaires et à double utilisation (militaire et civile) ont déjà fait leurs preuves et ont servi à maintes reprises de la meilleure carte de visite pour la Russie. C’est un peu comme la stratégie des porte-avions que l’on envoie pour asseoir sa présence et aider le Quai d’Orsay. Quand vous voyez les Soukhoï-35 ou des MiG voler en Inde ou quand les alligators c’est-à-dire les fameux Ka-52 quadrillent le ciel au Proche-Orient, vous comprenez que la Russie sait faire ses arguments pesants. Surtout quand il s’agit de l’avenir de la Syrie.
Les 2 000 unités annoncées par le chef du Kremlin seront très bien accueillies en armée russe qui entend se doter de la nouvelle technique à tous les échelons et dans toutes les garnisons. Ce qui est également important pour le nouveau Livre blanc de la défense russe c’est le principe de la polyvalence et de la défense tous azimuts.
A bien y regarder Moscou a fait renaître à la fois la flotte arctique avec l’aviation de bord, Soukhoï en version marinisée, un savoir-faire presqu’oublié à la fin des années 90, les avions de combat légers comme l’avion d’entraînement conçu et réalisé ensemble avec les avionneurs français. (MiG AT, unité de combat à part entière), les gros avions ravitailleurs Antonov ensemble avec l’Ukraine et les nouvelles versions destinées à l’export aussi bien qu’à l’usage domestique des Soukhoï-35 avec même des commandes mnémotechniques. Il va de soi que cette dernière technique n’est pas destinée à l’export.
Ce qui est moins évident mais autrement plus important c’est l’amélioration du système de maintenance qui a toujours été le talon d’Achille de l’aviation militaire russe. Et j’aimerais vous narrer là-dessus une petite histoire prouvant la débrouillardise russe pour rattraper les retards dus à la période noire eltsinienne.
Il était une fois le Soukhoï Superjet-100. Je ne vais pas débattre des qualités techniques et commerciales de ce coucou civil, mais une chose au moins est sure : grâce à cet appareil de fabrication à plus de 80 % occidentale et à l’Alliance avec Finmecanica Aeronatica, troisième avionneur du monde, les ingénieurs russes ont renfloué le budget du Soukhoï militaire et civil et se piquent maintenant d’une bonne maîtrise du service après-vente appris chez les Italiens. Ce qui rend un peu obsolètes les commentaires de mon collègue et ami Philippe Migaut de chez l’IRIS qui fait valoir l’incompétence des Russes dans la maintenance et les pièces détachées. Vous voyez, Philippe, tout s’apprend à la longue !
Autre message fort mais inquiétant émanant de la bouche de Vladimir Poutine : « Nous avons les fonds requis pour moderniser toute l’aéronautique militaire russe et délivrer l’équipement à l’armée. Demain on n’aura plus cette chance. C’est maintenant qu’il faut en profiter ! » La phrase me laisse un brin perplexe parce qu’en fait elle contient plusieurs messages amalgamés.
Le premier est positif : les Russes ont les moyens de leurs ambitions. C’est bien ! En deuxième lieu, Poutine a avancé que demain la Russie n’aurait plus le temps ou les moyens financiers pour se permettre toutes ces dépenses. Là la petite sonnette d’alarme se met à tinter. Que va-t-il arriver demain, selon les prévisions du Président russe, pour que l’on n’ait plus le temps de moderniser l’armée ? Cela n’est pas sans me rappeler un vieil adage japonais : « Entraîne-toi aujourd’hui pour survivre demain ! » En reprenant la phrase : « Modernise ton armée aujourd’hui pour survivre demain ! » Enfin troisième niveau de compréhension : Moscou table sur l’aviation de guerre. Je suis sûr que les analystes de l’Ecole Militaire ont déjà tout compris. Une telle approche prouve que la Russie entend arrêter ou dissuader l’ennemi potentiel à une grande distance c’est-à-dire avant son approche du territoire russe. L’accent est mis sur les moyens d’endiguement et de la réponse de grande envergure parce que les avions du type Soukhoï-35 et, à plus forte raison, le T-50, avion de combat de cinquième génération, ne sont pas faits pour les conflits locaux. Cette technique est destinée aux combats aériens du type Jour J ou Stalingrad. En commander massivement prouve que la Russie envisage un avenir assez sombre avec des conflits pouvant monter aux extrêmes.
Donc sans vouloir être un oiseau de malheur, je suis, à mon corps défendant, dans l’obligation de tirer une conclusion logique : la Russie ne mise guère sur la détente et ne semble pas enfadée, comme on dit dans le Midi, par le charme subtil d’un Obama pacificateur. Dans les années à venir, selon un vieux mot d’esprit de l’Empereur de Russie Alexandre III, le meilleur allié de la Russie sera son aviation et sa flotte maritime, car non contente de retaper son aviation, la Russie a amorcé également la construction d’une série de porte-avions.
En tout cas tout cela représente beaucoup de travail à abattre pour les gens des usines qui, eux, seront bien contents de voir leur carnet de commandes rempli à craquer.