Gouverner pour ne rien changer

© Sputnik . Alexei Naumov Fedor Loukianov
 Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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2012 s’est écoulée sous le signe du pouvoir. Il a effectivement changé dans les trois plus grandes puissances mondiales : Vladimir Poutine est revenu en Russie, Barack Obama a été réélu aux Etats-Unis et Xi Jinping est arrivé au pouvoir en Chine.

2012 s’est écoulée sous le signe du pouvoir. Il a effectivement changé dans les trois plus grandes puissances mondiales : Vladimir Poutine est revenu en Russie, Barack Obama a été réélu aux Etats-Unis et Xi Jinping est arrivé au pouvoir en Chine. Mohamed Morsi a également remporté la présidentielle en Egypte mais on ignore encore s'il a acquis le véritable pouvoir. Les espoirs de changement de régime à Damas, au contraire, furent vains : Bachar al-Assad est toujours à la tête du pays, bien que pour beaucoup, ses jours semblent comptés.

Quel est le point commun entre les événements qui se produisent à travers le monde ? La nervosité accrue de tous les acteurs. La campagne électorale américaine a dévoilé une polarisation sans précédent de la société et des débats sur la guerre y surgissent constamment – faut-il envahir la Syrie ? Bombarder l'Iran ? Combien de troupes laisser en Afghanistan après le retrait ? Jusqu'où accroître la présence militaire dans l'océan Pacifique? Et en dépit de sa puissance incroyable, Washington cherche comme les autres à s'adapter à l'évolution chaotique des événements, n’ayant jamais disposé d'outils de gouvernance globale.

Vladimir Poutine, tant dans ses propos que ses actions, a mis l’accent sur les risques multiples dont il faut se protéger. Ses tentatives d'assurer la stabilité intérieure butent sur l'absence de stabilité extérieure, dont il a pris conscience qu’elle un préalable nécessaire. Or, cette dernière dépend d'innombrables facteurs, sur lesquels Moscou ne peut pas influer. Le gouvernement tente seulement de minimiser les risques, ce qu'il fait dans la mesure de ces capacités et de sa compréhension.

La Chine, quant à elle, semblait toujours suivre sa voie malgré les tempêtes qui l’entourent. 2012 a montré pour la première fois que des fissures se formaient dans le monolithe. Le transfert du pouvoir à la génération suivante s’est préparé dans le contexte d’une forte lutte idéologique, des mesures de contrôle plus strictes et des élans de nationalisme dirigé - contre le Japon. Plus le développement de la Chine est intense, plus son influence est forte dans les affaires internationales et moins elle a de chances de pouvoir faire "profil bas". Sa puissance grandissante renforce également l’attention internationale et par conséquent, l'aspiration à résister, à dissuader et à se sécuriser contre un concurrent potentiel est forte.

Le Caire est l'un des centres politiques du monde arabe et l'évolution de cette zone dépend du gouvernement qui s’installera en Egypte. La victoire de Morsi était une suite logique de la révolution de Tahrir. Le départ pacifique et rapide des militaires fut une surprise, même si tout le monde supposait qu'ils tenteraient de conserver le pouvoir réel. Toutefois, en décembre, on a soupçonné les généraux d’attendre simplement que les actions du nouveau gouvernement provoquent une résistance et des accusations de "violation des idéaux".

L'Egypte est une référence pour les mouvements islamiques de tout le Proche-Orient : soit les Frères musulmans prouvent qu'ils sont capables de devenir une force responsable qui assure le développement du pays et répond aux besoins de la population, soit ils montreront que la pureté idéologique et religieuse est une autre chose que l'efficacité administrative.

La Syrie est devenue le centre névralgique du monde car toutes les lignes de tension s'y sont croisées. La confrontation religieuse – les chiites contre les sunnites.

La lutte géopolitique – au niveau régional (l'Arabie saoudite et ses alliés contre l'Iran) et mondial (la Russie et la Chine contre l'Occident). Le conflit idéologique – la démocratisation contre la stabilité autoritaire. La contradiction conceptuelle – où est le "bon côté de l'histoire". Enfin, le mélange étrange entre l'aspiration sincère aux changements, les idéaux, le fanatisme, la perfidie et l'hypocrisie, parfois plus visqueux que dans d'autres situations similaires.

L'ensemble des contradictions cristallisées autour de la Syrie est la quintessence du chaos qui règne dans la conscience politique mondiale. Plus le processus est complexe, plus la volonté de les insérer dans un schéma simple est grande. On peut juger différemment les positions de Moscou sur la question syrienne en y voyant des objectifs mercantilistes.

Mais tout ce qui se passe en Syrie a ses propres causes internes, profondément spécifiques, qui ne seront pas réglées si la Russie renonçait à couvrir Assad et si ce dernier perdait le pouvoir. L'absurdité de la situation atteint son sommet quand les pays occidentaux se retrouvent du même côté des barricades que ceux contre qui ils avaient lancé une "croisade antiterrorisme" il y a très peu de temps. Mais la logique de l'écran noir-et-blanc pousse encore plus loin sur cette voie.

Depuis la nuit des temps, le pouvoir signifie l'engagement et la nécessité de prendre des décisions, y compris les plus difficiles et désagréables. Au XXIème siècle, c'est toujours le cas mais les circonstances dans lesquelles il faut exercer ce pouvoir se sont aggravées. Avant, les processus géopolitiques étaient soumis à une certaine logique et le modèle de comportement était basé sur des critères clairs d'appréciation.

Dans un monde global où tout est perméable et lié, les divers aspects de la force – militaire, politique, économique ou encore culturelle – agissent en même temps, mais pas dans la même direction. La force qui en résulte est complexe, sachant qu'il est pratiquement impossible de la calculer à l'avance.

Pas étonnant que la politique se transforme en réaction au coup par coup et que toute action comporte davantage de risques que l'inaction. Le gouvernement s'efforce donc de ne faire aucun grand pas, cherchant à rafistoler le système existant et conserver le statu quo.

La Russie d'aujourd'hui, qui se transforme progressivement d'un pays sans idéologie en héraut mondial du conservatisme et de la non ingérence, en est un parfait exemple. L'Europe - où les hommes politiques n'osent même pas parler de changements structurels au sein de l'Union européenne, préférant reboucher les trous indéfiniment - a également perdu sa force d'innovation et son désir de changement.

L'aspiration au pouvoir pour ne rien entreprendre est un nouveau phénomène dans la politique internationale.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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