Le retour de la «guerre contre le terrorisme»

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Jean-Dominique Merchet - Sputnik Afrique
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Dans les discours politiques occidentaux, on la croyait disparue depuis l’élection d’Obama en 2008. Et la voilà aujourd’hui qui revient en fanfare dans la bouche des socialistes français, pourtant rarement absent quand il s’agit d’exprimer la bien-pensance contemporaine. Quelle ironie!

Dans les discours politiques occidentaux, on la croyait disparue depuis l’élection d’Obama en 2008. Et la voilà aujourd’hui qui revient en fanfare dans la bouche des socialistes français, pourtant rarement absent quand il s’agit d’exprimer la bien-pensance contemporaine. Quelle ironie!

A Paris, les cercles du pouvoir s’interdisent absolument de désigner les ennemis que la France affronte militairement au Mali depuis le 11 janvier. Ce sont des «terroristes» dit le président François Hollande. Des «terroristes criminels», ajoute le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius. A quand les «méchants terroristes criminels»?

Dans les conflits contemporains, la manière de nommer son ennemi en dit plus  long sur ce que l’on est que sur l’ennemi en question. On se souvient de la «guerre contre le terrorisme», la Global War On Terror de George W. Bush, au lendemain du 11 septembre. Barack Obama abandonna ses mots, sans pour autant se monter faible. A-t-il eu tort ?  On se souvient aussi des mots de Vladimir Poutine parlant, en 1999,  des terroristes tchétchènes : «on les buttera dans les chiottes».

Désigner notre ennemi comme «terroriste» présente un avantage: il évite de le définir plus précisément ! Or, qui sont les hommes que nous combattons au Sahel? Des islamistes radicaux, des djihadistes, majoritairement d’origine arabe et touareg. Mais les «éléments de langage» des dirigeants français évitent avec le plus grand soin de le dire : les mots «islamistes» ou «djihadistes» ne sont pas employés. Comme si, par souci de ne pas «stigmatiser» les musulmans, il ne fallait surtout pas utiliser de mots trop «connotés», comme on dit… Le conseil français du culte musulman n’a d’ailleurs pas manqué de «saluer» la «précaution utile et nécessaire» du chef de l’Etat français.

C’est assez ridicule et potentiellement dangereux. Assez ridicule, car c’est laisser entendre que l’on pourrait croire que tous les musulmans sont potentiellement des terroristes. C’est en quelque sorte l’inconscient qui parle et que l’on refoule en évitant certains mots… Merci docteur Freud!

Ridicule aussi parce que nos ennemis ne se battent pas au nom du «terrorisme», mais bien d’une vision de l’Islam – une vision contestée par la majorité des musulmans. Les djihadistes sont une minorité très dangereuse mais numériquement faible. Faisons l’effort de les écouter, de les comprendre, ne serait-ce que pour mieux les combattre ! Faisons l’effort intellectuel de saisir ce qui distingue les islamistes, les salafistes et les djihadistes. Ce qui distingue les combattants internationalistes des mouvements enracinés dans une histoire nationale, comme les talibans afghans ou les touaregs maliens.

Le terrorisme n’est pas une idéologie, c’est une méthode, une technique d’usage de la violence. Qui n’a pas été terroriste ? Yasser Arafat ne fut-il pas un terroriste, comme le furent les chefs de l’Irgoun en Israël… avant de devenir Premier ministre ?  Et les indépendantistes irlandais ? Et les «Partisans» soviétiques pour les nazis ? Et les résistants français, aux yeux de Vichy et de l’occupant allemand ? La connaissance de l’histoire devrait nous inciter à une certaine prudence de langage.

Certes, ce qu’il s’est passé en Algérie, sur le site gazier d’In Amenas relève sans l’ombre d’un doute du terrorisme – et même d’une forme particulièrement agressive de ce type de violence. De part et d’autre, d’ailleurs : le bilan de plusieurs dizaines de morts en témoigne. De même que les otages français kidnappés au Sahel relève du terrorisme… mâtiné de grand banditisme.

Ce qui se déroule au Mali est différent.  L’armée française – et ce qui reste d’armée malienne – n’ont pas à faire à des terroristes, mais à des combattants réguliers. Des «maquisards», des «guérilleros», comme on disait en d’autre temps et d’autres lieux. Au Mali, ils ne commettent pas d’attentats à la bombe et ne conduisent pas des opérations clandestines. Ils se battent à découvert, à la loyale, avec leurs colonnes de 4X4 très bien armés et, semble-t-il, bien commandés. Nous avons à faire à des soldats – qui, certes, propagent une vision du monde que nous rejetons, mais à des soldats quand même.

Certes, les combattants djihadistes que nos forces affrontent ne sont pas des enfants de chœur. Ils sont, pour une part, liés à Al-Qaïda et n’hésitent pas à tuer, à prendre des otages, voire à commettre des attentats – ils l’ont fait en Algérie et le feraient volontiers en France, s’ils en avaient les moyens. Sont-ce les mêmes, ceux qui se battent au Mali et ceux qui attaquent l’usine algérienne ? Ils proviennent en tout cas d’un même bouillon de culture.

Mais n’oublions pas la dimension locale de la crise. Par plus d’un trait, notre ennemi ressemble  aux Talibans afghans : ce sont des fanatiques, mais ils ne sont pas étrangers dans leur pays. Ainsi, leur chef, Iyad ad Ghali, est chez lui là où il combat : c’est un touareg malien, pas un combattant internationaliste venu du Moyen-Orient ou d’une banlieue française.

Les qualifier de «terroristes criminels», c’est, au fond, emprunter à la rhétorique du discours néoconservateur. Les guerres d’aujourd’hui sont toutes marquées par le «criminalisation» de l’ennemi. Les opérations militaires finissent par devenir des opérations policières contre des «hors la loi», contre des gens qui violent la morale commune. La guerre n’est plus la continuation de la politique par d’autres moyens, elle est devenue la poursuite de la Justice par d’autres moyens. Il faut parfois combattre et l’emploi de la force n’est pas illégitime. La guerre – ou plutôt la victoire militaire – permet de résoudre des situations inextricables. Mais, comme on le voit en Irak, en Afghanistan et désormais au Mali, il ne peut y avoir de solutions durables que politiques. Elles passent, à un moment, par la discussion avec l’ennemi- ou, au moins avec certains d’entre eux. Peut-on discuter avec des «terroristes criminels» ?


L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

* Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les affaires de Défense. Auteur du blog français le plus lu sur ces questions, créé en 2007. Ancien de l’Institut des hautes études de défense nationale. Auteur de nombreux ouvrages dont : « Mourir pour l’Afghanistan » (2008), « Défense européenne : la grande illusion » (2009), « Une histoire des forces spéciales » (2010), « La mort de Ben Laden » (2012).

 

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