2003-2013 : les dures leçons de la guerre d’Irak

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Jean-Dominique Merchet - Sputnik Afrique
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L’Irak d’aujourd’hui ressemble-t-il à l’Allemagne de 1955 ? Dix ans après la guerre américaine contre l’Irak, déclenchée le 20 mars 2003, cette question semble insensée. Et pourtant ! C’était bien là le projet officiellement affiché par les cercles néoconservateurs de Washington.

L’Irak d’aujourd’hui ressemble-t-il à l’Allemagne de 1955 ?  Dix ans après la guerre américaine contre l’Irak, déclenchée le 20 mars 2003, cette question semble insensée. Et pourtant ! C’était bien là le projet officiellement affiché par les cercles néoconservateurs de Washington.

Comme après la seconde guerre mondiale, ils voulaient imposer la démocratie, la paix et le développement par la force, une sorte de « wilsonisme botté »,  en référence au président Woodrow Wilson (1913-21).

Leur projet a sombré corps et âmes, au royaume tragique des plans démiurgiques.  Comparons avec l’Allemagne : dix ans après l’invasion alliée en 1945, la République fédérale était un Etat démocratique et libéral, dont l’économie était entrée dans une longue phase d’expansion et qui, se réconciliant avec ses voisins, posait les bases d’une union avec eux. Un immense succès – que l’on vit se reproduire au Japon.

Le contraste avec l’Irak d’après Saddam Hussein est terrible.  Force est de constater que ce qu’on appela le « camp de la paix » (France, Allemagne et Russie), l’axe Chirac-Schroeder-Poutine, avait alors raison de crier casse-cou !

L’armée américaine a quitté l’Irak en 2011 : elle y a perdu 4486 des siens (plus 318 morts d’autres nationalités, essentiellement britanniques), sans compter les milliers de blessés, physiquement ou psychologiquement. 4486 morts américains, des dizaines de milliers de vies brisées,  pour quoi ? 

Cette guerre a couté au minimum 770 milliards de dollars, selon les chiffres du Pentagone. Des économistes avancent des chiffres encore plus considérables.  Tant d’argent dépenser pour quel résultat ?

L’état de l’Irak est aujourd’hui pitoyable : la guerre a entrainé le mort violente de plus 110.000 civils – la plupart dans des affrontements entre Irakiens.  En 2012, la situation semble se dégrader à nouveau, avec une augmentation du nombre de tués : près de 4500, soit plus de 12 par jour ! Les attentats (941 en 2012…) se poursuivent, avec un bilan de 2764 morts et 7422 blessés l’année dernière. Les policiers et les chiites sont les plus visés.  Al Qaida, rebaptisé localement « Emirat islamique de Mésopotamie », est toujours très active. La paix civile n’est donc pas revenue, tant s’en faut.

Alors que le pays est le 10ème producteur de pétrole au monde, son Indice de développement humain – un indicateur fiable des Nations Unies – le situe au 132ème rang mondial sur 187. C’est l’un des Etats du monde où le pourcentage de la population connectée à internet (5%) est la plus faible… derrière Haïti. L’économie reste entièrement liée au pétrole (90% des revenus du gouvernement et 80% des exportations) ; un secteur toujours très contrôlé par l’Etat et qui peine à se moderniser. Il est, évidemment, l’enjeu de fortes rivalités politiques et régionales.

Politiquement, le pays est dirigé par un parti islamiste chiite (Dawaa) et le Premier ministre Nouri al-Maliki est de plus en plus dénoncé pour ses dérives autoritaires. Simple preuve de l’ambiance politique qui règne à Bagdad dix ans après la chute du dictateur : le vice-président de la République Tarek al-Hachemi, un sunnite, a du fuir le pays avant d’être condamné à mort par contumace ! Il est accusé d’avoir dirigé des escadrons de la mort durant la guerre civile. Les tensions communautaires entre chiites, sunnites et kurdes restent très vives et aucun équilibre politique durable n’a été trouvé.  Les chrétiens ont tous quasiment tous fuir le pays.

Peuplé majoritairement d’Arabes chiites, l’Irak subit l’influence de son grand voisin chiite, l’Iran… au plus mal avec les Américains sur le dossier nucléaire. Mais le pays est également déstabilisé par la guerre civile en Syrie, la minorité sunnite (marginalisée depuis la chute de Saddam) s’engageant du côté de la rébellion contre Bachar al-Assad, allié de l’Iran et, donc, des chiites qui gouvernent l’Irak.  Bref, le tableau est sombre, même si personne ne regrette la dictature sanglante de Saddam Hussein.

Les conséquences de cette guerre malheureuse dépassent largement les frontières de l’Irak. Ce conflit inutile – on se souvient du prétexte des armes de destruction massive… inexistantes – a mis à mal la puissance militaire américaine. Avant l’Irak, un observateur avisé de la scène internationale,  Hubert Védrine, parlait d’ « hyperpuissance » et la secrétaire d’Etat Madeleine Albright ne craignait pas d’affirmer : « We are the indispensable nation ».  Certes, l’Amérique a de beaux restes et conserve, sans doute, comme le croit l’essayiste néoconservateur Robert Kagan, une grande capacité à rebondir.

Mais, en Irak, les Etats-Unis ont montré les limites de leur puissance militaire.  Renverser le régime de Saddam, affaibli par une guerre précédente et douze ans d’embargos, fut un jeu d’enfant. On découvrit alors que rien n’avait été prévu pour la suite. Rien ! Les militaires américains étaient à Bagdad et durent gérer la situation catastrophique dans laquelle les politiques et les intellectuels de Washington les avaient plongé. Au fil des ans, les généraux américains réussirent même à se débarrasser de l’homme qu’ils tenaient pour responsable du chaos, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld. Ils imposèrent une nouvelle politique, dite de « surge », dès le second mandat du président George Bush.  Un homme incarna cette nouvelle ligne : le général David Petraeus. Son idée, qu’il appliqua ensuite en Afghanistan, était celle de la contre-insurrection (COIN). Inspirée des doctrines militaires françaises de la guerre d’Algérie, il s’agissait de « conquérir les cœurs et les esprits » des Irakiens… pour mieux préparer le retrait. Furent-ils conquis ? Cela reste à démontrer… En tout cas, cela permettait de présenter à l’opinion américaine une doctrine militaire « politiquement correcte » après les graves dérives de la prison d’Abu Ghraib et de l’usage de la torture.

Au maximum, la coalition dirigée par les Américains a pu engager 176.000 militaires sur le terrain, auxquels il faut certes ajouter quelques milliers de « contractors » privés ainsi que les forces de sécurité et milices irakiennes. Mais 176.000 hommes, c’est extrêmement peu pour un pays de près de 35 millions d’habitants !  En Afghanistan, les alliés n’ont jamais pu envoyer plus de 130.000 hommes. A titre de  comparaison, les effectifs de la seule armée française en Algérie étaient de 450.000 hommes en 1957…

On touche là un problème essentiel de nos pays riches et démocratiques : leur incapacité à mobiliser des effectifs militaires importants. Cela, le monde entier l’a compris.  C’est la plus redoutable leçon de la guerre d’Irak.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

* Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les affaires de Défense. Auteur du blog français le plus lu sur ces questions, créé en 2007. Ancien de l’Institut des hautes études de défense nationale. Auteur de nombreux ouvrages dont : « Mourir pour l’Afghanistan » (2008), « Défense européenne : la grande illusion » (2009), « Une histoire des forces spéciales » (2010), « La mort de Ben Laden » (2012).

 

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