Le représentant du Conseil, M. Aiman Mazyek, dénonce l’indifférentisme des services de sécurité allemands qui selon lui se refusent à percevoir l’islamophobie comme une forme de racisme en le rapprochant de cette notion bien plus vague qu’est la xénophobie ou la peur d’autrui, de l’altérité. Or, selon M. Mazyek, il se trouve que la haine de l’islam représente un crime à part, un crime particulièrement grave auquel participe, bien souvent d’une façon irréfléchie, l’ensemble de la société occidentale.
Un grief du même type est formulé par M. Thami Bouhmouch dans un article brillant à sa manière et cité par une source internet dissidente. D’après cet universitaire dont les convictions recoupent en grande partie les miennes, l’islamophobie est « programmée et organisée par les services du sionisme international ». La lecture de son texte m’a tout d’abord fait sourire, car, entre nous, peut-on parler d’islamophobie alors que les mosquées en France poussent comme des champignons et qu’on mange déjà hallal dans certaines cantines scolaires ? Par la suite, je me suis sentie véritablement gênée dans la mesure où la plupart des thèses avancées par l’auteur étaient difficilement réfutables. Une troisième relecture m’a éclairée sur les raisons de cette gêne que j’ai pu aussitôt exorciser. Ces raisons, les voici :
- M. Bouhmouch conceptualise remarquablement bien les fondements sionistes du colonialisme mais il part de B et non pas de A. Il décrit la diabolisation de l’islam tel qu’il est greffé au cœur même du judéo-christianisme sans expliquer pourquoi est-ce que, à la base, l’islam a fait irruption en France ou dans d’autres pays européens non moins concernés par le problème. Je pense en l’occurrence à la Belgique.
- M. Bouhmouch a tout à fait raison d’affirmer que l’islam ne s’en prend pas à l’image du Christ alors que la presse occidentale se permet des blasphèmes inqualifiables à l’égard du Prophète. Mais c’est justement là que le bât blesse. Les musulmans d’Europe ne s’élèvent pas contre Jésus parce que, même étant un personnage historique, Il relève davantage pour eux d’une abstraction nouménale. En revanche, ils s’en prennent bel et bien aux Français ou aux Belges qui confessent Jésus ou qui, même athée sont de naissance ou de conviction solidaire avec une civilisation étrangère à l’islam. Les européens, sans qu’on puisse pour autant les justifier, choisissent cette autre figure historique et pourtant relativement abstraite qui est celle du Prophète pour se défouler de leur ressentiment. Néanmoins, ce ressentiment verbalement exprimé, même inadmissible, même répugnant, n’est pas physiquement extrapolé – sauf cas exclusifs – aux musulmans. Exemple flagrant : on connaît le sort des « gaulois chrétiens » exhibant excessivement leurs convictions en banlieue. On connaît, hors de France, le sort des chrétiens irakiens ou syriens. Imaginons à présent l’inverse. Délirant, n’est-ce pas ?
Soucieux de victimiser les musulmans installés en Europe, soucieux d’expliquer la campagne médiatique anti-islam qui règne en France et ailleurs par une tentative de justifier des interventions devenues chroniques au Proche-Orient, l’auteur semble s’écarter des prémisses de l’affaire.
La doctrine du choc des civilisations évoquée dans l’analyse recoupe une idée très simple. Je dirais primitive. Elle afflue dans la sempiternelle problématique du tandem Sion-Protestantisme d’obédience notamment luthérien. Certains ont tendance à y voir un amalgame impardonnable, d’autres – et je suis humblement des leurs - le soutiennent de vive voix, invoquant des preuves historiques incontestables expliquant les penchants colonialistes de l’Empire Atlantiste et de la Vieille Europe qui lui est hélas idéologiquement affiliée, pour ne pas dire, d’une façon curieuse, assujettie.
Schématiquement, la situation se présente ainsi. Les Guerres de religion des XVIème et XVIIème siècles, outre le fait qu’elles aient désastreusement saignées l’Europe, ont également développé au cœur d’une certaine élite protestante un complexe de forte stigmatisation semblable à celui qu’aurait éprouvé le peuple hébreu suite à l’Exode qui lui avait été imposé. L’Amérique du Nord avait été alors perçue par ces élites qui se sont formées par opposition à la Papauté comme une Terre Promise où ils auraient la possibilité de fonder un état appuyé sur l’idée de justice. Peut-être avez-vous entendu parler du prédicateur John Eliot qui dans son livre intitulé The Christian Commonwealth (se traduit comme la Communauté Chrétienne) concrétise ce lien assez mystérieux et pourtant flagrant entre « le Dieu de Calvin, … des puritains (…) bien plus proche du Dieu de majesté et de colère de l’Ancien Testament que du Dieu d’amour de la révélation chrétienne (…). C’est pourquoi, dit-il, « le puritanisme est souvent qualifié d’anglo-hébraïsme ». On relève la même vision chez Mme Elise Marienstras, historienne, qui reprend cette comparaison symbolique de l’Atlantique avec la mer Rouge, de la fuite des élites protestantes avec celle des Hébreux. On sait où peuvent mener les complexes sur le plan pratique. C’est précisément ce qui est arrivé dans le cas de cet organisme artificiel qui, se réclamant au départ d’un Thomas More, a fini par sombrer dans la fange orwellienne. Par déviation vicieuse, l’idéalisme messianique anglo-hébraïque a dégénéré en sentiment d’exceptionnalisme. C’est bien lui qui a cimenté ce qu’on appelle aujourd’hui le Lobby juif américain et auquel M. Bouhmouch fait allusion dans l’analyse qu’il nous propose. Les USA comptent à ce jour près de cinquante millions de lobbyistes en collaboration avec leurs collègues idéologiques éparpillés à travers la Vieille Europe. Et c’est à ce stade qu’on parvient au hic du problème, à ce hic susceptible de nous éclairer sur les racines d’une politique migratoire extrêmement favorable au métissage … mais dans un sens privilégiant l’idée de supériorité des autochtones. Sans vouloir enfoncer le clou, je me permettrais malgré tout de citer Théodore Roosevelt en personne qui, il faut le savoir, était l’un des théoriciens de l’exceptionnalisme étasunien : « Le colon dur, féroce, qui chasse le sauvage de sa terre, obtient une créance à l’égard de tout homme civilisé » (extrait du Verdict de l’Histoire : le cas des Cherokkes).
Après l’abandon officiel du colonialisme, cette conception de l’altérité étrangère à l’esprit judéo-chrétien a muté en politique migratoire appliquée entre autres sur le sol européen, l’Europe occidentale s’étant progressivement rendue aux USA à partir des années 70-80. Les interventions meurtrières de l’OTAN au Moyen-Orient relèvent d’une approche similaire et, en même temps, infiniment plus primitive dans la mesure où leurs motifs ne sont qu’étroitement pragmatiques.
Ainsi, l’islamophobie évoquée par M. Bouhmouch, loin de s’inscrire dans le cadre d’une stratégie fallacieuse, se présente plutôt comme un phénomène réactionnel et comme l’effet secondaire d’une politique historiquement vicieuse et loyale aux multiples déviations étasuniennes.