Ce n’est que bien plus tard que j’appris qu’elle avait été créée par le cuisinier Lucien Olivier en fait russe d’origine franco-belge (il était Belge avec des origines françaises) et qui était propriétaire d’un fameux restaurant, L’Ermitage au centre de Moscou. Il était né en 1838, et avait une excellente réputation dans les années 1860.
Des légendes circulent autour de la recette, l’une d’elle indique que la recette aurait été créée en l’honneur de l’acteur britannique Lawrence Olivier (1907-1989)… mais elle fut véritablement créée à Moscou par Lucien Olivier qui en gardait le secret jalousement. La recette de sa salade fut longtemps préservée, et seulement connue, dans sa version originale, après sa mort survenue en 1883. Il fut enterré au cimetière de Vvedenskoïe, et fait étrange, sa tombe fut par la suite « égarée » jusqu’à sa localisation en mai 2008.
En fait de secret les ingrédients de sa recette étaient pourtant tout à fait connus de ses contemporains, mais les tentatives de réaliser et de reproduire cette dernière furent toujours couronnées d’insuccès, jusqu’au moment de la révélation de la recette du chef. Son succès et la réputation du restaurant faisaient des envieux, au point que l’assistant de Lucien Olivier eut l’idée, puis l’occasion un jour d’inattention, de prendre des notes sur sa réalisation, sur les ingrédients et sur la sauce, la clef de la recette…
Se nommant Ivan Ivanov, l’indiscret fort de son petit larcin est ensuite engagé comme chef dans un autre restaurant où il propose une variante de la salade Olivier, la « stolychnyj » dont la salade et la sauce ne supportait pas la comparaison toutefois avec celle du maître… Mais Ivanov utilise sans scrupule ses notes, en vendant à des maisons d’édition sa recette qui se trouve dès lors diffusée très largement. Elle part en effet à la conquête du monde, d’abord après la Révolution dans les pays où l’émigration russe était importante, la France, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne et puis le reste du Monde. Elle atteindra l’Iran, la Turquie, la Grèce et les Etats-Unis où elle est toujours connue. En France elle sera baptisée comme en Espagne… la salade russe !
La recette de cette salade connaît donc une certaine ambivalence, puisqu’elle fut diffusée sur la base d’une version mise au point par son assistant et qui ne la reproduisait pas entièrement. Elle ne fut pas immédiatement dénommée salade Olivier, mais Майонез из дичи. Elle était constituée des ingrédients que nous allons voir, en particulier de caviar de Russie, de câpres mélangés ensembles avec une volaille et liés en gelée avec un bouillon. Le tout était assorti de queues d’écrevisses cuites, de morceaux de langues, d’œufs durs et relevé par la fameuse sauce « mayonnaise » spécifique à Lucien Olivier. Cette recette est évidemment très éloignée de la recette moderne, elle constituait un met de luxe réservé à une élite fortunée.
A travers le temps, la recette « populaire » d’Ivanov en s’introduisant dans les usages des Russes suivie aussi les aléas de l’histoire. Au moment de la guerre 14-18, puis de la guerre civile russe, la pénurie des ingrédients qui composaient la recette tronquée d’Ivan Ivanov, conduisit les Russes à transformer quelque peu sa composition notamment en ce qui concerne la sauce, qui était une sorte de mayonnaise à base de vinaigre français, de moutarde, d’huile d’olive de Provence et d’épices. Elle connaîtra alors, selon les idées et les besoins des cuisiniers et cuisinières de multiples variantes.
Cette recette populaire est celle que nous connaissons actuellement, et elle ne prit le nom de salade Olivier que durant la période soviétique, devenant presque un symbole culinaire de la Russie. Très appréciée, toujours de nos jours, elle est servie pour les repas de fête, en particulier le jour de l’An. Les deux versions, de la salade Olivier, celle de Lucien Olivier ou sa variante soviétique (issue d’Ivan Ivanov) sont tout à fait différentes. La version soviétique se compose habituellement de légumes coupés en dés : pommes de terre, cornichons, petits pois, carottes, oignons, à la manière d’une recette de macédoine et qui est servie comme elle, froide. Auxquels s’ajoutent aussi des dés de saucisson de Bologne, ou d’un des très nombreux saucissons russes sans oublier la fameuse sauce.
D’autres pays ont introduit de nouveaux ingrédients, du thon, des pois, des poivrons rouges, des olives vertes, du jambon, du rosbif, des truffes, de l’anchois, du saumon de Norvège, de la langouste… elle fut, comme nous le voyons, le départ d’une très large et vaste inspiration culinaire et parfois sujette à des manipulations politiques… Ainsi en Espagne alors que la guerre civile bat son plein (1936-1939), l’idéologie fasciste transforme le nom de cette salade, dite « russe » en celui de « salade nationale ». La Russie soutenait en effet activement par l’apport d’armes et de conseillers, les Républicains espagnols, elle donnait donc de l’urticaire aux partisans de Franco. Mais son long régime ne devait pourtant pas effacer son nom d’origine, elle devait rester pour tous « la salade russe » !
Version soviétique de la salade Olivier :
Des pommes de terre, des petits pois en conserve, des cornichons salés russes, du saucisson russe, des œufs durs, de la mayonnaise.
Version de Lucien Olivier « originale » :
Les filets cuit de deux gelinottes, une langue de veau cuite, 100 grammes de caviar noir, 200 grammes de feuilles de salades vertes, 25 écrevisses cuites ou un grand homard, 250 grammes de petits cornichons fins, de la pâte de soja, 2 concombres, 100 grammes de câpres, 5 œufs durs coupés en morceaux. Le tout accompagné d’une sauce « provençale » constituée de 400 grammes d’huile d’olive battus avec 2 jaunes d’œufs, du vinaigre et de la moutarde de France. Les ingrédients étaient pour l’essentiel coupés en dés, puis associés à la sauce considérée comme « mayonnaise ».