Laurent Brayard, La Voix de la Russie : Bruno Falba, alors que l’Europe et la France sont en crise, j’aimerais savoir comment se porte en France et en Belgique le secteur de la Bande dessinée, il y a quelques années, dans le marasme déjà ambiant, ce secteur du livre était en constante progression en témoignent les énormes rayonnages que la grande distribution n’hésitait pas à consacrer au 9ème Art. Et en 2012 ?
Bruno Falba : La crise touche malheureusement tous les secteurs, y compris celui de la Bande dessinée. Paradoxalement, il n’y a jamais eu autant d’éditeurs de Bande dessinées de publications et d’auteurs sur le marché ! Les différents acteurs de l’édition sont très actifs, innovants et compétitifs. Malgré l’arrivée du numérique, de nouvelles librairies spécialisées ouvrent régulièrement. Quant aux anciennes, leur chiffre d’affaire est en très forte progression. Il faut préciser que les lecteurs de BD sont des collectionneurs inconditionnels qui allouent à leur passion un budget conséquent. D’autre part, en période de fête, la Bande dessinée reste un cadeau original et de qualité qui, de par son prix attractif, recrute chaque année de nouveaux lecteurs chez les jeunes et moins jeunes. Environ 1 800 scénaristes, dessinateurs et coloristes produisent environ 5 000 ouvrages par an. Autant dire que le monde de la Bande dessinée compte de nombreux candidats, mais peu d’élus. La règle des 20-80 % s’applique ici aussi : 20 % des auteurs réalisent 80 % des titres. Par conséquent, tout le monde ne vit pas de son art. Le talent ne suffit pas. Le travail, la remise en question et l’opiniâtreté offrent le seul moyen d’atteindre son objectif. Il faut du temps pour que l’alchimie s’opère… Et pour cela, les auteurs doivent persévérer dans la profession en donnant le meilleur d’eux-mêmes !... Comme partout ailleurs, non ?
La Voix de la Russie : Bruno Falba, votre dernière œuvre, L’Espion de l’Empereurest annoncée comme une série, il y aura donc d’autres tomes, la Campagne de Russie de 1812 est dans son bicentenaire, et vous imaginez qu’ici en Russie les commémorations sont nombreuses et les Russes contrairement aux Français s’intéressent beaucoup à cette campagne, il est vrai qu’ils en furent les victimes mais aussi les vainqueurs, avez-vous prévu d’évoquer la campagne de Russie dans un futur album ?
Bruno Falba : Effectivement, L’espion de l’Empereur est annoncé comme une série. Le premier cycle sera une trilogie. Chaque tome traitera une mission différente tout en respectant scrupuleusement la chronologie des évènements qui se sont produits en 1805. Ainsi, après la prise d’Ulm, nous découvrirons ce qu’il s’est passé avant d’Austerlitz, la bataille des trois Empereurs. Par la suite, si la série trouve son public, d’autres cycles suivront. Ils aborderont les autres campagnes militaires du 1er Empire français, toujours dans l’ordre chronologique. Celle de la Russie, qui s’est soldée par une désastreuse retraite, est bien loin de notre premier cycle. Il m’aurait plu de la traiter, bien que Schulmeister n’y avait pas participé. Malheureusement, ce n’est pas encore au programme. Cela pourra peut-être faire l’objet d’un nouveau projet… Qui sait ?
La Voix de la Russie : Ma dernière question portera sur la gestation d’un tel album, nous sommes tous heureux de parcourir les pages d’une Bande dessinée, du moins je ne connais personne de ma génération qui ne possède pas au moins quelques Astérix et Obélixou quelques Lucky Lukeau fond d’une armoire, mais nous ne pensons que rarement à son élaboration, à sa confection en tant qu’œuvre, est-ce difficile, la coopération entre le dessinateur et le scénariste est-elle compliquée, comment avez-vous vécu, ces naissances si je puis dire ?
Bruno Falba : La réalisation d’une Bande dessinée est le fruit d’une longue collaboration de plusieurs mois entre plusieurs personnes. Chaque auteur à sa méthode de travail. En ce qui me concerne, je suis généralement à l’origine du projet. Je réfléchis au sujet qui me tient à cœur et que j’aimerai traiter. Puis, je détermine le cœur de ce que je vise, ainsi que la manière avec laquelle je vais articuler mon récit. Je fais des recherches (livres, archives, musées, etc.), rassemble toute la documentation nécessaire et une fois que tout est en place, je détermine le nombre de tomes de la série. Je rédige alors une présentation du projet comportant un argumentaire de vente, un résumé complet de la série, un descriptif des personnages principaux, un découpage séquentiel du premier tome, ainsi qu’un descriptif case par case des dix premières pages. Puis, je cherche un dessinateur qui colle au projet. Les styles graphiques sont nombreux et différents. Tous ne correspondent pas à tous les récits. Après que le dessinateur ait procédé à quelques essais graphiques, je lui envoie les descriptions de personnages et des pages. Nos échanges font plusieurs allers et retours. Nous gagnons un temps précieux grâce à Internet. Chacun de nous est très à l’écoute de l’autre (comme me l’ont appris mes parents, enfant). Il ne s’agit pas de s’affronter bêtement pour satisfaire son ego, mais bien pour obtenir le meilleur résultat. Dans la Bande dessinée, il faut avoir beaucoup d’orgueil, mais de grandes poches pour l’y glisser (rires). Une fois que nous sommes d’accord, le dessinateur encre les pages. Je demande à un coloriste de faire un essai sur l’une d’entre elles. Une fois terminé, le tout est envoyé aux éditeurs. Le but est d’en séduire le plus possible pour en choisir un seul. Après avoir démarché et trouvé la bonne maison d’édition, il est nécessaire de négocier le contrat (prix à la page, répartition des pourcentages de droits, clauses diverses). Lorsque celui-ci est signé, j’écris la totalité de l’album que j’envoie à mes collaborateurs (éditeur, dessinateur, coloriste). Le dessinateur les réalise et me les fait passer au fur et à mesure. Arrivé à la vingtième page, nous travaillons la couverture et la page titre. Je rédige le texte de quatrième de couverture, ainsi que l’argumentaire de vente destiné aux représentants de la maison de diffusion. Ces derniers sont chargés de présenter la Bande dessinée aux différents points de ventes. Puis, le coloriste entre en jeu. Chaque page est envoyée à chacun de nous pour que tout le monde ait un regard neuf sur le travail. Nous manquons souvent de recul. L’avis de chacun est primordial, particulièrement celui de l’assistant éditorial ou du directeur de collection qui nous suivent. Une fois terminé, l’album est relu à plusieurs reprises, afin de chasser la moindre coquille. Il est envoyé chez l’imprimeur, le relieur, puis au dépôt de stockage du Distributeur. De sa création à sa livraison, un bébé de papier connaît une période de gestation de 8 à 12 mois. Autant dire que l’heure de sa naissance est attendue avec beaucoup d’impatience par ses parents… Heu, ses auteurs (rires).
Laurent Brayard, La Voix de la Russie: Bruno Falba, il ne me reste plus qu’à vous remercier d’avoir bien voulu répondre à nos questions pour La Voix de la Russie et d’avoir donné à nos lecteurs un peu de votre temps, nous vous en remercions chaleureusement et nous espérons parfois vous retrouver parmi nos lecteurs ! Merci à vous nous vous souhaitons également bonne chance et un franc succès pour la bande dessinée L’Espion de l’Empereur!
Bruno Falba : Mais c’est moi qui vous remercie du fond du cœur pour m’avoir permis de répondre à vos questions. Ce fut un réel plaisir et un grand honneur. Merci à vous et longue vie à La Voix de la Russie!