Hugo Chavez s'accrochait autant au pouvoir qu'à la vie. Mais il n'y a pas de miracles – ni en médecine ni en politique.
Les hommes politiques marquent l'histoire de deux manières. Soit par leurs actions – bonnes ou mauvaises - soit par leur capacité à incarner une époque. Hugo Chavez faisait probablement partie de la seconde catégorie.
Son "socialisme bolivarien" ne lui survivra certainement pas – trop de choses dépendaient de la personnalité du dirigeant vénézuélien. Son charisme et son énergie ont transformé cet Etat périphérique malgré ses richesses en hydrocarbures en acteur de la grande politique mondiale.
Son décès fera revenir le Venezuela à sa place modeste du point de vue global. A moins, bien sûr, que la mort de Chavez ne plonge le pays dans une guerre civile dont les conséquences ne feraient pas effondrer la conjoncture pétrolière.
Le flair de Chavez
Mais en ce qui concerne l'esprit du temps, peu d'hommes politiques de la fin du XXème et du début du XXIème siècle pourraient se vanter de réunir autant de lignes de tension, tracées par les processus déterminant la situation mondiale.
Paradoxalement Chavez, accusé d'autoritarisme, symbolisait pertinemment le processus de démocratisation en cours dans de nombreux pays ainsi qu’à l’échelle internationale.
Hugo Chavez a tenté d'arriver au pouvoir par un coup d'Etat il y a 20 ans mais il a échoué et en a tiré les conclusions. Le colonel a ressenti ce que beaucoup de dirigeants n'ont pas compris après des années, comme les présidents du Proche-Orient : que l'époque de la dictature touchait à sa fin, était démodée. Les masses sont arrivées dans l'arène historique avec leur énergie et leurs intérêts souvent très contradictoires.
Chavez a montré que dans les pays souffrant de profonds problèmes sociaux – comme au Venezuela avec sa stratification traditionnelle et son aristocratie hautaine - l'appel à la démocratie, à la volonté de la majorité était bien plus efficace que tout complot.
Les escapades à l'Onu
Chavez est devenu le précurseur d'un autre processus démocratique : l'aspiration du pays à l'équité et à l'érosion de la hiérarchie mondiale. La discorde grandissante de l'arène internationale - qui a résulté de la fin du système bipolaire - a particulièrement limité la capacité des puissants à dicter leur volonté.
Comme le Conseil de sécurité de l'Onu n'a pas l'intention de changer – les membres permanents n'ont pas intérêt à partager leurs privilèges avec d'autres - la voix de l'Assemblée générale comme assemblée internationale universelle du "public" se fait de plus en plus entendre.
Et les leaders marquants, qui se prononcent au nom de la majorité mondiale en colère contre l'inégalité des droits et des possibilités, sont de plus en plus persuasifs et gagnent en retentissement.
Les escapades de Chavez à la tribune de l'Onu pouvaient rappeler un numéro de clown mais on retrouvait, derrière, les émotions de nombreux pays.
L’alternative Chavez
L'ascension du "socialisme bolivarien" s’est également accompagnée d'un vide idéologique sur le flanc gauche après la chute du communisme soviétique.
Il s'est rapidement avéré qu'aucun triomphe de l’enseignement libéral ne s'était produit et que l'absence d'équilibre idéologique entraînait un développement instable. En fin de compte, la l'idéologie du vainqueur s’en est trouvée discréditée.
L'aspiration mondiale croissante vers une alternative - alors que la crise de 2008 a remis en question le caractère incontestable du marché libre - a contribué au succès de Chavez, même si beaucoup ont considéré les réussites du "nouveau socialisme" au Venezuela comme de la propagande.
Emancipation des régions
La présidence de Chavez a coïncidé avec l'ascension des USA comme leader mondial ayant les pleins pouvoirs et avec le début de leur chute.
Le virage à gauche de la politique régionale, la réticence à suivre les recommandations et les indications de Washington ont commencé par Chavez. En partie pour une histoire défavorable – le soutien des dictateurs. En partie aussi parce que les réformes néolibérales défendues par les USA ont commencé à susciter la réticence de la population.
En se prenant pour un empire mondial, les Etats-Unis en ont oublié la "cour arrière", qui s'est considérablement écartée de la ligne directrice dans les années 2000.
Avec son antiaméricanisme franc et parfois théâtral, Chavez a créé pendant un certain temps une vague de nouveaux dirigeants en Bolivie, en Equateur ou au Nicaragua et a forcé les autres, plus modérés, à prendre en compte cette tendance.
D'ailleurs, l'éventuel retour de la droite au Venezuela ne signifie pas que tout reviendra à la case départ – les masses ont vécu l'émancipation avec Chavez et plus aucun homme politique ne pourra ignorer ce large public.
Sans "Comandante"
Hugo Chavez est un héros de son époque - une époque très étrange, sans dogmes idéologiques ou de règles de conduites inébranlables, où les faibles peuvent soudainement devenir plus forts que les puissants avant de chuter aussi rapidement qu’ils sont arrivés.
Si cette époque était apparue il y a un demi-siècle, l'URSS aurait déjà fait en sorte que le "camarade Hugo" bénéficie d'un "toit". En dépit des révérences mutuelles, la Russie n'avait pas l'intention d'aider Chavez hormis pour lui vendre des armes et il devait agir seul.
Les ambitions de Chavez, qui dans ses meilleures années - comme le colonel Kadhafi - cherchait à reconstruire tout autour de lui sans hésiter à s'ingérer dans les affaires d'autres pays, détournaient l'énergie et les ressources du développement de son propre pays.
Ses presque 15 ans de règne ont forcément influé sur son exactitude d'appréciation et sa capacité à faire preuve de souplesse - la frontière entre l'audace politique et le despotisme s'effaçait.
Au final il ne laisse pas un héritage solide. On peut comprendre la panique de ses compatriotes, qui sont loin d'être persuadés de pouvoir tenir la barre sans "Comandante".
Il n'a pas eu le temps de transmettre les rênes du pouvoir - ou plutôt ne voulait pas le faire.
Hugo Chavez s'accrochait autant au pouvoir qu'à la vie. Mais les miracles n'existent pas – ni en médecine ni en politique.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.