La police française sous les projecteurs

© © Photo : Joël BrayardLa police française sous les projecteurs
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Nous partons à la rencontre du commandant en retraite Joël Brayard, qui libéré du droit de réserve a bien voulu exprimer son opinion de spécialiste sur la Police nationale, son évolution et sa situation présente, un témoignage rare, les médias français s’intéressant bien peu à ce corps de la Nation. Première partie.

La Voix de la Russie : Bonjour Joël Brayard, vous êtes un ancien officier supérieur du corps de la Police nationale, actuellement à la retraite, pouvez-vous vous présenter un peu plus ?

Joël Brayard: j’ai 66 ans et à ma retraite, je me suis retiré en Haute-Bresse avec mon épouse, berceau de ma famille. Mes ancêtres ont habité pendant plus de 100 ans la fameuse ferme bressanne de Montalibord sur la commune de Vescours. J’ai débuté ma carrière, à l’Ecole nationale supérieure de la Police à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or en 1970, comme élève Officier de paix, et terminé celle-ci à Dijon en 1999, avec le grade de commandant à l’échelon exceptionnel, comme responsable de la cellule protection des populations de la Zone de Défense Centre-Est.

La Voix de la Russie : Joël Brayard, vous avez servi dans la police pendant près de trente années et vous avez eu divers commandements entre 1970 et 2000, une époque riche en évolution pour la Police nationale. Nous aimerions savoir, quelles étaient vos motivations en entrant dans ses rangs et votre sentiment en la quittant après cette longue carrière ?

Joël Brayard : Pour ce qui concerne mes motivations : c’est une longue histoire, au départ je voulais être ingénieur, mais la rencontre de l’amour de ma vie m’a fait écourter mes études et je suis devenu technicien supérieur en fabrications mécaniques. Après des stages dans ce domaine, chez Alsthom, et mon mariage en 1967 j’ai souhaité devenir professeur de mécanique générale et j’ai obtenu un poste de maître-auxiliaire fin à Mâcon. C’est au début de 1969 qu’un pistonné était affecté sur mon poste, et que par conséquent n’étant pas titulaire, j’étais viré. C’est alors que sur les conseils de mon père qui était Gardien de la Paix, j’ai préparé le concours d’Officier de Paix de la police nationale que j’ai eu la chance de réussir du premier coup. Ce n’est donc pas par vocation que je suis devenu policier, ce sont des aléas successifs de ma vie qui m’ont fait prendre cette voie. Choix que je n’ai jamais regretté par la suite. Pour ce qui concerne mon sentiment en prenant ma retraite anticipée avec 37,5 annuités, il était alors question dans le cadre de la réforme des retraites de passer à 40 voire 42 annuités. J’étais bien content de laisser la place aux jeunes !

La Voix de la Russie : De votre avis, quelles ont été les évolutions positives pendant cette période ?

Joël Brayard : J’ai connu beaucoup de réformes et de transformations pendant mon activité. Pour ne citer que les principales : 1977 suppression du grade de commandant principal et de colonel pour les officiers de paix, avec nomination au choix des commandants dans le corps des Commissaires de Police ; réduction des horaires de travail ; création de la prime d’habillement ; extension des compétences judiciaire de la tenue ; informatisation de la police ; globalisation du budget de fonctionnement ; réforme des conditions de recrutement ; féminisation de la Police en tenue ; 1985 création du STIC (système de traitement des infractions constatées) de brigades spécialisées : BCT (brigade de contrôle technique) BAC (brigade anti-criminalité) BSN (brigade de surveillance nocturne, amélioration des équipements et de l’armement (gilet pare-balles, calibre 38) etc.

Pour le positif je citerais premièrement l’augmentation de la qualification judiciaire de la police en tenue, par rapport à la police en civil. Et en deuxième lieu, la féminisation de la police en tenue, ce qui n’a pas été sans problème. En poste à Dijon j’ai vu débarquer une jeune femme célibataire (affectée sur sa demande, par dérogation aux règles habituelles d’affectation car son oncle policier avait été tué en service à Paris. Pas de vestiaire, pas de douche pour le personnel féminin ; il a fallu improviser et adapter les locaux à cette nouvelle situation.

La Voix de la Russie : Et les négatives ?

Joël Brayard : la réduction des horaires qui a eu pour conséquence une baisse notable des effectifs sur le terrain, quand j’ai commencé les policiers effectuaient 43 heures par semaine, puis 41 h 30, puis 39 heures. Il n’était alors plus possible de travailler avec 4 brigades, ou sections. La police en tenue a donc été obligée de passer à 5 brigades ou 5 sections, sans renfort d’effectif. Par ailleurs il était obligatoirement attribué à ces fonctionnaires 14 jours fériés. L’examen du calendrier démontre que cette attribution est plus généreuse que la réalité (exemple en 2013 : 10 jours fériés) perte sèche de présence sur la voie publique : 4 jours par fonctionnaire. Pour ma part, comme tous les officiers j’ai terminé à 40 heures 30 par semaine avec 10 jours d’hiver pour compenser le différentiel avec les 39 heures légales.

Le système le plus souvent retenu, pour l’organisation des services, par les gardiens de la paix était peut-être à leurs yeux le meilleur, mais à mon avis le plus destructeur. Roulement effectué à titre indicatif : 1er jour : 13- 21 h 10, 2e jour 6-13 h 10 et dans la foulée, 21-6 h 10, 3e jour descente de nuit ou une fois sur deux vacations de renfort de 6 heures 42 ; 4e jour repos légal, 5e jour repos compensateur de cycle. Après examen attentif, on constate que les heures de service sont concentrées sur trois jours, puis le fonctionnaire de police est absent une fois sur deux pendant 79 heures, beaucoup de repos mais à quel prix ! Les fonctionnaires soumis pendant de nombreuses années à ce régime ne profiteront pas longtemps de leur retraite, j’en reste persuadé.

La Voix de la Russie : nous avons l'impression d'une montée constante du racisme et de la haine contre les policiers et les forces de l'ordre, est-ce vrai, et à quoi imputer ce fait dans la positive ?

Joël Brayard: Ce n’est pas une impression, c’est à mon avis une réalité, confirmée par un sondage récent (en 2011, pour 40 % des français la police est raciste) ce chiffre est énorme. Il est clair que la dégradation des relations police avec une certaine catégorie de population est nette. La recette est connue, mettre en cause la police pour se dédouaner d'une infraction commise, peu importe si le policier a été correct ou non, le délinquant se « victimise » c’est un pur rideau de fumée. Ainsi les voleurs de voiture qui se tuent en tentant d’échapper aux policiers déclenchent la fureur des quartiers jusqu’à l’émeute. Si vous verbalisez ou même simplement si vous contrôlez un individu de couleur ou un maghrébin de la 2e ou 3e génération : « c’est parce que vous êtes racistes ». Pour ma part, je suis pour le principe de la vidéo comme aux USA. Car elle permettra peut-être de démontrer que les accusations d'un individu sont mensongères. Le décalage est de plus en plus important entre les attentes de la population et les possibilités réelles des policiers. Il faut noter que la cote d’amour policière est bien plus basse dans les quartiers difficiles que dans la France entière.

La Voix de la Russie : Les Français sont-ils ingrats avec leur police ?

Joël Brayard: Non, car contrairement aux idées reçues les Français aiment leur police. Les enquêtes d’opinion montrent que les policiers sont classés pratiquement au même niveau que les infirmières en matière d’image de marque. Le public sait faire la part des choses, manque d’effectif, lenteur de la Justice, réglementation inadaptée à la délinquance des mineurs etc…

La Voix de la Russie : Beaucoup de stéréotypes virulents sont véhiculés dans la société française sur la Police, par les médias, par la télévision, est-ce que la Police est vraiment malade ?

Joël Brayard : Le quotidien des policiers se traduit par un malaise croissant. Il est bien réel, à ce sujet je conseille la lecture du livre de Nadège Guidon publié en 2012, Malaise dans la police. Cet ouvrage constitue un bon portrait d’une profession prise en étau entre sa hiérarchie et une population de plus en plus agressive. Cette semaine la presse a dévoilé une étude du CNRS, qui révèle le grand malaise de notre corporation. Les forces de l’ordre (Police et Gendarmerie) ont le moral au plus bas ; mais beaucoup restent toutefois attachés au métier : 80 % sont fiers d’appartenir à la Grande Maison. Dans l’enquête 13 000 policiers ont répondu de manière anonyme à 250 questions. Les causes du stress sont multiples : agressions verbales ou physiques, critiques négatives de la population, malaise avec la Justice et les médias ; 85 % des sondés estiment que la justice discrédite leur travail et 87 % que la presse dévalorise leur travail. 38 % des policiers craignent de s’endurcir mais heureusement 56 % s’estiment suffisamment formés pour faire face aux difficultés rencontrés dans l’exercice de leur métier.

A suivre !

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