En voilà un statut de haut-dignitaire dont rêverait n’importe quel barbouze, cela, dans les deux sens de ce terme familier. Bon, nouvelle précision, puisque tout le monde n’a pas vocation à manier les familiarités du métier : un barbouze n’est pas seulement un bonhomme barbu. C’est aussi un agent secret. L’intrigue étant presque nouée, passons directement à l’attaque en décrivant le trajet de western de M. Qatada. Cet individu a l’honneur de figurer dans la liste des sujets liés avec Al-Qaïda où il a été porté par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Qualifié en 2004 par la Commission d’appel spéciale des affaires d’immigration d’individu « réellement dangereux », il a été arrêté en août 2005 par la police britannique suite aux attentats du 7.07.2005 à Londres. La question de son extradition avait été alors soulevée à plusieurs reprises sans vraiment aboutir, notre héros suppliant de le laisser à Londres car il craignait subir chez lui un jugement qui ne serait pas objectif, voire être torturé ou psychologiquement maltraité. Naturellement, c’est la toute-puissante clémence de la police britannique qui l’a emporté, notre pauvre martyr est resté bien au chaud dans un pays qu’il avait illégalement gagné en 1993. Tout sarcasme mis de côté, nouvelle surprise en juin 2008 : M. Qatada est libéré de la prison de Long Lartin sur décision d’une commission spéciale (on ne sait pas vraiment laquelle). S’en suit une série de nouvelles péripéties, de nouvelles arrestations dont une détention vite avortée suite à la capture au Maghreb de quatre touristes britanniques. Bref, que de miracles confondant scènes de BD et humour noir à la Hitchkok. Le six février de l’année en cours, M. Qatada recouvre sa liberté qui, même conditionnelle, fait sourire plus d’un. La cerise sur le gâteau, c’est bien sûr l’histoire de l’avocat rémunéré dans ce langoureux et ridicule procès à plusieurs milliers de dollars.
Nous prendrait-on pour des illuminés, des fadas définitivement dénuée de jugeote ? C’est a priori ce que je soupçonne. Pour mieux capter les divers tenants et aboutissants de cette sinistre affaire, revenons à ce jour J du 11 septembre 2001 qui est loin de se perdre dans l’histoire.
Je donne la parole à M. Meyssan du réseau Voltaire que je sais parfaitement ferré de ses quatre sabots et qui, compte tenu du très mauvais accueil que lui réservent les médias occidentaux – accueil symptomatique – semble bien plus proche de la réalité que ses collègues journalistes du Figaro ou du Monde.
« L’idée selon laquelle un fanatique, basé dans une grotte en Afghanistan, et une vingtaine d’individus, munis de cutters, auraient pu détruire le World Trade Center et frapper le Pentagone avant que l’armée la plus puissante du monde ait eu le temps de réagir, n’est même pas digne d’un Comics. Mais, plus l’histoire est grotesque, moins les journalistes occidentaux posent des questions » (…). C’est en un tournemain que le rédacteur en chef de Voltaire met en évidence l’immense et détestable absurdité de cette manœuvre vieille de onze ans qui ouvrira la voie aux croisades manichéennes entreprises au Proche-Orient. Les arguments – techniques et juridiques – ne manquent pas ! Falsification (par omission de faits cruciaux) du rapport final de la Commission d’enquête présidentielle, entrée en fonction prématurée du gouvernement militaire en lieu et place du gouvernement civil qui pourtant était à même de continuer son intervention après l’écroulement des tours jumelles (mesures disproportionnées et inexplicables en dehors de la version d’un complot), points de vue d’experts indépendants insistant sur le fait que deux ou trois avions dirigées en béliers d’assaut contre les tours n’auraient pas apportés de dégâts de ce type – autant de faits qui témoignent contre cette thèse officielle, rebattue, qui victimise avec une virtuosité de mauvais goût les USA.
Trois aspects ressortent de ce qui vient d’être énoncé :
- Le fait que les pleins pouvoirs aient été accordés à l’armée tout de suite après la tragédie alors que ce n’était nullement nécessaire renvoie à la réalité d’un coup d’Etat militaire soigneusement fomenté.
- L’adoption d’un dispositif anti-terroriste deux jours plus tard qui ouvrira la voie à une ruée sanguinaire vers le Proche-Orient pousse encore une fois à nous interroger sur le degré de préméditation du 11 septembre.
- Enfin, un angle théorique important perce nettement qui décèle l’aspect idéologique de la question. D’un côté, nous avons les méchants, de l’autre, les bons, c’est-à-dire ceux qui compatissent aux victimes des méchants. Tout le monde croit à ce scénario manichéen en acceptant n’importe quelle ineptie selon le vieux principe scolastique « je le crois parce que c’est absurde ». La réalité est génialement occultée, si bien que ceux qui l’occultent – une presse loyale à l’impérialisme étasunien – s’avèrent inconsciemment sacralisés par des masses trop souvent crédules.
Ces deux facettes événementielles prises en compte, on s’aperçoit vite que le grand méchant Abou Qatada ne s’inscrit plus trop dans le cadre manichéen qui lui avait été initialement imposé dans le seul et unique dessein de leurrer les masses. Qui est donc Abou Qatada ? Je crois que la réponse barbotte déjà à la surface et, même amère, même cruelle pour les proches des victimes, révèle bien l’identité réelle de ce personnage quasi-invulnérable qui, coûte que coûte, après avoir correctement collaboré avec les services de renseignement américains, doit se taire.
Cela explique la magnanité du Royaume-Uni qui, faisant partie intégrante de ce système impérialiste à volets multiples, entretient sans nul scrupule la femme et les cinq enfants de l’individu en question .
Je me suis aperçue aujourd’hui que la presse occidentale a préféré passer sous silence les nouvelles dépenses requises par la défense londonienne, alors que les médias maghrébins se régalent … Les sources d’actualité russes tels que news.ru se contentent de relever sèchement cet énième accès de générosité suspecte. Le mutisme ambiant des sites britanniques ou français n’a rien d’étrange, il témoigne au contraire de la défaillance croissante d’un système de manipulation que l’on tient à conserver en apparence intact dans la mesure du possible.
Les racines de ce dernier sont suffisamment bien connues et remontent à l’édifiante école de Léo Strauss, idéologue du parti néoconservateur américain. Seulement voilà : le professeur et père spirituel de M. Strauss n’était autre que Carl Schmitt, « juriste principal du III Reich », virtuose imbattable des manipulations étatiques, celui-là même qui falsifia la Constitution de Weimar en 1919, celui-là même qui, en février 1933, orchestra l’incendie du Reichstag afin de faciliter l’instauration d’une dictature tristement connue … Sachant que le groupe straussien gouverne les esprits des élites étasuniennes, saurait-on s’étonner plus longtemps de la qualité des subterfuges employés par l’Outre-Atlantique et du prix exorbitant qu’ils pourraient coûter ? Quelques milliers de dollars, c’est encore bien peu !